LE SERPENTÀ PLUMES
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Vulnérables

20/7/2018

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La semaine dernière, le fils d'un de mes anciens collègues et ami est mort. Il n'avait pas dix-huit ans et il s'est retourné en tracteur.

Nous faisons un métier joyeux, un métier qui me comble, complet, intense. Nous suivons les rythmes imposés par la nature, dehors dès que nous le pouvons, dedans quand il le faut. En pleine installation, du travail par dessus la tête, emportés par nos envies, nous poussons parfois nos limites. Nous oublions que nous sommes entièrement vignerons. Notre plus précieux et plus fragile outil de travail, c'est nous et notre corps.
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Il y a quelques temps, Nicolas s'est déboîté l'épaule : trois semaines d'arrêt complet, deux semaines d'attelle. Et une blessure sérieuse, une épée de Damoclès qui l'accompagnera à vie, chaque fois qu'il fera un faux mouvement, chaque fois qu'il forcera un peu trop. Je ne le sais que trop bien, je suis passée par là il y a dix ans, quand j'avais encore le droit de jouer au rugby. 

Nous étions en plein relevage et je me suis retrouvée toute seule pour les cinq hectares qui nous restaient. Le relevage, c'est la période que je redoute le plus tous les ans. A priori, c'est simple : nous avons deux fils de fer mobiles, que nous pouvons abaisser et relever. L'hiver nous les descendons, pour que la végétation puisse croître au printemps. Au moment de la floraison, lorsque la vigne a beaucoup poussé, les branches retombent dans les rangs, gênent le passage et cassent sous le poids de la pluie ou du vent. Nous utilisons donc les fils releveurs, que nous montons de chaque côté du rang et accrochons ensemble, pour "tenir" la masse.
Généralement, il faut se presser, car du relevage dépend le passage du tracteur dans les rangs, à une période où la vigne est particulièrement sensible au mildiou et où l'herbe pousse à vue d’œil. Nous relevons toujours en deux fois, une première assez bas, puis la deuxième le plus haut possible, pour que les branches se dressent droit vers le ciel et que nous n'ayons (quasiment) pas à rogner.
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A priori, c'est simple. En réalité, c'est le travail que je trouve le plus difficile. Nous tendons les fils de fer le plus possible, afin que la vigne soit le mieux maintenue : c'est donc extrêmement physique de les manipuler, surtout avec la végétation qui pèse dessus. C'est une opération très longue également, quasiment un mois, à faire tous les jours ces mêmes gestes : tirer sur les fils, les relever, placer l'agrafe, trouver la branche qui bloque, ranger ce qui dépasse ou ébourgeonner ce qui gêne.
Nous marchons beaucoup, entre 10 et 15 km par jour. Mais surtout, surtout, c'est la période des horaires d'été. Il fait une chaleur écrasante sur le Causse, les cigales chantent dès 9h30 du matin et il est insensé de penser pouvoir travailler après midi. Nous nous levons donc entre 4h30 et 5h pour travailler à la fraîche, tout en nous promettant, jour après jour, de rattraper le sommeil par une bonne sieste. Évidemment, nous n'y arrivons jamais : il y a toujours un rendez-vous l'après-midi, du bureau, des mails urgents, une expédition, des choses que nous n'arrivons jamais à faire car nous ne sommes jamais à la maison. Nous nous couchons tard, car il est difficile en été de se coucher tôt : il fait jour! Et la fatigue s'accumule.


Quand Nicolas s'est blessé, il nous restait environ une semaine de travail. Exténuée, je tenais au mental, me disant tous les jours : "plus qu'une semaine et tu pourras te reposer". Et puis, soudain, le travail de deux personnes a brusquement basculé entièrement sur mes épaules. Le temps pressait et je savais que je n'y arriverais pas seule. D'autant plus que Nicolas est le seul à conduire le tracteur sur le domaine. Nous étions déjà en retard sur le programme, comme le veut toute saison viticole, je me voyais très seule et Nicolas se sentait terriblement inutile. Notre vulnérabilité nous a brusquement sauté aux yeux. 
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C'est un sentiment assez terrible. Depuis trois ans, nous mettons toute notre énergie et nos efforts à faire grandir notre rêve. Nous pensons toujours qu'arriver à bout de nos projets et de nos tâches n'est qu'une question de volonté. Mais ce n'est pas toujours vrai. Tous les coups durs peuvent faire pencher la balance : grêle, gel, accidents... Notre aventure pourrait s'arrêter tout simplement, car elle dépend de choses qui nous dépassent. Il faut évidemment l'accepter et en tirer les enseignements. Mais je peux vous assurer que ce jour là, je n'ai réussi qu'à pleurer d'épuisement. 

Le soir, nous étions invités à manger chez des amis vignerons. Nous étions un peu secoués, rattrapés par la réalité de notre métier. Ils ont immédiatement proposé de nous aider, de venir conduire le tracteur pour nous, malgré leurs semaines déjà bien remplies. Puis nos amis maraîchers ont fait de même. Nous avons reçu des message de soutien de nos voisins et nos familles : "si vous avez besoin, nous sommes là". Nous avons découvert le service de remplacement, qui propose des salariés en cas de blessure du "chef d'exploitation". Un monsieur absolument adorable et très professionnel est venu traiter à la place de Nicolas. Tout d'un coup, nous nous sommes sentis beaucoup moins seuls, très entourés et très soutenus.

Nous avons finalement embauché pour finir le relevage, Nicolas s'est démené pour trouver des solutions et la phase la plus dure s'est retrouvée derrière nous. Nous avons continué à travailler comme avant, tirant chaque jour un peu sur la corde, car il le faut.
Hier, j'ai reçu cet appel, me rappelant à nouveau à la réalité, "Maya, j'ai une mauvaise nouvelle, le fils de C. est mort, accident de tracteur". Nous sommes vulnérables et fragiles. Il faut le garder en tête. Trouver ce délicat équilibre qui permet d'avancer, de ne pas se laisser paralyser par la peur tout en gardant en tête qu'il faut se ménager, faire attention à nous. Nous faisons un beau métier mais il est aussi dangereux.
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J'y pense souvent, maintenant. Quand Nicolas part en tracteur, dans nos vignes aux pentes fortes, aux dévers marqués et aux tournières trop étroites, quand il fait tellement chaud que nous commençons à nous sentir mal, quand je sens que nous sommes en train de trop en faire. Nous nous mettons sans cesse à nu pour accomplir notre rêve, pour nourrir notre passion, pour faire du vin. J'y pense. Nous continuons à travailler avec entrain et optimisme, mais j'y pense.
Et j'espère que vous y pensez aussi, à chaque fois que vous ouvrez une bouteille, avec vos amis, votre famille, votre moitié. J'espère que vous voyez dans votre verre, dans ces moments de plaisir et de partage, qu'il y a un vigneron qui vous offre tout ce qu'il a, qu'il y a des vies, qu'il y a des drames et qu'il y a des joies.

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- Maya -
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Maturités

5/9/2017

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Le 27 août, j'ai eu trente ans. L'année dernière j'avais discuté avec mon grand-père de ce cap à franchir, cette nouvelle décennie. Il s'était exclamé : "entre trente et quarante ans, ça a été la période la plus heureuse de ma vie". Et c'est donc ainsi que je m'y attaque. J'ai beaucoup voyagé, bougé, changé de maison, de région et de métier. Il est temps de m'ancrer et de construire, avec la ferme résolution de trouver un peu de ce bonheur quotidien qui me fera, un jour, me retourner et me dire que ces années là étaient belles et joyeuses.

Voilà des pensées faciles, portées par l'imminence des vendanges. Nos premières en tant que "vrais" vignerons. Sept hectares et presque autant de parcelles que nous parcourons en ce moment, Nicolas et moi, goûtant, observant, analysant et re-goûtant encore. Nous essayons de deviner ce que sera ce millésime en lisant l'avenir dans la saveur des figues et des mûres que nous glanons autours de la maison. Elles sont mûres tôt cette année, nombreuses, juteuses et pleines de goût. Un bon présage. 
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L'année est précoce et nous avions peur de la sécheresse et de la chaleur. Visiblement, l'année nous gâte et après une semaine très chaude fin août, nous avons eu la joie de voir tomber une petite pluie, inespérée, et, avec elle, le retour des nuits fraîches, indispensables pour préserver l'acidité et développer les arômes. Les raisins sont beaux, il ont déjà plein de saveurs et de parfums. Il nous faut encore patienter quelques jours et nous pourrons donner les premiers coups de sécateur, rentrer les premiers moûts, découvrir ce que nos parcelles ont a nous dire. Hâte!
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En attendant nous préparons activement la cave : il y a tant à faire! Nettoyer, récurer, réparer, et recevoir nos nouvelles cuves (d'occasion) en béton brut. Une demi-journée à déplacer ces gros cubes de quelques tonnes avant de, là encore, leur faire une beauté afin de recevoir leur précieux contenu. Une sacrée aventure et beaucoup d'excitation. Et parfois le besoin de repenser à Robinson Crusoé, quand la fatigue nous prend devant l'ampleur de la tâche : "Alors je vis, bien que trop tard, la folie de tenter une entreprise avant d'en avoir calculé les charges et avant de juger correctement de la force que nous pouvons y consacrer".
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Pendant que nous nous agitons en tous sens, affrontant notre propre folie avec ardeur et pugnacité, septembre s'installe doucement et semble déterminé à prendre des airs d'automne. La nature frissonne sous la fraîcheur du matin et le causse nous offre des levers de soleil romantiques et brumeux. L'occasion pour nous de réaliser à quel point nos vignes sont un point haut du paysage. Depuis notre maison, nous voyons bien Trespoux, et nous imaginons nos parcelles. Elles se devinent, au loin, blotties sur la colline, au-dessus de la mer de nuage, comme sur une île fascinante et encore un peu mystérieuse. Quand nous vous dirons que les terroirs de Trespoux sont au sommet de l'appellation, vous pourrez désormais nous croire ! ;-)
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- Maya -
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Vignerons et terroirs d'avenir

18/4/2017

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En ce début d'année, un événement très important s'est produit pour notre jeune domaine. Nous avons remporté le concours "Vignerons et terroirs d'avenir", organisé par Advini et Montpellier SupAgro.

Ce concours en est à sa deuxième édition. Son but : favoriser l'installation durable de jeunes vignerons sur des terroirs d'exception. À la clef, une belle dotation, à la fois financière et en jours de conseil.
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Quand, en novembre, Maya a reçu un mail de Montpellier SupAgro annonçant l'ouverture des inscriptions, nous nous sommes dit que c'était incroyable, et qu'il ne fallait pas laisser passer la chance d'être candidats. Installation durable, terroirs d'exception, ça ressemblait parfaitement à notre causse de Cahors. Le concours précisait vouloir préserver l’activité viticole sur des terroirs menacés par l’urbanisation et la déprise. Là aussi, nous avons reconnu le contexte de notre installation. 
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Nous avons donc pris le temps, malgré les journées chargées, de bien présenter notre projet, nos pratiques durables, notre ambition de mettre en valeur chaque terroir singulier de notre parcellaire. 

Premier succès : nous avons été sélectionnés pour être un des sept projets finalistes. 
​Nous sommes donc partis fin mars pour le dénouement. Deux jours sur la propriété d'Advini à Vic-la-Gardiole, le splendide domaine de Mas Neuf.
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Nous avons tout d'abord passé une journée entière à retravailler et peaufiner notre présentation orale, avec l'aide des cadres dirigeants d'Advini, des professeurs de Supagro et d'un groupe d'étudiants. Travailler sous pression, avec l'impression que tout reste à faire, c'est quelque chose qui ne me dérange presque plus après avoir bossé pendant 10 ou 11 vinifications. Mais là, honnêtement, c'était au-delà de ce que connaissais. Et ce, même s'il s'agissait "simplement" de présenter le plus clairement possible nos terroirs, nos projets et les ambitions que l'on pourrait faire éclore si jamais nous étions désignés. 

Le lendemain, nous avons présenté notre projet devant le jury, constitué de personnalités de la filière : Antoine Leccia, le président du directoire d'AdVini ; Thierry Desseauve, journaliste ; Stéphane Derenoncourt, consultant ; Hervé Hannin, directeur de l'Institut des hautes études de la vigne et du vin à Montpellier ; Jérôme Despey, représentant au conseil spécialisé vin France Agrimer ; Fabrice Sommier, sommelier du groupe Georges Blanc et meilleur ouvrier de France ; Jacques-Olivier Pesme, directeur de la Wine and Spirit Academy dans le groupe d'écoles de commerce Kedge ; et enfin Frédéric Berne, vigneron en Beaujolais et lauréat de la première édition.

Nous n'avons pas vu les présentations des autres candidats, mais pour les avoir côtoyés pendant deux jours, c'était évident qu'il y avait du niveau. Beaucoup de passion, de rêve. Beaucoup de sueur et de travail aussi, que ce soit un projet de réhabilitation de terrasses abandonnées depuis un siècle à Cornas ou des domaines en traction animale à Saint Joseph et dans les Alpes.
Il y avait aussi le projet de mon amie Anne-Laure Sicard, Mas Lasta, sur les terroirs gréseux de Saint Privat, en AOP Terrasses du Larzac. J'ai connu Anne-Laure en 2008, lors de mon premier stage à Pauillac. Comme moi, elle travaillait comme stagiaire dans un 1er grand cru classé du Médoc. Devenir vignerons nous paraissait être un rêve hors d'atteinte. 
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​Au bout de la journée de présentation et de la délibération du jury, c'est nous qui avons été désignés lauréats. Et avec ce premier prix, nous gagnons 50.000 € à investir dans notre domaine, plus une semaine de conseil !

Le projet de Pauline Mourrain et Laurent Troubat, l'Austral, dans l'AOP Saumur le Puy-Notre-Dame, a remporté le second prix, soit 30.000€ et trois jours de conseil. Pauline et Laurent ont repris quatre hectares de vignes du domaine de la Tour Grise, pionnier du bio et de la biodynamie. 

Enfin, un prix Accessit a été attribué à Pauline Chatin, pour la Vigne de Cocagne, à Fabrègues. Pauline va redonner vie à un domaine historique, menacé un temps par l'installation d'un centre de traitement des déchets puis repris par la municipalité, pour en faire une exploitation viticole d'insertion sociale et professionnelle, en lien avec l'association des Jardins de Cocagne. 
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C'est une immense fierté que notre petit domaine ait été désigné, au sein des six autres projets, et au-delà, parmi le fourmillement actuel d'installation ambitieuses, en reprise familiale ou hors-cadre, partout en France, et qui fait souffler un vent de renouveau dans le vignoble. Les conseils et la bourse vont nous permettre d'aller plus loin dans nos rêves, et d'investir pour faire des meilleurs vins. Pour commencer, s'équiper d'une cuverie permettant de vinifier et d'élever chaque parcelle à part. Peut-être aussi lancer, plus tôt que prévu, le projet d'une petite cuvée de blanc...


Dans tous les cas, ce concours est une opportunité fabuleuse. C'est une possibilité sans équivalence de réfléchir à son projet, de le faire mûrir pendant la journée de préparation, de prendre du recul sur son travail et sa façon de le présenter. Quant au premier prix, ce sera un coup de pouce sans précédent.

Nous avons aussi été très entourés, pendant ce concours. Par nos proches, évidemment, qui nous ont soutenus et encouragés, mais aussi et surtout par toute l'équipe organisatrice, Advini et Montpellier SupAgro. Des élèves sont venus nous rendre visite à Cahors, dans un premier temps, puis les professeurs et le comité exécutif d'Advini se sont relayés lors de la journée de préparation afin de nous aider à donner le meilleur de nous-mêmes. Nous avons été reçus royalement au Mas Neuf et à Paris pour la remise des prix. L'aspect humain dans ce concours est essentiel. Nous gardons de ces moments des souvenirs très forts et joyeux. 

Je sais que nous sommes lus par d'autres jeunes vignerons, et par des personnes qui cherchent à s'installer à leur tour. À vous, je vous conseille vivement de suivre les prochaines éditions du concours, et de participer ! 
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Nicolas

​Lien vers le site du concours : ICI
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Un hiver passé dehors

18/4/2017

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Je n'ai pas vu l'hiver passer.

Pour commencer, début décembre, nous avons officiellement signé, chez le notaire, la reprise de 6 hectares de vignes. C'était prévu depuis le début. Sept hectares en tout, ça fait des vignes à tailler ! Surtout que nous prenons le temps de bien faire les choses, par exemple nettoyer les pieds, ou bien éborgner quelques bourgeons sur la baguette pour mieux étaler la végétation.  
Bilan : nous avons passé l'hiver au grand air, avec le bonheur de travailler dans les vignes quasiment tous les jours. Des journées où il fait trop mauvais pour sortir, il y en a finalement très peu. S'il fait froid, on rajoute un pull, voire deux. S'il pleut un peu, on met un imper et on va tirer les bois. Et s'il pleut beaucoup… bon, d'accord, on se sert une tasse de thé vert et on reste travailler à l'intérieur.
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La taille Guyot Poussard se met en place doucement. Sur la parcelle de Bois Grand, que nous taillons pour la deuxième année, l'architecture des ceps devient plus évidente. Sur la grande majorité des pieds, on retrouve bien un courson de chaque côté, et la baguette au-dessus. Quand on arrive à tailler un pied comme sur la photo ci-dessous, on est heureux. C'est simple. Le flux de sève du courson restera indemne, les coups de sécateurs se feront sur le dessus.
L'année dernière, j'avais promis de faire un essai et de comparer avec la taille Guyot "normale". Malheureusement, nous en avons été incapables. Tailler sur deux coursons nous est devenu tellement logique et tellement automatique, que se glisser dans un autre système de taille, tirer une baguette au lieu de faire un courson, n'est quasiment plus possible. 

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A force de s'appliquer, nous avons quand même dû, en voyant début mars le printemps pointer le bout de son nez, faire appel à des saisonniers pour une semaine ou deux, histoire de finir le tirage des bois sereinement. Pas de regret. Ce temps que nous choisissons de passer à la taille, je suis sûr qu'on le récupérera en saison. Si les baguettes sont bien aérées, nous pourrons peut-être faire un effeuillage plus léger, voire s'en passer.

A part ça, nous nous sommes officiellement engagés pour la conversion en biodynamie, avec le cahier des charges de Demeter. C'est vraiment un sujet très vaste, la biodynamie, et qui appelle des conversations qui peuvent être riches et denses. Mais dans tous les cas, c'est une démarche qui me plaît par ce qu'elle demande d'observation, d'essai, d'expérience personnelle. Questionner les pratiques et les outils, prendre de la hauteur. Parfois la compréhension passe par le symbole, l'allégorie, plutôt que par la rationalisation, et pour des jeunes gens cartésiens comme nous, ça fait du bien de changer de mode de pensée.
Notre première action d'aspirants, ça a été d'introduire les préparations biodynamiques dans notre tas de fumier en train de composter. Les journées précédentes avaient été plutôt répétitives : tailler, attacher. Tout d'un coup, nous nous sommes retrouvés dans un tas de fumier frais, avec des préparations en petits pots de verre, pour ensemencer cette fertilisation en micro-organismes. Plutôt que de penser à un seul pied de vigne, nous passions soudainement à la faune et à la flore des sols de nos parcelles.

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En parlant de faune, nous réfléchissons aux façons d'amener près des parcelles des espèces qui nous seraient utiles pour réguler des ravageurs. Je pense par exemple aux mange-bourgeons, des larves de noctuelles ou de boarmies, qui font des dégâts très frustrants au printemps. Les escargots font aussi une belle razzia sur les bourgeons à peine débourrés.

Le plan, c'est que ces larves et ces papillons servent de repas à d'autres espèces. Comment nous comptons nous y prendre ? Déja, nous laissons pousser de l'herbe pendant l'automne pour héberger des insectes prédateurs et des araignées. Avant de s'installer à Trespoux, nous avions aussi l'idée de planter des haies, des arbres, mais ici les vignes sont entourées de forêts de petits chênes opiniâtres, de haies de cornouillers et d'églantiers, bref, de ce côté-là, la nature fait bien les choses et les alentours ne manquent pas de refuges pour la biodiversité. Mais nous allons tout de même donner un petit coup de pouce en installant cette année des abris à chauve-souris, et l'année prochaine certainement des abris à passereaux, confectionnés avec soin dans l'atelier du paternel. Les papillons de nuit et les escargots n'ont qu'à bien se tenir...

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un bourgeon vidé par une chenille
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abris à chauve-souris
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bébés araignées affamées de papillons

​Et le vin ? Il s'est un peu réchauffé, mais pas de trace de malo. Patience, patience.
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A présent, le printemps avance à deux cents à l'heure. La vigne a débourré, étalé ses premières feuilles et les bourgeons floraux sont partout bien visibles. Les lilas ont fleuri avec deux semaines d'avance, et les nombreux iris, au pied des murets de pierre sèche, sont aussi très précoces. Dans les sous-bois, le muguet est sorti depuis début avril. Tôt, trop tôt, et il y a toujours un ancien pour se rappeler l'année où c'est arrivé, et où ça s'est mal passé.
​D'ailleurs, cette semaine, la météo annonce plusieurs nuits de froid, avec des températures négatives. Et la vigne va peut-être geler. Beaucoup, un peu, pas du tout ? Nous allons croiser les doigts, pour nous sur les plateaux et pour les autres, dans la vallée et partout ailleurs en France. 

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Nicolas
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Soleil d'hiver

15/2/2017

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Depuis hier souffle le vent d’autan. La maison grince, les arbres ploient, tout s’envole. Le vent d’autan annonce la pluie. Elle arrivera demain. Nous ne taillerons sans doute pas, la nature nous impose son rythme de travail et de repos. Cette pause, sans cela, nous ne l’aurions pas prise. Depuis décembre, nous travaillons nos sept hectares. Et, contrairement à ce que l’on pense souvent, les mois d’hiver sont très chargés. 
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Nous avons attendu mi-décembre pour commencer la taille. Les vignes, qui avaient souffert de la sècheresse cet été, ont profité des pluies et de la douceur de l’automne pour se remettre et faire leurs réserves. Les feuilles sont restées vertes longtemps et ne sont pas tombées avant les premiers gels de décembre. Nous avons alors baissé les fils releveurs, qui tiennent la végétation en place pendant l’été. Cela nous a permis de passer un peu de temps dans chacune des nouvelles parcelles, d’observer les sols, la vigueur, les points forts et ceux à améliorer. D’admirer les vues, aussi, qui sont magnifiques sur nos terroirs, les plus hauts de l’appellation. En automne il n’est pas rare de voir les Pyrénées au Sud-Ouest, les monts d’Auvergne au Nord-Est et de deviner les Cévennes. 
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Nicolas s’est formé à la taille Poussard, ou taille douce de la vigne, grâce à Bio 46 (le Groupement départemental des agriculteurs Bio). Nous taillions déjà grâce à cette technique, qui respecte les flux de sève de la plante et permet de limiter les maladies du bois, mais Nicolas n’avait encore jamais suivi de formation théorique. J’avais découvert ce système avec François Dal, du Sicavac. Là c’était Marceau Bourdarias qui intervenait. Ils n’ont pas tout à fait la même vision de cette technique de taille si particulière. Cela nous a permis de modifier quelques détails, afin d’être toujours plus précis.
La seule contrepartie de cette taille sur-mesure pour chaque cep, c’est le temps. Nous sommes lents. Mais chaque jour nous nous améliorons, nous prenons mieux en main nos outils, nous taillons toujours plus de pieds. Les jours rallongent, les températures sont plus douces, le travail est toujours plus agréable. Nous sommes dehors, nous sommes contents, nous profitons de l’hiver. 
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​Nous avons également pris un week-end pour nous rendre à Angers et Saumur début février. Pendant le salon des vins de Loire, le « in », ont également lieu des « off », des salons plus petits, où les vignerons sont souvent associés autour d’une thématique.
Nous avons fait un saut aux Greniers Saint Jean (photo), organisé par Renaissance des Appellations, où la plupart des vignerons sont en biodynamie, les autres en bio. Puis nous avons passé une journée aux Anonymes, qui met en lumière des jeunes vignerons, aux vins dits « naturels ».  Enfin, nous n’aurions pas pu aller dans la Loire sans faire un détour à La Dive Bouteille, le plus grand salon de vins naturels. Il a lieu dans un dédale de cave troglodytes, c’est très impressionnant (et ça ne donne pas grand chose en photo). 
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​Ces salons sont très importants pour les vignerons, de nombreux professionnels, cavistes, journalistes, importateurs, distributeurs, etc., y sont présents. Cela nous a permis de revoir nos amis vignerons des autres régions. Nous avons beaucoup échangé, connaissances, expériences… et bouteilles ! Pendant ces mois froids où nous sommes seuls dans nos vignes, c’est très agréable de revoir tout ce monde. Le soir, nous avons fait déguster nos bruts de cuve aux copains. La fraîcheur et la maturité des jus les ont surpris ; c’est justement ce qui nous plait tant sur les terroirs d’altitude de Cahors. 
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​Nous avons aussi ouvert quelques bouteilles de notre pétillant naturel rouge. Ce vin-là nous a tenu en haleine depuis la récolte. Nous voulions vinifier quelques centaines de bouteilles d’un vrai vin rouge, mais pétillant, à la façon d’un Lambrusco artisanal. Nous avons donc fait macérer du Merlot quelques jours, jusqu’à l’apparition d’une légère trame tannique. Nous avons pressé avec notre pressoir à cliquets, soutiré une fois pour éliminer la lie et embouteillé avant la fin de la fermentation. Ces derniers grammes de sucre ont fermenté en bouteille, emprisonnant l’effervescence. Au bout de deux mois, c’était délicieux mais toujours trop trouble : nous avons donc « dégorgé à la volée ». Notre séjour en Alsace nous a bien servi, car il faut véritablement le coup de main. Lorsque la bouteille est « sur pointe », tête en bas avec le dépôt dans le col, il faut la retourner d’un geste assuré et faire sauter la capsule. On refait le plein, on sertit une nouvelle capsule et voilà le vin limpide. On ne peut pas en dire autant du vigneron qui se retrouve la tronche pleine de lie, et les doigts gelés car l’opération se fait dehors, un jour de grand froid, pour garder la bulle dissoute. Beaucoup d’opérations que l’on oublie totalement au moment de faire sauter un bouchon. Mais nous en dirons plus lorsque tout sera dégorgé et que nous aurons une étiquette à vous montrer…
Nous nous apprêtons également à débuter les travaux  d’un bâtiment à proximité des vignes.  Un hangar tout simple, en bois (ossature et bardage), pour y entreposer notre matériel. Nous avons passé les derniers mois à nous équiper, que ce soit le tracteur et d’autres outils de vignes, et il faut maintenant les avoir sur place. Pour notre première vraie saison de vigneron, avec plusieurs parcelles à amener jusqu’à la récolte, nous allons pouvoir aussi apprendre le métier de maître d’œuvre !
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Enfin l'hiver, même chargé, nous permet de souffler un peu. Les soirées sont longues et nous apprécions que le soleil se couche tôt. Nous en profitons pour voir des amis, ouvrir de bonnes bouteilles, faire un peu de jardinage et de bricolage à la maison...en attendant que le printemps nous emporte!
- Maya et Nicolas - 
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Installation : au bout du parcours aidé

26/11/2016

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Il y a eu beaucoup trop d’articles poétiques récemment, où des levers de soleils radieux disputaient la vedette à des grappes de raisin saines et juteuses. Je devais intervenir : l’agriculture, c’est aussi des formulaires administratifs, des sigles obscurs et de la structuration. Bon, sans blaguer cette fois : les aspirants vignerons qui nous lisent voudront certainement démêler cette affaire de parcours aidé / non-aidé. Bonne lecture à eux. 
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Pour reposer votre esprit entre les paragraphes, cet article sera illustré par la biodiversité de nos parcelles.
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​Lorsqu’on décide de devenir agriculteur, de « s’installer » comme on dit dans la profession, on a la possibilité de le faire sans se poser de questions : trouver des terres et espérer que la SAFER n’y voie aucun problème, déposer son statut d’entreprise et se mettre crânement au travail.
​Reste qu’il y a des choix importants à faire et qu’il vaut mieux décider en connaissant les conséquences.
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Chien de type 'corniaud'. Rôle dans la biodiversité des vignes : joue avec le fumier, court après les chevreuils.
 
Le parcours classique est plus sinueux mais il donne droit à des aides, et on est globalement renseigné sur tous les sujets importants. Parmi les étapes, il faut prendre contact avec la Chambre d’Agriculture du département, posséder ou passer un diplôme agricole, suivre une formation de 4 jours et, pour finir, déposer un dossier complet comprenant un prévisionnel économique sur quatre ans. Nous avions décidé, au tout début, de suivre ce parcours.
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J’ai déposé mon dossier de Dotation Jeune Agriculteur cet automne : j’ai donc été au bout des démarches et je peux maintenant vous en parler en connaissance de cause.
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Ephippigère : plutôt un bon signe pour la biodiversité, c'est un insecte en régression à cause des insecticides et de la destruction des couverts. Mange les feuilles des vignes mais aussi des larves et des oeufs d'insectes. 

Les avis à propos de ce parcours aidé sont souvent très tranchés. Il faut dire que lorsqu’on pèse le pour et le contre, les éléments de chaque côté de la balance sont franchement imposants.
 
Côté « pour », il faut citer l’obligation de bien structurer le projet, d’anticiper des difficultés, de mieux connaître ses besoins économiques. C’est plus facile dans ces conditions de convaincre un banquier, au moins en théorie. Anticiper et résoudre des difficultés avant qu’elles n'arrivent, par exemple sur le fond de roulement de l’entreprise, est aussi un facteur de succès.
L’aide versée par l’Europe et l’Etat n’est pas négligeable : entre 8000 et 33000 euros, avec une moyenne à 15000 € environ. Il y a des modulations : les hors-cadre familiaux, les agriculteurs en zone de montagne, les bios, les agriculteurs qui réalisent eux-mêmes la transformation ou la commercialisation perçoivent une dotation dans la fourchette haute. C’est beaucoup d’argent et cela permet de financer son installation, d’investir dans du matériel ou simplement de faire face à une ou deux années sans revenus. La dotation est versée directement sur le compte personnel du jeune agriculteur, comme pour mettre en évidence qu’elle n’est pas obligatoirement à utiliser pour l’entreprise.
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A priori, des milans royaux mais la reconnaissance d'oiseaux n'est pas mon fort. Rôle dans la biodiversité : rend le vigneron heureux.
Côté « contre », je suis obligé d’admettre que la constitution du dossier est un travail ardu. Une fois tous les documents réunis, il y a une bonne centaine de pages de formulaires, de prévisionnels et de justificatifs. Cela prend du temps d’aller chercher toutes les informations, toutes les justifications comptables du prévisionnel.
Par ailleurs, le prévisionnel est un engagement. Lorsqu’on écrit qu’on va travailler 7 hectares pendant 4 ans, il faut réellement le faire. Lorsqu’on dit que le bâtiment que l’on construit va coûter tant de milliers d’euros, idem. Les écarts ne sont pas tolérés, ou bien seulement à la marge. Si l’on change de plan en route, par exemple si le voisin met subitement en vente la parcelle juste à côté, il faudra faire un avenant au dossier, avec tout ce que cela implique.
Enfin, le bénéficiaire de la Dotation doit tenir une comptabilité, être assujeti à la TVA et être agriculteur à titre principal, c'est à dire que son revenu agricole devra être supérieur aux revenus salariés ou non-agricoles. Dans certains cas de figure, cela peut poser problème.
Le montage de ce dossier est réalisé dans la majorité des cas par la Chambre d’Agriculture, qui le facture (environ 1000 €). Mais ce n’est pas une obligation. On peut le présenter en candidat libre ; c’est difficile mais pas impossible. Des associations comme l’AFOCG ou l’ADEAR, dans certains départements, peuvent aussi vous aider à monter le dossier. Personnellement c’est l’ADEAR  qui nous a accompagné. L’animatrice connaissait déjà très bien notre dossier après la formation de dix journées à l’automne dernier, c’était évident de continuer ensemble. 
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Vendangeur prudent de type 'ganté". Rend de fiers services au vigneron en coupant la récolte ; boit aussi de fières quantités de vin. Auxilliaire de culture en régression malgré son utilité.
A présent, mon dossier est dans les mains de l’administration. Il est passé devant la commission départementale d’orientation agricole, où siègent les différentes instances, les syndicats agricoles et d’autres interlocuteurs de l’agriculture, pour un avis consultatif. Il devrait passer bientôt devant la commission dédiée du Conseil de Région à Toulouse, l’instance décisionnaire. Si tout va bien, la réponse sera connue en janvier et la dotation, si elle m’est accordée, sera versée au printemps.
 
Je ne sais pas encore comment nous vivrons cet engagement sur 4 ans. Evidemment, certains aspects ne se passeront pas comme prévu, mais j’espère que nous resterons dans les clous et que nous n’aurons pas besoin de faire des avenants trop importants.

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Araignée, peut-être de l'espèce des argiopes (?), avec une toile parfaite pour attraper les ravageurs, comme les tordeuses, dont la larve perce les grains de raisin.

​Voilà pour le monde abstrait. Dans le monde concret, le mois de novembre a été calme, une fois terminée la vinification (qui sera l’occasion d’un billet entier prochainement). Avec les températures douces, la vigne a encore ses feuilles et la sève n’est pas descendue dans les racines. Hors de question de commencer la taille pour l’instant.

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Autour de nous, les collègues vignerons partent en salons. Pour l’instant, notre vin de 2016 est trop jeune et nous sommes bien obligés de ronger notre frein. A la place, nous réfléchissons à nos futures étiquettes, ainsi qu’à l’équipement de vigne et de cave dont nous aurons besoin la saison prochaine. C’est un temps mort de l’année, mais nous en avons franchement besoin pour mettre en place tout ce qui devra fonctionner la saison prochaine, sur un parcellaire bien plus important.

​Nicolas
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Les vendanges chez Nico et Maya - partie 2

15/11/2016

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Après la première partie le mois dernier, notre amie Marie termine son récit des vendanges en vue embarquée.
Nous voici déjà presque en hiver, j’ai bien tardé pour rédiger le dernier volet de mes aventures chez Maya et Nicolas. Mais le voici enfin!
J’avais arrêté le récit de mes premières vendanges au délicieux repas du vendredi soir. Après une journée assommante, je croyais pouvoir paresser toute la matinée du lendemain. Las! Il est 7 heures du matin, le soleil se lève à peine et Maya et Nico sont déjà sur le pont, plus ou moins frais, mais habillés et déjà au travail. Je les contemple, l’œil hagard, tandis qu’ils organisent leur journée autour de quelques tartines beurrées et d’un café fumant. 
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Remontages et visite d’un chai voisin
Au programme du premier jour post-vendanges : passage au chai, nettoyage et déplacement d’objets lourds et volumineux, puis premiers remontages. Les raisins dans la cuve, la vinification n’attend pas ! Pour procéder au remontage, il faut pomper le jus du fond de la cuve et le répandre sur les peaux de raisin qui flottent sur la partie supérieure. La manœuvre permet d’harmoniser le jus et de tirer des peaux le plus de saveur possible. L’opération est plus dangereuse qu’il n’y paraît, car la couche que forment les peaux de raisin en surface bloque l’évaporation du dioxyde de carbone produit par les levures en fermentation. Il faut dès lors s’écarter pour éviter une intoxication! Même s’il reste rare, ce type d’accident est pris très sérieusement par les vignerons, car certains d’entre eux y ont laissé la vie.
Mes précautions prises, je regarde le flot de jus, lourd et pourpre, s’échapper du tuyau et recouvrir les peaux. Pendant ce temps, Maya et Nico vérifient la densité du jus et contrôlent la fermentation, qui transforme le sucre des fruits en alcool.
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​Les remontages terminés nous rendons visite à un château voisin, à l’invitation de ses propriétaires. Je change ici d’échelle. Le château et la propriété sont superbes, sans parler du chai! Dans un immense hangar, des cuves métalliques luisent comme des golems d’acier. Celles-ci contiennent la production d’une soixantaine d’hectares de vignes. Rien de surprenant pour mes amis, qui ont œuvré dans des structures bien plus importantes. Mais la visite demeure pour moi intimidante. Je tutoie fébrilement tout le monde et tâche de me faire le plus petite possible (ce qui m’est généralement difficile). La rencontre avec ces vignerons expérimentés me confronte avec la réalité du milieu, et je réalise combien il peut être effrayant de se lancer dans le grand bain quand on a seulement quelques vignes.
Dégustation VIP à l’aveugle
Les vignerons propriétaires du domaine nous font faire le tour des installations. Après avoir échangé quelques observations et quelques conseils techniques, nous prenons le chemin du restaurant en leur compagnie pour déguster un vin qui est servi à l'aveugle. Je ne devine rien, évidemment, mais, à ma grande satisfaction, le cépage reste tout aussi mystérieux pour Maya et Nico, qui étaient pourtant sur une bonne piste. Je m’abandonne à la défaite en finissant mon verre. Puis un autre. Puis un autre. L’ignorance a tout de même bon goût. 
Leur tête dans le journal
Passe une petite semaine, d’autres remontages, et il faut de nouveau préparer les vendanges et prévoir de quoi nourrir la quinzaine de personnes qui viendra à couper le Merlot. De ces quelques jours, je conserve le souvenir ému du moment où Nicolas et Maya ont découvert l'article que la Dépêche du Midi leur a consacré, et qui était même annoncé en première page de l’édition nationale. Dans un petit coin à droite, certes, à côté d'un titre consacré à un tracteur flashé à 113 km/h, mais en première page tout de même.
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Ils parcourent l’article, vibrants d’excitation et de fierté. Je tire à moi le quotidien. Le journaliste, qui avait interviewé Maya et Nico lors de la première journée de vendange, avait été emballé par leur histoire et s’était émerveillé qu’un jeune couple s’installe dans la région. Outre quelques envolées lyriques savoureuses, le journaliste a mis le doigt sur un aspect important de leur entreprise agricole : Maya et Nico travaillent côte à côte depuis un an, rien que tous les deux. Une équipe de choc qui a enfin concrétisé son rêve mais qui doit néanmoins se confronter aux contingences de la vie professionnelle et de la vie de foyer, les deux se mélangeant parfois de manière désordonnée...
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Une ambivalence et un équilibre délicat que ne perçoivent pas tout de suite les amis de passage. Venus de loin pour aider Maya et Nicolas, nous étions tous enthousiastes à l’idée de les aider et surtout de faire la fête. Or, pour le couple, ces vendanges étaient surtout l’aboutissement d’une année de travail acharné. Pas évident dès lors de ménager les plus dissipés et de se faire prendre au sérieux, tout en profitant de ce moment de joie et de partage. 
Moi, Marie, vendangeuse chevronnée (et autoproclamée)
Il est tard, les joues de porc rissolent dans leur vin blanc en dégageant un fumet prometteur. La liste des courses a été remplacée par les assiettes et les couverts sur la table à manger. La famille et les amis ne tardent pas à arriver. Cette fois-ci place aux jeunes! Les cousins de Nico sont venus en nombre et des amis ont également fait le déplacement depuis la France entière. Tous sont impatients de se mettre à la tâche.
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Le lendemain, je suis bien plus à mon aise en ce nouveau jour de vendanges et commence à parler du domaine comme s’il m’appartenait. Cette semaine a filé sans que je m’en rende compte et je constate que mon séjour touche à sa fin le cœur serré. Le cœur serré dans ma polaire, plus précisément, car le temps s’est bien rafraîchi depuis une semaine. L’automne est déjà sur nous!
Transport de caisses et cuvée spéciale 
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Nouvelle explication de notre couple de vignerons favoris sur la science des vendanges (que couper ? que laisser ?). Nous vendangerons ce samedi du Merlot, aux grains plus fermes et plus petits. Cette fois-ci, pas de tracteur pour transporter les raisins entre les vignes et … pas de petit âne non plus. En effet, nous devions recevoir l'aide d'une charrette tirée par un âne, mais son propriétaire, à notre grande déception, s’est trompée d’animal à grandes oreilles et nous a posé un lapin la veille au soir. Je vois s’éloigner avec chagrin tous les plans photo que j’avais prévu avec la bête et son tombereau. Il faudra donc porter les caisses de raisins à la force des bras. 
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​Autre nouveauté : nous réserverons une partie de la récolte pour une cuvée spéciale, plus ambitieuse. Cette sélection est une expérimentation, Maya et Nico désirant vinifier un petit lot à part, dans une barrique ouverte, pour une macération plus lente et plus longue. Ceux-ci avaient présélectionné les rangées où les raisins étaient les plus beaux. Ce sera l’activité de fin de matinée. Assis tout autour des caisses, nous séparons les grains de leurs rafles à la main. Un gage de qualité et de finesse pour la production, mais qui requiert beaucoup de patience! Pas de surprise: je suis la première à me lasser. Mais les histoires incroyables de Bertrand, le père de Maya, retiennent mon attention et je termine docilement mes grappes. D’après ce que j’en ai retenu, l’histoire de la diffusion du café au XVIème siècle contient autant de rebondissements et d’espions que le meilleur des James Bond.
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Le Banquet
​Le soleil déclinant et la récolte terminée nous nous dirigeons vers le chai où quelques heures de nettoyage nous attendent. La bonne volonté des participants vient rapidement à bout des dernières tâches. Le temps de se débarbouiller et le festin pourra commencer!
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Les parents de Maya ont de nouveau tiré une grande table dans le salon, laquelle se remplit bientôt de convives affamés et de plats douloureusement appétissants. Bertrand porte un toast au couple star. C’est le début d’une nouvelle aventure, la naissance de leur domaine et je crois ne pas trop m’avancer en disant que tout le monde est fier d’y avoir participé!
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Les vendanges de la première parcelle avaient généré beaucoup de stress pour Maya et Nico, et ces derniers peuvent désormais se détendre. Le raisin est dans la cave. Il ne reste plus qu’à vinifier! En attendant, le vin coule à flot! Les vignerons nous font goûter les bouteilles de leurs confrères et la fête prend des airs de banquet gaulois. Une page se tourne tandis que l’on se questionne sur le futur de la récolte. Le vin sera-t-il bon? Les bouteilles se vendront-elles? Quoiqu’il en soit, le raisin goûte déjà très bien.
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​Texte et photos par Marie Pecquerie
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Nettoyer et trimballer

18/10/2016

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Un mois vient de s'écouler sans qu'on le voie passer, comme tous les ans à cette époque. Lorsque nous étions oenologues, le même cycle se répétait chaque année : une période de calme avant la tempête, puis les premiers raisins toquent à la porte du chai et tout s'enchaîne avec exaltation. Les journées s'étirent, on rentre chez soi à 22h pour repartir le lendemain avant 8h, on répond aux textos avec 2 jours de retard : le plus important, c'est le raisin et le vin, en tout cas c'est eux qui dictent comment la journée se passe. Puis les vendanges se terminent, il reste beaucoup de travail en cave mais, peu à peu, on refait surface, rincés et vaguement hébétés. 

Voilà où nous en sommes aujourd'hui. Toutefois avant de vous parler des vendanges et de nos premiers vins - bientôt, c'est promis - j'en profite pour écrire un billet auquel j'ai pensé longtemps, fin septembre, sans pouvoir trouver le temps de le faire. J'avais envie de vous parler de tout ce travail de préparation de la cave, qui est à la fois basique et capital.
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Je me souviens d'une obscure vidéo américaine, une animation mal faite sortie des tréfonds de Youtube (en anglais, ici), où l'on pouvait néanmoins entendre ce trait de génie : "faire du vin, c'est à 49% nettoyer des trucs, 49% trimbaler des trucs lourds un peu partout et 2% boire des bières". J'avais bien ri à l'époque avec ce résumé si cru et si réel. 

Aujourd'hui j'y repense parce qu'on a passé plusieurs jours d'affilée à installer des cuves lourdes sur des parpaings lourds (heureusement que dans notre chai, il y a un chariot élévateur). Ensuite, nous nous sommes acharnés à retirer tout le tartre et toutes la saleté qu'il y avait sur ces dites cuves. Ça a mis du temps.
Nous avons pris conscience, brutalement, que s'équiper d'occasion nous permettrait d'économiser de l'argent mais nous obligerait également à passer des dizaines d'heures à remettre le matériel d'aplomb et dans un état de propreté irréprochable. Bien sûr, en démarrant de rien, avec pas un outil, nous n'avons pas beaucoup d'autre choix que l'occasion. Mais voilà, on finit par payer en temps de travail ce qu'on a pas sorti du compte en banque. C'est le lot de tout les hors-cadres familiaux, et l'une des principales différence avec quelqu'un qui reprendrait, avec un domaine, du matériel qui marche. Ce n'est pas qu'il faille s'en plaindre, c'est simplement un état de fait et il faut prendre en compte dans un projet de création comme le notre.
​En parlant de propreté irréprochable... Dans le métier, on dit parfois d'un vigneron ou d'un autre : "dans sa cave, on pourrait manger par terre". C'est bien là l'objectif, parce que d'une part on est réellement en train de préparer dans nos locaux quelque chose que les clients vont boire, d'autre part je suis convaincu que c'est en ayant une cave impeccable, du sol aux cuves, que l'on obtient un produit à l'expression pure et franche. Alors évidemment, on ne va pas tomber dans l'extrême et tout rendre stérile, mais sincèrement, il faut pouvoir manger par terre
Alors, avant la première caisse de raisin, nous avons dérougi les pompes, les raccords et les tuyaux. Détartré et brossé les cuves. Démonté et décrassé les vannes, changé les joints. ​Rincé et désinfecté la sauterelle et l'érafloir. Nettoyé tous les seaux, les bassines et le reste de la "vaisselle vinaire". Poncé, repeint et graissé le pressoir à cliquet centenaire récupéré au début de l'été. Et, bien évidemment, tout ceci a été déplacé de multiples fois, à la force des bras et du dos ou à l'aide du chariot élévateur. 

Enfin nous nous sommes assuré que tout marchait ensemble, que l'on avait assez de caisses à vendange pour la récolte, que l'on pouvait les vider dans l'érafloir, que le dit érafloir tournait dans le bon sens et qu'il pouvait remplir la trémie de la sauterelle, que la dite sauterelle pouvait remplir la cuve et que les cuves ne fuyaient pas. 

​Trois jours avant les vendanges, c'était bon. Les choses sérieuses pouvaient commencer.
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Nicolas
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Fins de saisons

13/9/2016

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Aujourd’hui, c’est le dernier jour de l’été. La météo est formelle : ce soir et demain, il va pleuvoir des trombes d’eau. Les jours suivants, la température retombera sous les 20°. C’est une longue séquence qui s’achève : deux mois où il n’a pas plu, ou presque, et où il a fait entre 30° et 35° tous les après-midi. Heureusement, les nuits étaient fraîches.
Les vignes commencent à tirer la langue. Sur nos versants de causse calcaires, les sols ne sont pas très profonds et la réserve en eau n’est pas infinie. Rien de grave pour le moment : simplement quelques feuilles qui jaunissent en bas des rameaux. Le feuillage de nos vignes est haut et dru, ce n’est pas quelques feuilles en moins qui posent problème. Mais clairement, une pluie ferait du bien.
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Comme tous les fruits récoltés en cette fin d’été, mûres et figues en tête, les raisins sont d’une concentration étonnante. Peu de jus, beaucoup de sucre, une acidité vive et fraîche et une aromatique de dingue, voilà le profil des fruits après deux mois de sécheresse et d’alternance jours chauds / nuits fraîches. Une vendange très prometteuse pour la qualité, qui augmentera encore avec un peu d’eau et une fin de maturation au frais et au calme.
Voilà pourquoi nous attendons la pluie avec impatience, mais aussi avec angoisse. Le Sud-Ouest a été placé en vigilance orange « orages », avec son cortège local de grêle et de vents violents. Cahors devrait être épargnée par le gros de la perturbation. Espérons que le ciel s’en tienne à la pluie.
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Avec la fin de l’été, c’est une saison viticole qui se termine. À la vigne, il ne reste plus qu’à attendre que les raisins murissent, à goûter souvent et à récolter au meilleur moment.
On fait le bilan, aussi, de ce qu’on a réussi et raté pendant l’année. Pour notre première année d’apprentis vignerons bio, nous sommes fiers de nous. Nos vignes n’ont pas soufferts des maladies, alors que le mildiou était la menace du printemps. Nous avons appris à relever le feuillage et à rogner au bon moment. Nous n’avons travaillé nos sols qu’une seule fois, au printemps, de façon superficielle, et ça a suffit. Le côté que nous avons choisi pour l’effeuillage (nord légèrement ouest) était vraisemblablement le bon, puisque les grappes n’ont pas pris de coup de soleil ni d’échaudage. Et quand les techniciens et les collègues passent dans nos vignes, ils les trouvent belles et sont surpris, il faut le dire, que deux novices aient mené leurs vignes sans dommages à travers l’année.
​Alors voilà, ce n’est qu’un hectare, sans matériel ou presque, avec le temps de bichonner chaque plante. Une année où il a aussi fallu tout inventer, tout mettre en place et apprendre le boulot de vigneron, et en parallèle, tout organiser pour l’an prochain : quels bâtiments, quels matériels, quels financements mais aussi quel nom pour notre domaine, quelles étiquettes… Dès 2017, nous veillerons sur 7 hectares. Ce sera le même dévouement pour bichonner chaque plante et il faudra apprendre le boulot de vigneron expérimenté. Cela sera plus long, plus intense et encore plus réjouissant.
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Nicolas
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Qu'avons nous fait de l'été ?

31/8/2016

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​Après cette longue pause estivale dans nos billets, c’est un peu difficile de se remettre dans le bain. Alors plutôt que d’attaquer par un billet de fond sur des sujets qui nous tiennent à cœur, comme la biodynamie ou les démarches d’installation agricole, j’ai plutôt envie de vous parler des deux mois qui viennent de s’écouler. Alors, qu’avons-nous fait ?
 
Nous avons pris soin de nos vignes.
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Nous avons écimé, à la cisaille et à la faucille, pour limiter la végétation à ce que le palissage peut supporter. Lorsqu’on démarre la viticulture, dans une salle de classe ou dans une parcelle, il se trouve toujours quelqu’un pour dire : « la vigne est une liane, il ne faut jamais l’oublier ». Une constatation qui oscille toujours entre le lieu commun et la vérité centrale du métier, car, en effet, la vigne pousse fort et partout. Les étapes pour canaliser cette énergie sont longues et nombreuses : taille, ébourgeonnage, palissage et, ce qui nous intéresse aujourd’hui, écimage. L’écimage, ou rognage, cela consiste à couper la cime des vignes (et parfois les côtés). Suffisamment pour que le feuillage reste dressé, mais sans excès pour permettre à la plante de faire mûrir ses fruits.
Nous aurions aimé ne pas écimer, afin de ne pas stresser la plante et de garder beaucoup de feuillage. Mais cette année, avec les pluies du printemps, la végétation est vite devenue luxuriante, junglesque parfois sur les parties de la parcelle aux sols les plus profonds. Alors, le plus tard possible, nous avons écimé. 
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Une photo valant mieux qu’un long discours :
Avant
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Après
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Pendant l’écimage, nous avons reçu l’aide de Laurie, une jeune strasbougeoise venue découvrir le travail des vignes dans le cadre du Wwoof.
Le Wwoof ? Un réseau de fermes bio, centré sur l’échange de convivialité et de connaissances, comme le définit le site. Concrètement, des volontaires viennent passer quelques jours dans une ferme pour partager le quotidien des agriculteurs et participer occasionnellement à certains travaux agricoles, sans subordination et sans rémunération. Avec Laurie, outre le maniement des cisailles, nous avons pu ouvrir quelques bonnes bouteilles et parler longtemps, le soir, de l'Alsace, du vin nature, de nos trajectoires et de nos envies. L’occasion aussi de prendre du recul en expliquant nos façons de travailler et en profitant d'un regard extérieur particulièrement affûté et curieux. 
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​Nous avons aussi effeuillé, une opération qui consiste à enlever délicatement les feuilles entourant ou recouvrant les grappes de raisin.
Nous nous sommes lancés après avoir tergiversé quelques jours autour d’un dilemme particulièrement insoluble : si on effeuille et qu’il fait trop chaud, les raisins vont brûler ; si on n’effeuille pas et qu’il pleut, les raisins vont pourrir. Evidemment, cette décision se prend en début d’été, et on ne sait qu’à la fin de la saison si elle était bonne.
Nous avons donc opté pour un effeuillage délicat, seulement sur le côté nord du rang. C'est un travail long et fatigant pour le dos, ce qui nous amène à utiliser un "siège" (en fait, un bidon de plastique). Pour l’instant, les raisins ont peu souffert d'échaudage ou de coups de soleil, et nous pensons avoir fait le bon choix.
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​Nous avons fini de nous battre contre le mildiou. La sécheresse a remplacé le temps pluvieux du printemps et le mildiou est maintenant moins à la fête. Une pluie d’orage fin juillet a créé une petite alerte sur les jeunes feuilles, tendres et sensibles, mais rien d’important. À présent tout va bien. Après une année aussi difficile, ce n’est pas rien et nous en sommes heureux.
 
Dans les vignes, les raisins ont presque terminé la véraison. C’est le moment où les raisins tournent de vert à violet. La maturation commence et, d’un seul coup, l’approche des vendanges devient plus palpable.
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​Nous avons également pris nos quartiers dans notre chai. Car oui, nous avons désormais un chai. Un bâtiment que nous louons, dans lequel nous allons pouvoir installer des cuves et vinifier. Vaste, isolé, à distance raisonnable des vignes, nous allons pouvoir y travailler sereinement.
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En attendant les cuves, nous y avons amené notre premier matériel. Un pressoir à vis, que l’on actionne à la main à l’aide d’un système de cliquet, doté d’une belle cage en bois. Un outil vénérable et sans âge, même si on le devine centenaire ou presque, qui va nous permettre de presser notre petite récolte 2016. Après un bon nettoyage, le voilà reparti pour une nouvelle vie.
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À présent, nous préparons les vendanges : nous allons faire transporter nos cuves que nous achetons d’occasion, nous commandons les seaux et les sécateurs qui serviront pour la récolte (manuelle), nous constituons notre équipe de cueilleurs…
Nous faisons aussi beaucoup de papiers pour le passage à une activité viticole « professionnelle » l’an prochain, mais nous en parlerons une autre fois. Pour l’instant, restons dans le concret : que les raisins mûrissent ! 
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Nicolas
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Des pieds et des mains

5/7/2016

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Par la force des choses, nous voici revenus à l’époque du travail des vignes d’avant la mécanisation. En prenant un hectare dès cet hiver, en attendant plus grand, notre idée était de nous lancer, d’apprendre le travail de vigneron et aussi de nous équiper au fur et à mesure de l’année.
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Mais pour s’équiper, pour investir, même d’occasion, il faut des financements. Bancaires, dans notre cas. Malheureusement tout cela prend du temps : il va sans doute s’écouler 3 ou 4 mois entre le premier rendez-vous avec le banquier et le versement du premier prêt. Tenter de faire avancer ces démarches en mai et juin, alors que la vigne demande une attention constante, quotidienne, n’est pas une partie de plaisir. Le temps des dossiers n’est pas celui de la plante. La vigne, elle, pousse, prend le mildiou, pend de chaque côté du palissage, se fait concurrencer par l’herbe. Elle n’attend pas que le prévisionnel économique soit fini pour demander qu’on s’occupe d’elle. Elle grille la politesse à tout le monde. 
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En attendant d’avoir un tracteur, une charrue vigneronne, des outils mécanisés, nous nous adaptons. Il nous reste nos mains et nos bras pour travailler.

Nos meilleurs alliés, ce sont les anciens vignerons du village. Les tracteurs sont arrivés tard à Cahors, en tout cas sur le Causse. Et on trouve aisément des vignerons de 70 ans qui ont travaillé leur vignoble avec des animaux, souvent avec des bœufs, et qui sont fiers de montrer les jougs des différents attelages. Piocher les vignes, couper la cime à la faucille, ils connaissent. Ils ont fait cela plus souvent qu'à leur tour. Alors quand nous allons vers eux pour demander conseil, on sent leur jeunesse remonter à la surface. Des années de mascagne, comme on dit ici, de travail harassant et pénible, mais des années « où l’on savait travailler la vigne ». Sans verser dans la nostalgie de cette époque où les kilos de raisin réclamaient, pour arriver à la cave, encore plus de sueur qu’aujourd’hui, le récit des vignes menées en gobelet, sans palissage, au cheval, alors que chaque ferme possédait aussi un petit troupeau de vaches pour le lait et l’indispensable fumier, est franchement passionnant.
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Le savoir-faire de ces vignerons à l’ancienne est une mine d’or. Dans l’immédiat, nous en retirons pour notre travail des choses très simples : quelle forme de pioche utiliser dans les cailloux du Causse, comment entretenir la lame de sa faucille à la parcelle, de quelle façon restaurer la cage d’un pressoir manuel… Et puis nous prend aux tripes l’envie de retrouver ce goût tombé dans l’oubli, puisqu’aujourd’hui 95% des vignes sont palissées sur des fils de fers ; que les cépages ancestraux Jurançon noir et Valdiguié, qui côtoyaient le Côt, ont été bannis du cahier des charges de l’AOC au profit du Merlot, considéré comme améliorateur. Forcément, cela nous appelle.
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Une vieille parcelle en "gobelet", sans palissage, chez Jérémie Illouz
Mais trêves de rêverie : je vous présente nos outils pour cette campagne 2016.
 
Un pulvérisateur à dos, 22 kg sur le dos lorsqu'il est plein, et des temps de traitements qui se comptent en journées. Nos amis nous avaient prévenus : « vous allez en chier ». C’est vrai. Mais il faut bien cela pour espérer gagner contre les champignons et sauver sa récolte.
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Une cisaille, qui a bien fait rire les anciens : « laissez tomber ça. On va plus vite à la faucille ». Et donc, des faucilles, sorties des granges et des brocantes, aiguisées, prêtes à rogner lorsque ce sera nécessaire…
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Une pioche standard, mal adaptée aux cailloux. Du coup, au vide-grenier de dimanche, nous sommes tombés sur un vieux stock d’outils rouillés, d’où nous avons exhumé des têtes de sarclette et des bigos. Nous les avons emmanché ; je suis sûr qu’elles feront des merveilles
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​Pour presser notre récolte, nous avons aussi trouvé dans la grange de vignerons à la retraite, inutilisé depuis 20 ans peut-être, un vieux pressoir en bois, à cliquet. Il pèse apparemment un poids dingue. Ils nous l’ont cédé, il reste à l’amener dans le chai où nous vinifierons.
Donc voilà : nous sommes en plein dans la convivialité et la réappropriation du geste.
Nous conduisons notre hectare comme un jardin.
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Le point positif, c’est qu’en n'étant plus passé en tracteur depuis un travail du sol au printemps, les sols se sont décompactés et offrent maintenant aux pieds un délicieux aspect moelleux. Probablement aidée également par le passage des préparations biodynamiques, la vie revient, pour notre plus grand bonheur.

Nicolas
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Vendredis du vin #86 : racines

25/6/2016

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Tous les mois, les blogueurs vinophiles sont conviés à raconter une histoire selon un thème désigné par un président tournant. Pour cette édition, l'auteur du blog EscapadeS a choisi "les vins racinaires". Ça m'a donné envie de faire un petit flashback et plutôt que de vous parler de minéralité ou d’enracinement dans la roche, de consacrer un court billet sur les racines de notre projet. 

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Lorsque nous avons décidé de faire le grand saut et de vivre de notre passion en devenant vignerons, nous savions que nous allions prendre la direction du Sud-Ouest. Une affaire de racines, évidemment : la famille de Maya s’est établie aux confins du Périgord et du Quercy voici trente ans. Quant à moi, après avoir grandi au Pays Basque, le grand Sud-Ouest a toujours été « chez moi ». Les mots occitans ou gascons parfois francisés qui pimentent les anecdotes, les fêtes votives qui jalonnent l’été et le printemps, la cuisine qui ne recule jamais devant la force des ingrédients et qui les assemble pourtant harmonieusement, nos amis et nos familles autour de nous, ce à quoi s’ajoutent des vignes encore accessibles pour des néo-vignerons : quelle autre destination pouvions nous prendre ?
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Pas celle-là

​Le Sud-Ouest mis à part, nous nourrissons depuis longtemps une tendresse particulière pour les terroirs calcaires. Cela tient à rien, cette signature du calcaire : le sentiment fugace de tension sur la fin de bouche, la droiture, la vivacité traçante. La puissance aussi, lorsque par bonheur l’argile s’en mêle…
 
Sud-Ouest, calcaire. Voilà ce qui nous a amené à Cahors un après-midi de décembre. Nous avions lu des commentaires élogieux sur les vins de Fabien Jouves et lui avons rendu visite dans son domaine de Trespoux-Rassiels. Fabien est arrivé des vignes, visiblement heureux de sa journée, et a entrepris de nous faire goûter tous ses vins et toutes ses cuves. 

De Cahors, je ne connaissais globalement que les vins des terrasses quaternaires, que j’avais pu goûter lors de mes études à Toulouse à la fin des années 2000. À l’époque, l’appellation communiquait encore sur le « Vin Noir ». Et effectivement, lorsque nous prenions le métro pour rentrer après une matinée de dégust’, mes condisciples et moi avions les lèvres et les dents bien teintées, attirant sur nous les regards outrés et vaguement réprobateurs des autres passagers de la rame. Les matières de ces vins étaient intenses et soutenues par des élevages sous bois prolongés. Si j’ai goûté des vins issus des plateaux calcaires à l’époque, je n’ai pas su ou pas pu les distinguer.
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​Chez Fabien Jouves, j’ai été surpris par la fraîcheur des trames, la dentelle des tanins et la buvabilité des Cahors d’entrée de gamme. Ses grandes cuvées m’ont plu, bien sûr : le Bloc ou les Acacias sont pour sûr des grands vins. Mais j’ai vraiment apprécié l'interprétation de ce cépage juteux que qu'est le Côt – dites Malbec si vous préférez – dans sa cuvée des Escures et surtout dans celle de la Roque, pour moi un parfait équilibre entre énergie, caresse tannique et persistance.

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​Par la suite, en goûtant et regoûtant dans le secteur, j’ai pu constater que d’autres producteurs du Causse et de la Vallée arrivaient, eux aussi, à capter l’énergie typique de ce cépage fabuleux, qui, à mon sens, n’aime pas qu’on lui triture la peau pendant la vinification.
Je ne crois pas vraiment à l’idée d’un instant décisif, qui change pour toujours une trajectoire, un destin. Toutefois, dans le chevelu racinaire dense et ramifié des causes et des effets, je dois à cet après-midi chez Fabien Jouves, et à la bouteille de La Roque qu’il a dégusté avec nous, cette conviction profonde qu'il était possible de nous installer sur les hauteurs de Cahors et de travailler à élaborer des vins que nous aimerons passionnément.
 
Aux racines de cette aventure que nous racontons mois après mois, il y a donc un peu de ce vin. À présent, nous travaillons des vignes sur ce plateau calcaire qui nous a tant appelé. La floraison se termine, les grains de raisin de notre première récolte sont en train de se former. Mais c’est déjà une histoire de fruits, et plus vraiment une histoire de racines...
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Nicolas
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Se battre... et tenir

18/5/2016

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Au tout début, quand le domaine n'était qu'un projet lointain, une idée dans nos têtes, nous avons cherché des vignerons qui avaient eu le même parcours, des hors cadre familiaux installés. Nous nous posions beaucoup de questions, nous avions besoin de réponses, d'abord d'ordre pratique mais également théorique. Nous avons imaginé ce blog, fil rouge de notre installation, pour que d'autres profitent de notre expérience. Nous nous éloignons parfois, souvent même, de ce but, mais je vais ici m'adresser à eux, à ces futurs paysans.
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Nous ne sommes qu'au début de notre projet (en réalité, je ne sais pas trop où nous en sommes, le chemin parcouru est déjà si long) mais je peux déjà dire qu'il va falloir se battre. Se battre, et tenir. 
Car tous autour de vous, l'agriculteur à la retraite, le conseiller expérimenté, le banquier en cravate, la voisine attentionnée, le collègue à l'écoute, certains de vos amis, tous vous le diront : ne le faites pas. Restez salariés. Ce n'est pas viable. C'est un métier dur. Cela vous prendra tout votre temps. Vous ne gagnerez pas votre vie. 
Ils ont raison. C'est dur, c'est énorme et ça prend toute la place. Ils ont raison, vous ne deviendrez pas riche.
Mais ils ont tort aussi car cela donne du sens. Il y a sûrement des voies plus faciles, plus sécurisantes, des métiers passionnants et moins risqués, mais c'est comme ça, nous n'imaginons pas notre vie autrement. Nous avons fait un choix et nous nous y tenons. Vous aussi, vous devrez vous y tenir fermement, car parfois, la confiance vacille.
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Ecoutez-les, tous ces gens, car leurs conseils sont justes. À vous d'y injecter ensuite l'optimisme nécessaire pour avancer. À vous de trier ce qui est bon à prendre et ce qui vous encombre. Ce n'est pas évident et les émotions sont fortes. Accrochez vous, ça secoue sacrément. 

Ecoutez-vous, aussi. Laissez-vous le temps. Allez voir vos amis. Soufflez, vous le méritez. Car vous allez aussi devoir affronter vos choix. Vous allez devoir les justifier. Il y aura toujours quelqu'un pour vous dire que vous faites erreur, que vous auriez dû faire autrement. Ils ne sont pas vous. Ils ne sont pas à votre place. Car parfois, vous n'aurez pas le choix. Oui, tout faire à la main c'est difficile, oui, il existe un meilleur outil quelque part, oui, les terroirs sont beaux ailleurs, oui, ici il grêle, il gèle, il y a trop d'eau en hiver et pas assez en été, oui, oui, oui. Tout cela est parfois vrai. Tout cela est parfois faux. Sachez pourquoi vous faites les choses, c'est cela qui est important. Parfois, sachez juste capituler, car c'est la réalité la plus forte. Et ce n'est pas toujours un mal.

Ecoutez les optimistes, surtout. Ceux qui vous poussent, ce qui croient, ce qui sont heureux pour vous, motivés, passionnés. Cherchez, fouillez, restez curieux, faites des erreurs et relevez-vous. Appuyez-vous sur ceux qui comptent. Leur voix est moins forte, mais elle est là. Avancez, tenez bon, et surtout soyez solides, soyez heureux, soyez confiants : la route est belle.
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 - Maya - 
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The transplants

10/5/2016

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Fin mars, nous avons abandonné nos sécateurs pour une journée de plantation à Volvic chez notre ami Vince. Mais avant de tout vous raconter, je suis obligée remonter un peu dans le temps.
 
Il y a un peu plus d'un siècle, les vignes européennes ne connaissaient pas encore la plupart des maux qu’elles subissent aujourd’hui.
À la fin du XIXème siècle, des plants de vigne sont importés depuis les Etats-Unis jusqu’en Angleterre, puis en Europe continentale. Avec ces mouvements de matériel végétal arrivent des ravageurs et des maladies jusqu’ici inconnus. C’est l’oïdium qui débarque en premier en 1845, puis le phylloxera en 1863, et enfin le mildiou en 1878.
Le phylloxera est particulièrement dévastateur. En effet, ce petit puceron s’attaque aux racines des vignes et les fait mourir. Le fléau se propage à grande vitesse en France et, autour de 1880, à peine un quart de la surface viticole française subsiste encore. De nombreux vignobles sont définitivement perdus. C’est le cas dans le Périgord Noir, où le tabac remplace la vigne et seuls quelques noms de lieux-dits évoquent encore cette période révolue.
Tous cherchent une solution. Les seules vignes qui survivent sont celles qui poussent dans des sols sableux. Certains vignerons parviennent à sauver leurs parcelles en les inondant pendant l’hiver, le puceron détestant l'eau. D’autres injectent différents produits dans les sols, mais sans succès. La réponse viendra finalement du même lieu que le problème, car aux USA, les cousines de nos Vitis vinifera européennes vivent parfaitement bien avec le petit insecte. 
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Les agronomes, dans un premier temps, font le choix de croiser les vignes américaines et les vignes européennes afin de les rendre tolérantes au phylloxera. C’est ce qu’on appelle les hybrides producteurs directs. On en trouve encore aujourd’hui, dont le fameux « raisin fraise », qui ravit les palais par son goût de fraise des bois (que l’on appelle « arôme foxé » chez les pros).
Malheureusement ce n’est pas une solution durable. Les fruits des vignes d’outre-Atlantique sont de bien moins bonne qualité que les européennes… Sans parler de la perte de siècles de sélection, qui avait abouti à l’obtention de cépages adaptés à leur terroir. En effet, qui imagine la Bourgogne sans Pinot noir ou l’Alsace sans Riesling ?
À Montpellier et dans le Beaujolais, d’autres agronomes explorent la greffe des vignes européennes sur des « américains ». Les résultats sont très bons et la technique se développe. Les porte-greffes sont eux-mêmes sélectionnés ou croisés pour obtenir certaines qualités : résistance au calcaire, production accrue… 
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Statue fascinante à Montpellier SupAgro : la vieille France malade du phylloxéra sauvée par la jeune vigne américaine (source photo : Wikipédia, source explication : Maya Sallée et Liz Thach)
Les deux techniques cohabiteront jusqu’aux années 1950, moment où les hybrides producteurs directs seront interdits, accusés de donner des vins contenant trop de méthanol (l’alcool qui rend fou) ou de ne pas être assez qualitatifs. Actuellement, la seule issue contre le phylloxera, présent sur tout le territoire, reste le greffage sur porte-greffe résistant. Sauf rares exceptions, aucune vigne n’est plantée « franc de pied ».
La plupart des vignerons, pour établir une nouvelle parcelle, utilisent des vignes déjà greffées par un pépiniériste. Mais Vince, lui, a fait un choix différent. Retournons donc à ce mercredi de la fin mars.
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Mardi soir, fin de notre journée de taille, nous filons chez Vincent Marie, du domaine No Control (http://www.vin-nocontrol.fr/fr/). Nous y retrouvons Valentin Morel (http://www.domaine-morel.fr), venu aider lui aussi et qui arrive du Jura.
Vince et Valentin se sont installés il y a peu et nous donnent de nombreux conseils pendant le repas, avec deux ou trois années de recul. Ces moments d’échange sont vraiment précieux. Nous nous sentons parfois un peu seuls, dans nos parcelles face à nos pieds de vigne, le partage d’expérience (et de bouteilles !) est fondamental.
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Le lendemain nous rejoignons les vignes vers 8h00 après une courte nuit, bien emmitouflés car le vent passe se rafraîchir sur les neiges de la chaîne des Puy avant de venir siffler dans nos oreilles.
Les plants ont été expédiés par fagots de 500 avec leurs racines nues. Nicolas les recoupe d’abord à deux ou trois centimètres pour assurer la reprise dans leur nouvel environnement. Nous sommes surpris : pas de cire rouge sur les plants, donc pas de point de greffe. C’est là toute l’originalité de Vince, il plante d’abord ses porte-greffe (les vignes américaines) avant de venir surgreffer avec des européennes quelques années plus tard. C’est un travail qui se fait à la main, on fait une encoche dans le jeune tronc puis on y glisse un bourgeon de Vitis vinifera. Les ceps greffés ainsi, à la parcelle, sont réputés plus durables, développant moins de maladies au fil du temps. Les jeunes plants non greffés sont également plus résistants, surtout vis à vis de la sècheresse ; il y a moins de mortalité les premières années. 
A gauche : Nicolas coupe les racines avant la plantation - Au milieu : pied non greffé prêt à s'implanter en Auvergne - A droite : greffés-soudés classiques, source : http://www.comtat.com
Avant de les mettre en terre, nous trempons les pieds dans un mélange d’eau, de bouse de vache et d’argile : le pralin. Il sert à garder un environnement humide autour des racines. Puis nous creusons. Enfin, ce sont plutôt Vincent et Valentin qui creusent. Nos bras et nos mains ne sont pas encore taillés pour cet effort, il nous faudra encore quelques mois d’entrainement pour être aussi rapides et endurants qu’eux.
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Seau de pralin vide : la journée touche à sa fin
Vince est venu la veille matérialiser les futurs rangs avec des cordes. C’est un travail précis et fastidieux : il faut vraiment planter droit et régulièrement, sinon tout le travail mécanique des années à venir est compromis. Un tracteur qui passe largement dans un rang de 1,5 m arrachera peut-être des souches avec 20 cm de moins. Les cordes sont placées en longueur et en largeur : à chaque croisement, on creuse un trou et on plante un pied.
C’est agréable de travailler à plusieurs : on parle, on blague et, de temps en temps, on ne dit rien, on se concentre sur le travail qui est parfois ardu dans les argiles d’Auvergne. 
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À la fin de la journée, nous sommes fiers et heureux. Vince nous dit qu’on boira la première bouteille ensemble et je suis assez émue de voir tous ces pieds qui vont s’enraciner ici, un peu grâce à nous.
Tout le monde se dit au-revoir, nous sommes pressés de revoir nos vignes, Valentin aussi ; avec le printemps précoce, il y a encore plein de travail à abattre avant le débourrement des bourgeons.
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La fine équipe ! 
Avant de partir nous faisons un petit détour pour aller rendre visite à la Marie. Dans sa petite épicerie, elle vend de tout, mais surtout des pâtes de fruit, du saucisson délicieux et du Saint Nectaire. « Vous voulez le choisir ? Vous savez où est la cave ? ». Nous descendons l’escalier tout raide qui débouche dans une cave voûtée magnifique. Les fromages attendent sur la paille, couvés du regard par un beau chat tigré. « Grâce à elle, je n’ai pas de souris » nous explique Marie. Elle nous indique comment bien choisir notre St Nectaire et nous répète ses préconisations en boucle, comme une longue litanie « ne jamais le mettre au frigo » « il doit être bien moelleux, il faut le tester entre le pouce et l’index » « surtout, il ne faut pas enlever la croûte, juste la gratter…le meilleur est sous la croûte ! ». Et tout en palpant les Saint Nectaire, je me dis qu’il suffit parfois de pousser une porte pour voyager !
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Vendredis du vin #84 : l'énergie

1/5/2016

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Le thème mensuel des Vendredis du vin nous a beaucoup plu. Guillaume Deschamps, depuis son blog Roumegaïre, a choisi « l’énergie ».
Et d’expliquer ainsi sa proposition :  
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​"Quand le concept d’énergie m’est venu à l’esprit, je ne pensais pas du tout au vin, mais aux vigneronnes et aux vignerons. Car de l’énergie il en faut pour produire du vin, il faut même en dépenser sans compter.
De l’énergie, il en faut pour se lancer, pour se dire « ok je deviens vigneron ». En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, il faut se découvrir aussi bien ouvrier viticole que tractoriste et agronome ; caviste (dans le sens d’ouvrier de cave), vinificateur, oenologue ; gestionnaire, comptable, juriste, être capable de dialoguer aussi bien avec les douanes (qui contrôlent les mouvements de raisins et de vins, et se chargent de percevoir la fiscalité liée aux boissons alcoolisées) que la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, qui contrôle aussi bien les vins que les étiquettes), le ou les ODG (Organisme de Défense et de Gestion, au niveau d’une appellation), l’interprofession (niveau régional), ou encore l’INAO (Institut National des Appellations d’Origine, au niveau national) sans parler de la Chambre d’Agriculture, la MSA (Mutuelle Santé Agricole), les diverses formes juridiques d’une entreprise agricole ou de négoce… ; communicant, marketeur, graphiste, organisateur d’événement et surtout commercial."


Evidemment, ça nous a beaucoup parlé, car ces dernières semaines nous avons travaillé sur la plupart de ces sujets : aller travailler nos vignes, passer les préparations biodynamiqus, chercher un tracteur d’occasion, trouver un nom, penser à nos futures étiquettes et à leur présentation.... Quand aux acteurs de la filière listés, nous avons travaillé avec chacun d’entre eux pour nous affilier, créer un numéro d’exploitant, obtenir ou non l’AOC cette année, monter un prévisionnel économique, au milieu d’une multitude d’autres sujets.
Parler d’énergie, au moment où nous consumons la notre sans compter, pour se retrouver épuisés le dimanche soir et recommencer de plus belle le lundi matin, ça nous plaisait.

Mais si nous mobilisons tous ces efforts, c’est par amour de la vigne et du vin, et rien que pour cela j’aborderai ce thème par ce biais. Je voudrais écrire à propos des terroirs qui dégagent une énergie impalpable mais perceptible, quelque chose qui frôle souvent le mystique. Parfois, sous la patte d’un vigneron inspiré, on retrouve dans le vin l’énergie particulière du lieu.
Je pourrai vous parler des plateaux où nous nous installons à Cahors, avec leurs vues immenses, leurs jeux d’ombres et de lumière sous les nuages épars d’un jour comme aujourd’hui, mais tout ceci ne serait pas très objectif. J’aurai pu aussi écrire à propos de la colline de l’Hermitage, qui exerce sur moi une fascination magnétique, mais malheureusement je n’ai pas goûté assez d’hermitages pour pouvoir en parler précisément.
Non : quand je pense au vin et à l’énergie, je pars tout de suite pour l’Alsace. Et à deux terroirs en particulier.
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Avec Denis, sur le Hengst
Le premier, c’est le Hengst, ce grand cru situé au-dessus de Wintzenheim. Hengst, « l’étalon », est un terroir de puissance, de vivacité et d’énergie. Un terroir qui rend dingue de passion les copains qui y travaillent des vignes. On les comprend lorsqu’on s’y rend, pas seulement pour la vue sur la vallée ni pour la beauté des vignes. Quelque chose d’indescriptible, un sentiment devant la force du monde naturel et minéral, que d’autres ont d’ailleurs dû ressentir avant nous puisqu’on trouve en haut du coteau un monolithe celte et une chapelle, où vécut un ermite.
Pour moi, les vins du Hengst, ce sont les Riesling de Christian, Véronique et Denis Hebinger, à Eguisheim. Toujours dans une puissance retenue, dans une finale large, vive et minérale. Des vins sérieux, de réflexion, qui parlent à l’âme et, fidèles à l’esprit du lieu, qui ne peuvent s’apprivoiser qu’après avoir laissé leur prime jeunesse derrière eux. 
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L’autre terroir, c’est le Bollenberg, une grande croupe calcaire entre Rouffach et Issenheim. C’est le terroir solaire par excellence, un endroit où les millésimes de sécheresse ne pardonnent pas. Mais quand il pleut assez, cela justifie tous les efforts déployés les mauvaises années. Cette colline aussi est un lieu sacré depuis longtemps : les celtes y célébraient un culte solaire, les mérovingiens y établirent une nécropole, la communauté chrétienne y construisit une chapelle. Et depuis toujours on raconte que des sorcières se rassemblent au sommet pour y fêter le sabbat.
Nous, c’est le vin qui nous y a appelés. L’endroit est vraiment extraordinaire, et par ailleurs, il en sort de fabuleux pinards. Nous y sommes montés un soir avec une bouteille de Riesling d’Eric Litchlé, un vigneron de Gueberschwihr, un village plutôt éloigné du Bollenberg, mais quand le terroir est passionnant, on ferait pour lui de nombreux kilomètres en tracteur. 
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 N'appelez pas la SPA, c'est bien nous qui l'avons bue. Vous pouvez par contre nous en offrir, c'était la dernière.
Nous nous sommes installés au-dessus de la parcelle en question et avons lentement bu la bouteille. Le vin était pur, cristallin, avec une puissance solaire sur la trame acide du calcaire, et une finale de pierres chaudes. La nuit était belle, tiède et étoilée. Nous y avons passé la nuit. Aucune sorcière ne s’est montrée. Ce soir-là, c’était nous qui célébrions le sabbat au sommet du Bollenberg.

Nicolas
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L'orage

16/4/2016

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Le ciel devient noir et blanc, s’arque boute et se déchire à l’infini. La nature rugit sa puissance. Elle nous rappelle que nous ne sommes que de la poussière de roche, rien, une particule dans le tumulte. J’ai toujours trouvé cela si beau, l’orage. Je me souviens, enfant, du bruit du tonnerre qui nous réveillait en pleine nuit, les éclairs blancs dans le ciel tout noir, la pluie froide, dure, sur la peau chaude et humide de la fin de l’été. J’aimais cette beauté brute et sauvage, et la douce panique, aussi, qui nous envahissait. Nous courrions partout débrancher les machines, arracher les prises de téléphone. Une fois où nous n’avions pas été assez rapides, l’alarme avait pris feu. Puis la foudre passait et nous laissait tout frissonnants de tension et d’excitation mêlées. 
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A l’heure où j’écris ces lignes, l’orage est là. Le ciel est devenu sombre en plein jour, à défaut de s’éclairer en pleine nuit comme dans mes souvenirs d’enfant. C’est le troisième en quatre jours. Les deux premiers ont amené avec eux leur lot d’angoisse et de tristesse. Alerte orange grêle. Méteo France a tamponné le grand G sur Cahors cette après-midi. 
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Hier soir, ils n’avaient rien vu venir. La journée avait été chaude et ensoleillée, joyeuse. Nicolas avait remarqué, vers 19h, s’accumuler les cumulonimbus, au loin, du côté d’Agen. Le plateau, à Cahors, a la particularité d’offrir le ciel à celui qui regarde. On voit tous les nuages passer sur la vallée de la Garonne, au-dessus de la Dordogne, filer vers l’Est ou s’accumuler à l’Ouest. Des paysages entiers emplis de nuages. On croirait se noyer dans tous ces horizons. 
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Vers 22h, le ciel se déchirait enfin. Il semblait éclater de tant de lumière. L’enfant en moi se réveillait et je trouvais ça beau. Beau et terrifiant. Puis nous l’avons entendue arriver. La crainte de tous les agriculteurs. Elle prévient avant de frapper, claquant sur la terre, tambourinant sur le sol détrempé. La grêle. Sans pitié. « C’est ça d’être agriculteur, on travaille, on travaille et en un quart d’heure, on a tout perdu » comme dit ma voisine à l’accent d'ici de sa voix chevrotante. 
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Nous n’avons pas tout perdu hier soir, heureusement. Quelques bourgeons se sont volatilisés, ici ou là, arrachés par les noisettes de glace. Ajoutés aux dégâts des escargots, bien nombreux après un hiver si doux, 20 à 30% des petits rameaux ont disparu. Si tôt, la vigne peut encore se remettre…
Mais j’ai surtout perdu mon amour d’enfant et beaucoup de mon insouciance. Et si jusqu’à maintenant je ne réalisais pas encore, je crois bien que j’ai franchi un vrai cap dans notre installation. Hier soir, dans la douleur et l’angoisse, la nuit, à regarder les grêlons tomber du ciel, les prenant, glacés, dans ma main tremblante pour évaluer leur taille, je me suis sentie devenir vigneronne. 
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- Maya - 
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Sortie d'hiver

10/4/2016

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Le bail des vignes signé, fin février, nous avons dû mettre les bouchées doubles. Au fur et à mesure des semaines, nous avons vu les pommiers et les pruniers fleurir, les pâquerettes et les pissenlits apparaître dans les prairies, les hirondelles revenir de migration : le printemps était en avance, et on pouvait l’entendre arriver. Aller dans les vignes pour finir le travail à temps est devenu la priorité absolue.
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Premier travail : la taille. Nous en avons bavé, du moins au début. Il a tout d’abord fallu se rendre compte qu’avec nos sécateurs à main, c’était hyper dur. Certains de nos collègues vignerons ont abandonné leurs sécateurs électrique pour des outils à main japonais, à la qualité de coupe impeccable ; nous aurions bien aimé les imiter. Mais la parcelle que nous reprenons est bien trop vigoureuse, avec des sarments nombreux et de beau calibre. Non seulement les mains souffraient, mais nous n’avancions pas. Au bout de deux semaines, changement de plan. Après avoir écumé le Bon Coin et trouvé la bonne occasion pas trop loin de chez nous, nous étions équipés avec un sécateur électrique chacun, batterie à la ceinture, prêts à dépoter. Le rythme a augmenté d’un coup et nous nous sommes sentis pousser des ailes.
 
Alors que nous passions nos journées à observer les pieds et à tenter, sur chacun, de former la plante selon les principes de la taille Guyot-Poussard, nous avons été heureux de voir se multiplier, sur Internet et dans la presse, les articles consacrés à cette technique, alors qu’ici, les avis étaient plutôt sceptiques. La prise de parole éclairante de Jean-Michel Comme (directeur technique du château Pontet-Canet, à Pauillac) dans le Point, mais aussi celle de Pascal Lecomte dans La Vigne, nous ont fait plaisir, le soir, à l’heure de se masser les mains. Si le sujet vous intéresse, que vous souhaitez mieux comprendre ce qu’on entend par « respect des flux de sèves », nos amis de Dambach-la-Ville, Florian et Mathilde Beck-Hartweg, y ont consacré une vidéo Youtube.
Pied après pied, l’habitude venant, nous nous sommes vu travailler mieux et surtout plus vite. Nous avons taillé le dernier rang à une vitesse tout à fait honorable, dix fois plus rapidement que le premier rang. Nous ne sommes déjà plus des tailleurs débutants.
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La taille est le principal chantier de l'hiver, mais ce n'est pas le dernier. Une fois cela terminé, il faut tirer les bois. Cela consiste à enlever du palissage les branches qui ont été supprimées à la taille, puis à les placer en tas bien compact au milieu du rang pour les broyer un peu plus tard.
 
A ce niveau de l’article, une définition de certains termes techniques s’impose. Pas d’inquiétude, faisons cela en image :
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Le long sarment, c’est la baguette. Les bourgeons qu’elle porte donneront les rameaux sur lesquels pousseront les feuilles et les fruits. C’est elle qui porte la quasi-totalité de la récolte de l’année.
Les deux petits segments, ce sont les coursons. Le premier se trouve juste sous la baguette, l'autre est en haut à droite du pied, juste sous le fil. Les coursons sont peu fructifères, mais ce n’est pas leur fonction première. L’objectif, c’est que les rameaux issus de leurs bourgeons forment les branches gardées à la taille l’an prochain, c'est-à-dire la future baguette… et le futur courson.
 
Dans la taille Guyot classique, il n’y a qu’un courson. Dans la taille Guyot-Poussard, comme sur la photo, on en conserve deux, un de chaque côté du pied, pour justement faire circuler la sève des deux côtés. Si l’on abandonne un côté en supprimant le flux, le bois se nécrose et des champignons s’y développent, pouvant dans le pire des cas tuer le pied.
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Tout ça pour vous parler de l’attachage. Cela consiste à rabattre la baguette sur le fil bas du palissage. Plus la baguette est basse et près du fil, plus les rameaux auront de place pour monter jusqu’en haut du palissage. C’est capital, car pour faire mûrir les raisins, il faut suffisamment de feuillage.
 
Nous avons pu nous rendre compte que le Malbec, à l’attachage, était un cépage plutôt capricieux. Un peu trop de brusquerie et la baguette se rompt. S’il y a quelque chose de contrariant, après avoir taillé soigneusement son pied, c’est bien de casser une baguette. Presque pas de récolte sur le pied, les rameaux des coursons qui vont grossir sans retenue et compliquer la taille de l’année suivante : c’est une catastrophe en miniature à chaque fois que cela arrive. Alors on peste, on se dit qu’on a était trop brutal, qu’il vaudrait mieux attacher sous la pluie, que la baguette était trop grosse... puis on se rappelle que tout le monde casse une baguette de temps en temps. Pour éviter de telles montagnes russes émotionnelles, on plie doucement, en faisant délicatement craquer le bois avec des gestes contrôlés, on ruse, et finalement, on place le lien qui maintient la baguette à sa place. ​
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Alors que nous attachions les derniers rangs, nous avons pu voir la vigne commencer son cycle. Les bourgeons ont gonflé, dévoilant leur bourre cotonneuse, puis ils ont peu à peu éclaté. Aujourd’hui, on commence à voir une ou deux petites feuilles sortir sur les pieds les plus précoces. C’est vraiment une période fascinante qui démarre. Chaque jour, la vigne va montrer un visage légèrement différent de la veille.

Les travaux d’hiver sont maintenant terminés. La saison végétative débute, avec dix jours d’avance sur la moyenne d’après les techniciens du secteur. Les travaux de printemps commencent ; il va falloir protéger les jeunes feuilles et les jeunes rameaux du mildiou et de l’oïdium qui vont bientôt les menacer, canaliser la végétation, nourrir et entretenir les sols... On ne va pas s’ennuyer ;)

Nicolas
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Une étape de plus dans le parcours d'installation

12/3/2016

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Ce n'est pas tout d'avoir des vignes dont il faut prendre soin. A côté continuent les démarches d'installation, l'occasion de rencontrer des futurs collègues agriculteurs et de réfléchir aux différentes formes d'agricultures qui cohabitent aujourd'hui.

​Entre les journées de taille, entre les derniers déballages de carton, j’ai trouvé le moyen de suivre les formations obligatoires de la Chambre d’Agriculture pour s’installer agriculteur en parcours aidé. La réalisation du fameux parcours PPP, le « plan de professionnalisation personnalisé ». Qu’est-ce que c’est ?
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​Le « plan » commence à la Chambre d’Agriculture, par un entretien de préparation présenté ici sur le site des ADEAR. Cet entretien très sérieux, réalisé par la Chambre pour le compte de la Préfecture, a pour but de définir les besoins en formation du futur installé. Il est obligatoire pour s’installer agriculteur avec les aides de l’Union Européenne. Pour rappel (nous en avions parlé ici dans un précédent article), le parcours aidé n’est pas le seul possible. On peut aussi s’installer sans contraintes et sans aides, en allant directement déposer les statuts de son entreprise au centre dédié de la Chambre. Pour bien cadrer le projet et pour ne pas nous passer des aides à l’installation, Maya et moi suivons le parcours aidé.

Mon entretien a eu lieu il y a deux mois, avec trois ingénieurs de la Chambre : une conseillère installation, un conseiller viticole et la conseillère du canton. Pendant une heure et demie, nous avons donc fait le tour de mon projet, de ma formation scolaire et de mes expériences professionnelles, pour identifier mes points forts et mes lacunes. Selon les cas, les conseillers prescrivent des formations, des stages, l’acquisition d’un diplôme, etc. Pour ma part, j’ai eu à effectuer les deux actions minimales : un stage de 4 jours (le « 28 heures ») et un stage d’aide au prévisionnel économique.
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​Pour ces deux stages, j’ai retrouvé une douzaine d’autres candidats à l’installation. Je n’ai pas pu m’empêcher de comparer les profils entre ces futurs agriculteurs, et ceux que j’avais rencontré à l’automne lors des formations de l’ADEAR. Ici, une quasi-totalité d’hommes (tous en fait, sauf une conjointe), et 85% de projets en agriculture conventionnelle. Presque tous sont des fils d’agriculteurs. Beaucoup d’élevage, aucun maraîcher, et bien sûr aucun projet d’agriculture très spécialisée type plantes aromatiques. Des projets traditionnels, pensés pour produire avant tout.
À noter aussi : un quart des stagiaires sont des futurs éleveurs de canards gras, « en intégration » comme on dit dans le milieu agricole, c'est-à-dire que la grande coopérative de la région leur vend des canards prêts à gaver ainsi que de l’aliment, de la farine de maïs. Les éleveurs les gavent pendant douze jours, après quoi le camion de la coopérative vient chercher les canards pour assurer l’abattage, la transformation et la commercialisation. Dans ces projets au sein de la coopérative, les agriculteurs fournissent, en fin de compte, leur force de travail ainsi qu’un bâtiment financé par un crédit.
Les trois jeunes paraissent très heureux de ce schéma d’installation. Quant à la crise de la grippe aviaire, et de la mesure qui impose deux mois de vide sanitaire dans les élevages, ils n’y accordent qu’une importance relative. Eux s’installeront après la mesure. Ils ne doutent pas qu’elle sera efficace et que tout s’arrangera vite.
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​Sans m’en rendre compte, le premier jour, je me fais étiqueter. En présentant mon projet devant le groupe, je ne cache pas les voies que nous comptons emprunter : le bio, la vinification, la commercialisation. Je fais face à quelques questions sceptiques sur la possibilité de produire en bio. À la pause suivante, un stagiaire vient me voir : que je parle de transformer et de vendre lui a paru important ; ne pas seulement produire une matière première, voir l’activité agricole comme le début d’un processus. Lui aussi compte sur le bio, et n’envisage pas sa future production laitière sans transformation fromagère.
Je n’ai pas eu l’impression de tenir un discours militant, mais en quelques mots, je suis devenu « le bio » du groupe. Avec des soutiens, et des contradicteurs, comme un peu plus tard, ce jeune repreneur d’une ferme céréalière qui me fait part de sa méfiance. Le bio l’intéresserait bien, précise-il, mais il reprend :
― « On fait des économies sur les produits phytosanitaires, c’est sûr. Mais reprendre une terre en bio, après, c’est foutu. Les sols sont sales, l’herbe n’arrête pas de pousser. Il faut des années et des années pour récupérer ça ».
C’est, à peu de choses près, le même discours que le bio tiennent à propos de la reprise de terres en conventionnel. Les points de vue sur la question des herbicides sont tellement inconciliables que les discussions ne peuvent pas aller plus loin que les premières phrases. Personnellement, je ne m'y risque pas.
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​Les jours suivants, les intervenants se succèdent pour nous présenter la DDT (l’administration départementale en charge de l’agriculture), la Mutualité Sociale Agricole, la Politique Agricole Commune, le département du Lot, ou pour nous donner des bases juridiques et comptables.
Nous recevons aussi un membre des JA, le syndicat de jeunesse affilié au syndicat agricole majoritaire, la FNSEA. C’est un éleveur laitier, installé depuis 5 ans. À la fois volontaire et désabusé, il résume avec une certaine fierté :
― «  En 5 ans, j’en suis à ma troisième crise du lait. Mais j’ai investi, travaillé dur, et dans le même temps, j’ai réussi à tripler ma production, jusqu’à 500.000 litres de lait par an ».
Je n’aurais pas l’indélicatesse de porter un jugement sur la stratégie individuelle d’un collègue, a fortiori dans une production que je connais mal et dans une filière en crise. Pourtant je me demande comment la filière pourra s'en sortir si chacun, de son côté, choisit d'intensifier et d'augmenter la production. Dans cette tendance de prix tirés vers le bas par une consommation de lait en baisse constante, les plus petits et les moins compétitifs sont condamnés à disparaître. Des fermes lotoises pourront-elles tenir la concurrence avec des fermes bretonnes, beaucoup plus grandes, dans des conditions agroclimatiques plus favorables ? J’ai peur que non. Quant à la solution de transformer et commercialiser, il faudrait faire émerger un marché aux alentours pour les éventuels produits...
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​​En ayant côtoyé deux groupes très différents, je me rends compte que deux tendances se dessinent. D’une part, on voit les petits projets se multiplier : des surfaces réduites de maraîchage en permaculture, des plantes aromatiques, des fermes centrées sur l’accueil de voyageurs ou d’activités pédagogiques, des micro-brasseries, des paysans boulangers, etc. Souvent en bio, portés par des hors-cadres familiaux, ces sont des projets nécessitant des fonds de départ assez faibles.
Dans le même temps, les grandes fermes d’élevage ou de polyculture-élevage, sur 100 hectares ou plus, ne trouvent pas de repreneurs. Les exploitants avancent en âge, sans solution de reprise. Certaines exploitations en profiteront pour s’agrandir, mais leur capacité à être reprises au bout du compte diminue sérieusement, faute de candidats ayant assez de fonds à investir, voire faute de candidats tout court. Alors on pense, forcément, à la déprise agricole, aux prés qui se transformeront en forêts plantées au mieux, en taillis au pire. Ou alors, il faudrait que des investisseurs ou des grands groupes, capables d’investissements, reprennent ces fermes et y placent des salariés, ce qui semble être la fin logique du processus de concentration des exploitations agricoles qui est en cours depuis 40 ans (tous les 10 ans, il y a 30% d’exploitations agricoles en moins).
​C’est dire les espoirs placés par les intervenants successifs sur mes collègues du stage de la Chambre d’Agriculture. 
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​Ces six journées étaient aussi d’intéressantes occasions de remettre sur l’établi notre projet tel qu’il est construit aujourd’hui. Les journées comptables et juridiques, notamment, étaient riches en contenu. C’était aussi un vrai condensé de sujets d’actualités, entre crise de l'élevage, manifestation des éleveurs, boycotts du Salon de l’Agriculture, différends entre les syndicats agricoles et échec du plan Ecophyto.
Tout cela a continué à résonner, dans les jours suivants, dans ma radio, avec un reportage en plusieurs parties par Inès Léraud intitulé Journal Breton, entendu dans l’excellente émission « Les pieds sur terre ». 
L’épisode 4, notamment, m’a paru franchement indispensable pour quiconque s’intéresse au monde agricole et à ses crises actuelles. On y entend les paroles de deux éleveurs, sans commentaire, comme toujours dans l’émission. Le premier a choisi d’investir énormément dans son outil, notamment avec un robot de traite. L’autre a opté, après d’énormes difficultés financières, pour un virage vers l’extensif et la transformation directe. Il ne faut pas le manquer, c'est passionnant et ça dure 30 mn.

​​Retour au concret : à présent, suite à la réalisation de toutes les actions prescrites, mon PPP est officiellement validé par la Préfecture. Je n’ai plus de formations obligatoires à effectuer.
La suite du parcours, c’est d’élaborer un prévisionnel économique complet sur les 4 premières années d’activité de la future entreprise. On verra ça après la taille…

Nicolas
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Déboucher des magnums de crémant en hurlant de joie (ou presque)

27/2/2016

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Tout s’est franchement accéléré depuis le début de 2016.
 
Déjà, il y a eu ce déménagement. Un de plus, et comme d’habitude on se dit qu’on restera dans la nouvelle maison « au moins deux-trois ans ». L’avantage de la location, c’est qu’on peut se contredire rapidement, sans autre conséquence que de se casser le dos en promenant au gré des vents armoires, vins et bouquins. Et de vivre un bon mois au milieu des cartons. 
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À présent, nous voici dans la zone du vignoble, dans un hameau isolé avec de grandes vues sur les bois et les combes à l’entour. D’ailleurs, ce déménagement près du vignoble est tombé à pic...

​La grande nouvelle, c'est que depuis une dizaine de jours, nous avons des vignes à travailler ! DES VIGNES !

​Alors oui, c’est une petite parcelle, un petit peu moins qu’un hectare, mais voilà : c’est parti ! C’est ce que nous travaillerons en 2016, en attendant plus, peut-être, pour 2017. Nous accompagnerons ces vignes à travers toute la saison pour récolter et vinifier en octobre.
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C’est une location (un fermage) conclue avec la personne qui les travaillait jusqu’ici. Tout s’est mis en place lentement : des mois pour se connaître, pour se mettre d’accord et pour enfin signer. C’est peut-être pour cela que nous n’avons pas subitement sauté au plafond, ni débouché des magnums de crémant en hurlant de joie. Mais n’empêche, nous sommes vraiment heureux. 
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Il faut toujours un paragraphe administratif dans une histoire agricole. Je suis désolé, c’est maintenant ; pour les phobiques, rendez-vous dans une dizaine de lignes... Pour pouvoir louer, nous avons eu la chance d’être exempté de l’Autorisation d’Exploiter. Je m’explique : généralement, pour travailler une nouvelle terre, il faut y être autorisé par la préfecture, via les services de la DDT et, parfois après passage devant une commission, la CDOA. Devant celle-ci, les voisins agriculteurs peuvent déposer une candidature pour travailleur eux-mêmes les terres en questions. Pour nous, toutes les conditions étaient remplies pour sauter cette étape : avoir un diplôme, ne pas démanteler une exploitation, être en installation progressive, ne pas être éloigné du siège d’exploitation, bref, respecter le Schéma Départemental Des Structures Agricoles (si ça vous passionne, vous trouverez ici un exemple, celui du Cher). Obtenir cette autorisation est une démarche plutôt simple mais qui prend tout de même deux à trois mois. En n’ayant pas eu à l’effectuer, nous avons pu nous mettre directement au travail.
 
Donc, enfin, nous y sommes. Dans les vignes. Dans nos vignes ? On n'ose même pas encore l'écrire. C’est incroyable de l’avoir pensé, espéré, préparé, et de voir tout cela devenir très concret.
Nous nous levons tôt le matin pour aller tailler, tous les jours où c’est possible. C’est que le temps presse : nous avons un mois pour tout finir avant le débourrement (l’éclosion des bourgeons).
Pour le moment, nous n’allons pas très vite. Nous avons des sécateurs manuels, dotés d’excellentes lames, mais qui demandent une certaine force. Pour nous muscler progressivement, sans accroc, nous tirons les bois à chaque pied taillé, c'est-à-dire que nous enlevons du palissage les sarments éliminés à la taille. Le rythme est plus lent, mais les mouvements plus variés.
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Nous avons aussi commencé à tailler en Guyot-Poussard, une variante de la taille en Guyot, dont le but est de maintenir des flux de sève réguliers. Supposément, cela diminue la mortalité des pieds, et équilibre mieux la plante. Nous en parlerons probablement dans un prochain billet, peut-être l'hiver prochain, après une première comparaison avec les rangs que nous taillerons en Guyot classique.
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Tailler est un exercice très stimulant ; nous finissons les journées aussi fatigués des mains et du dos que de la tête. En réalité, l’acte de tailler se fait en projetant le développement de la végétation pendant l’année, la répartition des grappes et leur nombre, et aussi en mettant en place la taille de l’année d’après. Tout un programme ! Les bons tailleurs le font machinalement. Encore quelques hectares, quelques ampoules, et on y sera peut-être.
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Nous nous installons dans une douce routine : partir tôt, se couvrir contre le froid, parfois contre la pluie. Finir un rang. Prendre un thé chaud dans la voiture. S'appliquer à ranger les sarments coupés au milieu du rang. Discuter quelques minutes avec le voisin, ou le propriétaire des vignes, le temps de recevoir un conseil, un commentaire. Étirer son dos. Être fier de la taille d’un pied en particulier, puis pester le pied suivant contre la disposition pas du tout commode des bourgeons. S’apercevoir qu’il commence à être tard, que la lumière est basse. Rentrer fourbus, et pour clore la journée, affûter la lame de son sécateur pour le lendemain.
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Qu'avons nous fait ?!

7/1/2016

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Cela fait un peu plus d'un mois depuis que nous avons résumé nos mois d'oct-embre. J'ai bien aimé ce post de Nicolas, cela permet de résumer rapidement toutes ces petites choses qui mènent à notre installation et qui ne méritent parfois pas une note entière. Cela nous permet aussi de faire le point : est-ce que nous avançons ? 
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A première vue, la réponse ce mois ci est : plutôt non. Notre petite boule de poil a beaucoup accaparé notre attention et volé notre temps, puis les fêtes de fin d'année sont venues confisquer ce qu'il restait du mois de décembre.
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Mais finalement, en y repensant, le mois de décembre a été actif et très positif. Nous avons fini notre cycle de dix jours de formation (résumé ici) auprès de l'ADEAR. Ces rendez-vous hebdomadaires vont nous manquer : ils nous permettaient de nous sentir entourés, encadrés et surtout portés par l'énergie de tous ces projets d'installation agricole autour de nous.
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Nous avons également recherché activement du foncier, allant une ou deux fois par semaine dans la zone de Cahors pour voir des vignes. Cela nous a aussi permis de rencontrer de nouvelles personnes, de visiter l'un des laboratoires d’œnologie de la vallée, de sillonner encore et encore ce territoire que nous avons choisi et dans lequel nous allons vivre. 
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La grande nouvelle de ce mois, c'est que nous avons trouvé une maison à louer. Nous allons enfin pouvoir vivre sur place, travailler dans les vignes (les nôtres le plus rapidement possible et celles des autres en attendant) et continuer notre prospection. Nous allons surtout pouvoir nous installer quelque part, pour un temps, et sortir nos affaires des cartons où elles dorment depuis six mois. Nous quitterons le Périgord noir avec un brin de nostalgie mais nous faisons ainsi un grand bon en avant.
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Pendant ce dernier mois nous avons également commencé notre prévisionnel économique. Il s'agit de rédiger une comptabilité virtuelle mais la plus proche possible de la réalité pour estimer à long terme la viabilité économique de notre exploitation. Il faut également anticiper les investissement et estimer les différents apports dans le but que la trésorerie s'équilibre, pour ne pas se retrouver le bec dans l'eau au moment de payer les différentes factures. C'est un requis pour demander les aides aux jeunes agriculteurs (la fameuse DJA) et nous tenons de toutes façons à le faire : ce prévisionnel se révélera sans doute assez rapidement obsolète mais il nous permet de poser les bases de notre projet et de mieux prévoir. Cependant c'est un exercice de haute voltige, comment imaginer à quelles charges nous allons faire face ou quel rendement nous allons faire dans les prochaines années ? J'ai parfois l'impression construire sur du vide.

Nicolas s'est rendu, mi-décembre, à son rendez-vous PPP (Plan de Professionnalisation Personnalisé) à la chambre d'agriculture. Cela rentre dans le cadre de la DJA et permet de faire le bilan de compétences d'un candidat à l'installation agricole et de prescrire un programme de formation ou de stages. Comme il possède déjà un diplôme agricole et de l'expérience, il devra se rendre uniquement à un stage de 28h obligatoire pour l'obtention de la DJA. Il va aussi assister à une formation sur le prévisionnel économique, ce qui nous sera très utile.
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Le genre d'erreur que nous aimerions anticiper
Nous avons aussi et surtout commencé à réfléchir à la construction d'un chai. Nous n'avons pas encore trouvé de foncier mais nos pistes les plus intéressantes jusqu'à maintenant concernaient uniquement de la vigne. Nous préférons donc anticiper et démarrer une sorte de cahier des charges de ce qui nous semble indispensable dans un chai et commencer à chiffrer un peu tous les éléments. La bonne nouvelle c'est que du coup, on va aller visiter quelques copains vignerons un peu partout en France pour les bombarder de questions. Le début de l'année 2016 s'annonce très très agréable ! On vous racontera...

​- Maya - 
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" Mûrir son projet " : fin du cycle

20/12/2015

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Mardi, nous avons terminé le cycle de formation l’ADEAR du Lot, « Mûrir son projet d’installation agricole ».

​C’était l’heure du bilan pour les 16 participants qui se sont retrouvés tous les mardis depuis 10 semaines. L’heure de l’émotion aussi, de dire au revoir à nos collègues dont nous avons vu les projets grandir : cinq maraîchers, un couple d’éleveurs de chèvres, un couple d’éleveurs de canards gras, un apiculteur, deux spiruliniers, un futur paysan en polyculture-élevage et un porteur de projet agrotouristique. Les uns ont trouvé et acheté un terrain en bord de Lot pour du maraichage, les autres ont aménagé une chèvrerie et repris un petit troupeau, un autre enfin a déposé les statuts de son entreprise. 
Ce serait très fastidieux de résumer en quelques lignes les 70 heures de formations. Nous avons évoqués tour à tour :
- le parcours à l’installation
- le partage vie privée / vie professionnelle
- le territoire lotois
- la construction du prévisionnel économique
- l’agriculture biologique et les autres labels
- la recherche et la structuration juridique du foncier
- les statuts sociaux, fiscaux et juridiques de l’activité agricole
- l’agriculture paysanne
- le financement du projet
- enfin, mardi dernier, nous avons présenté notre projet en détail devant le groupe.
 
Katy, l’ingénieur agro en charge de la formation, nous a accompagné pendant ces 10 semaines et nous avons profité de son recul, basé sur les nombreux projets qu’elle a vu éclore. Les formations ont donné lieu à des visites de fermes en rapport avec le sujet du jour. Des intervenants extérieurs, comme l’AFOCG ou Terre de liens, sont venus apporter leur expertise particulière.
Ces jalons réguliers pendant l’automne nous ont motivé pour avancer, structurer les projets, concrétiser les idées. Enfin, au fur et à mesure des sujets abordés, nous avons pris conscience des choix évidents qui s’imposaient à nous. Il y a certes une multitude de statuts et de possibilités, mais lorsqu’on y confronte son projet, tout s’éclaire. Je serai plus précis dans quelques semaines ou quelques mois, lorsque nous remplirons nos dossiers d’installations aidés, lorsque nous choisirons des statuts (je cherche encore comment rendre cela rock n’ roll).
 
Nous savons aussi sur quels axes nous devons absolument travailler. Dans notre cas, c’est sur le prévisionnel économique : quel matériel devons-nous acheter pour démarrer ? À quel prix ? Comment le finançons-nous ? Nous allons donc rendre visite, ces prochaines semaines, à des jeunes vignerons, récemment installés et dans des schémas similaires… et puis nous allons remplir des tableaux Excel.
L’ADEAR est une association liée à la Confédération Paysanne, avec pour mission de favoriser les installations agricoles et l’emploi rural. Ce lien n’est jamais caché, mais il n’y a pas pour autant de tentation d’imposer la vision de l’agriculture défendue par la Conf’. Le suivi est adapté au projet de chacun, sans parti pris. Personnellement, je trouve que les formations de l’ADEAR complètent extrêmement bien le travail d’accompagnement de la Chambre d’Agriculture.

Nous allons retrouver nos collègues de formations fin février pour une soirée de travail autour des projets collectifs. Les projets de chacun d'entre nous auront sans doute encore mûri. Nous aurons des choses à nous dire !


Nicolas
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Domaine des possibles

17/12/2015

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Note : pour de sombres raisons esthétiques, ce post sera illustré par des affichages poétiques

S’installer en viticulture, ou plus généralement créer une entreprise, demande de se poser plein de questions au préalable. Ou bien les autres le feront à votre place et il vaut mieux avoir une réponse dûment argumentée. Lorsque nous rencontrons des personnes intéressées par notre projet, ils finissent inévitablement par nous demander : « vous cherchez plutôt un domaine ou juste des vignes ? ». Pour nous, il n’y a pas de bonne ou mauvaise réponse à cette question, chaque option ayant ses avantages et ses inconvénients.
 
Nous avons visité de très beaux domaines à vendre, avec des vignes entourant la maison, un chai, un hangar pour les tracteurs, tout le matériel. Nous n’avions plus qu’à poser nos valises et franchement, ça fait rêver. La plupart des agriculteurs, surtout en élevage, estiment qu’il est plus simple de vivre au milieu de sa ferme. On y gagne beaucoup en temps de travail et c’est sans doute un grand avantage pour la vie de famille.
Par contre, l’investissement est souvent important au départ, surtout dans notre région où la pierre est si belle.  Le chai n’est pas toujours conforme à nos besoins, notamment si le cédant faisait du vin en vrac et avait de trop grandes cuves. Il faudrait donc ajouter une somme conséquente pour adapter l’outil de production, ou se conformer aux choix réalisés par quelqu’un d’autre dans une structure et à une époque différente de la nôtre. Enfin, les charges de telles structures sont assez élevées, il y a souvent des travaux à faire, sans parler des taxes foncières sur des bâtiments existants mais parfois à l’abandon.
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L’option d’acheter des vignes seules permet, quant à elle,  de se concentrer sur l’essentiel. On visite les parcelles, on regarde si une transition rapide vers le bio est possible, l’état général et les manquants, et c’est tout. Il y a plus de vignes à vendre que des domaines entiers et la surface est plus adaptable, les cédants acceptant souvent d’en vendre qu’une seule partie car un voisin aimerait l’autre. C’est surtout moins cher dans cette région, où la terre coûte peu et la pierre beaucoup. Par contre, c’est juste la partie émergée de l’iceberg. L’investissement semble plus faible au départ mais il y a tout à faire et à construire. Au delà des sommes à débourser ensuite pour le chai, le hangar et le matériel, cela veut dire qu’il faudra bricoler au départ, s’adapter constamment, trouver un local où vinifier en attendant de construire… Pour en avoir discuté avec des vignerons ayant fait ce choix, cela peut vite s'avérer épuisant. Par contre, on est libre. Libre d’imaginer l’outil tel qu’on le rêve, avec pour seule limite la réalité économique.
En ce qui concerne la maison d’habitation, c’est simple : il n’y en a pas. On perd l’immense confort d’habiter sur son lieu de travail, de n’avoir que quelques pas à faire pour aller arrêter le pressoir, vérifier que les cuves sont bien fermées ou à la bonne température. D’un autre côté, pour nous qui nous installons « hors cadre familial », nous pensons évidemment au jour ou nous devrons céder notre outil de travail, que ce soit à nos descendants ou à un parfait inconnu. Cela nous rassure de savoir que nous aurons notre maison à nous, à l’écart, qui n’aura rien à voir avec l’exploitation et que nous pourrons garder. Nous pensons aussi à cette frontière, si nécessaire mais si ténue dans le monde agricole, entre vie privée et professionnelle : l’élargir de quelques kilomètres se révélera sans doute assez agréable.
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Il y encore une troisième option : celle de planter des vignes. Il faut savoir qu’une vigne commence à produire du raisin vers la troisième ou quatrième année et il faut encore un ou deux ans pour produire et vendre le vin ; nous préférons donc acheter des vignes déjà en production. En plus, une vieille vigne donne de meilleurs raisins qu’une jeune, les vins sont plus sages et plus profonds. Enfin, dans la zone que nous avons choisi, l’investissement est plus important quand on plante une vigne que quand on l’achète.
 
Voilà donc où nous en sommes. La recherche de foncier est parfois longue et difficile. Cela permet de se poser plein de questions, de peser les options, pour le jour où il ne faudra pas laisser passer notre chance.
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​- Maya -
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L'achat plutôt que la location

3/12/2015

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Reprenons notre série de billets sur l'installation agricole. Pour plus de clarté, cette note sera exclusivement illustrée par des photos d'arbres à contre-jour.

Au début d'un projet d'installation agricole, lorsque l'on est comme nous dans la phase de recherche d'une terre pour se mettre au travail, se pose immédiatement une question : veut-on louer, ou bien acheter ?
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​Louer une terre, c'est faire "du fermage". Le propriétaire loue ses terres, ou ses vignes, ou n'importe quelle autre culture, à un agriculteur qui entreprend de les mettre en valeur.
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Les loyers sont encadrés par l'Etat, via la préfecture de chaque département, qui les réévalue chaque année selon la qualité de la terre et la région agricole. Par exemple, en 2015, dans notre coin, des terres nues de qualité se loueront entre 121 et 135 euros. Pour des surfaces en vignes d'appellation, ce sera entre 420 et 700 euros. Il y a également des modulations selon la durée de location, mais on s'en tiendra là.
Il était autrefois possible de payer en denrées, en nature. C'est encore possible aujourd'hui, mais uniquement pour les cultures pérennes. Dans le cas des vignes, il faudra donner entre 6 et 10 hL par hectares au propriétaire. 

​L'encadrement de la location de terres par l'Etat s'applique aussi aux durées de location, aux baux. Parmi les multiples baux, un des plus importants est le bail rural. Il dure 9 ans, tacitement reconductible, et ne nécessite pas de passer devant un notaire. En fait, il ne nécessite même pas de contrat écrit : s'il y a travail de la terre et paiement, c'est cette disposition qui s'applique. Le renouvellement, à chaque fois pour une période de 9 ans, est quasiment automatique. Les motifs de non renouvellement sont peu nombreux : reprise d'exploitation, arborisation, non-exploitation par le locataire. 
Cependant, pour sécuriser son bail pour une plus longue période, on peut utiliser d'autres baux : sur 18 ans, sur 25 ans, voire de carrière, qui s'arrêtera à la retraite du locataire. Ces baux nécessitent de passer par un notaire. 
La location agricole est une option assez sûre. Les baux sont très protecteurs pour les locataires et les problèmes sont rares. Pourtant, certains agriculteurs perdent leurs fermages avant l'heure : parce que le propriétaire active son droit de reprise au bout de 9 ans, ou par une entourloupe sur le plan du droit rural. Certains aussi voient l'herbe de leurs prés fauchée par un voisin parce que le propriétaire a "changé d'avis". C'est extrêmement rare, mais cela arrive. Quand c'est le cas, les personnes hésitent à poser un recours devant le Tribunal des baux ruraux : c'est mal vu, c'est lent, c'est compliqué. On préfère utiliser son énergie pour trouver d'autres terres, ou se reconvertir : abandonner l'élevage de brebis, faute de prairies, et devenir paysan-boulanger, par exemple.
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​Et puis il y a l'achat. C'est une méthode plus directe et plus onéreuse sur le court terme. L'achat doit se faire devant notaire, et il faudra également se soumettre à l'arbitrage de la SAFER.
Cette instance est une société anonyme, dont les actionnaires sont les organisations professionnelles agricoles (dont la FNSEA, comme syndicat majoritaire) et les collectivités territoriales, doté d'une mission d'intérêt général : favoriser l'installation des agriculteurs et l'agrandissement des exploitations trop petites pour être viables. En bref : maintenir les terres agricoles et les attribuer à des agriculteurs. Pour des nouveaux arrivants comme nous, c'est parfois une source de stress de penser que la SAFER pourrait bloquer le projet, et opter plutôt pour l'agrandissement des voisins. Le rôle de la SAFER est assez central dans les installations, nous en reparlerons immanquablement bientôt...

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De notre côté, c'est bien l'achat que nous privilégions. Louer nous paraît une option intéressante, mais seulement pour compléter un îlot central en propriété. C'est important pour une culture pérenne comme la vigne, où l'on est constamment en train de préparer l'avenir lointain (par la taille, par le remplacement des pieds morts, etc.). Certains viticulteurs louent l'ensemble de leurs terres ; ils sont rares, et souvent en cave coopérative. 
Personnellement, pour construire une gamme de produits, équiper un chai, convertir des parcelles en viticulture biologique, entreprendre des changements culturaux, nous voulons nous sentir chez nous. Savoir que nous pouvons prévoir sur le long-terme.

A la question du début de l'article, quand nous répondons "Acheter, en priorité", voilà tout ce que ça implique d'analyses et de sous-entendus.

Nicolas
Plus d'infos sur les baux sur le site de Propriété rurale et sur les prix des fermages sur Service-public.fr
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Tôt ou tard

19/11/2015

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Un mois sans publier, ce n'est pas glorieux. A notre décharge, nous avons eu un mois extrêmement actif depuis la fin des vendanges : d'abord deux semaines de voyage dans un endroit qui nous est cher (Maya vous en parlera) ; ensuite, beaucoup de travail sur notre projet d'installation.
Par exemple, se former. Le mois écoulé a été très axé tracteur. Maya a suivi une formation à la mécanique agricole au CFPPA de Figeac, pendant deux jours. Je suis revenu dans ce même centre deux semaines plus tard pour la même durée ; cette fois le thème était "le tracteur pour les nuls". Au menu, conduite, attelage, dételage, manœuvres, apprentissage des règles de sécurité. Ce n'est pas quelque chose d'une importance capitale, mais c'est une étape. Et s'il est vrai qu'avec notre formation et plusieurs années d'expérience dans les caves du monde entier, nous avons acquis des compétences pour mener notre futur domaine viticole, il nous reste à apprendre beaucoup de points très appliqués, très concrets, avant de pouvoir réaliser l'ensemble des travaux viticoles d'une année. Ces affaires de tracteurs en font partie.
Ce dernier mois, nous avons eu l'impression de progresser, au moins un peu, dans notre recherche de foncier. Cela a été notre axe de travail prioritaire. Au fur et à mesure des rencontres avec les différents acteurs de la filière, notre idée se fait plus précise. Des contacts intéressants apparaissent. C'est peut-être la bonne direction.
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Je voudrais finir ce billet un peu fourre-tout en mentionnant les multiples articles qui, à l'approche de la COP21, tentent d'évaluer l'impact du réchauffement climatique sur nos vignobles. Je pense notamment au "grand format" du Monde, à lire à cette adresse, qui malgré quelques imprécisions, est d'un grand intérêt pour le grand public. Il a d'ailleurs été énormément lu, partagé, discuté. L'article a le mérite de balayer beaucoup d'enjeux et d'aller plus loin que le cliché, sans cesse renouvelé, des futurs grands vins anglais ou scandinaves.
Je pense notamment à la mise en garde de Jean-Marc Touzard (INRA Montpellier) : « Si on reste en dessous des 2 °C de réchauffement, on s’adaptera. Deux degrés, c’est déjà la variabilité interne d’un vignoble, les viticulteurs savent gérer. Au-dessus, la carte de nos vignobles risque d’exploser. »
Pour l'instant, la hausse des températures est déjà estimée à 1,2°C. Nous allons commencer notre carrière de vignerons dans ce contexte. Forcément, nous pensons à l'introduction de cépages adaptés à un climat plus chaud de 2, 3 ou 4 degrés, ainsi qu'aux moyens de protéger les sols des températures caniculaires. L'agroforesterie nous semble, à nous aussi, un moyen très intéressant d'amener un ombrage, des auxiliaires, de la biodiversité. Certains vignerons pensent déjà à toutes ces adaptations, en Alsace, en Languedoc et ailleurs. Nous aurons l'occasion d'y revenir le jour où nous veillerons sur un vignoble.

Nicolas
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Cédants cherchent repreneurs (et vice-versa)

12/10/2015

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Le 24 septembre, nous avons mis les vendanges entre parenthèses pour nous rendre à la journée "Rencontres en terre lotoise" de la Chambre d'Agriculture, organisée pour faciliter la transmission des exploitations agricoles.
Les animateurs et conseillers de la Chambre d'Agriculture du Lot avaient invité une quinzaine de "cédants" et une petite dizaine de "repreneurs" pour réfléchir aux enjeux de l'installation. Comment se rencontrer ? Comment s'entendre ? Une ergonome, Maryline Mallot, avait également été invitée pour animer la journée et démêler les concepts clés de ces questions.
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Parmi les agriculteurs présents, certains cherchaient à céder en vue de prendre leur retraite, d'autres étaient plutôt là pour trouver un associé à faire entrer dans l'exploitation. La grande majorité étaient des éleveurs : vaches allaitantes, vaches laitières, brebis ou chèvres. Aucun viticulteur (vendanges obligent), mais ce n'était pas forcément notre attente majeure.
Les candidats à l'installation, eux, étaient tout à fait conformes au profil type du "hors cadre familial" : un quart de femmes, pas mal de maraîchers, une moyenne d'âge de 30 ans, et plus de la moitié souhaitant se lancer en agriculture biologique.
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les candidats à l'installation - photo Marielle Merly pour la Dépêche du Midi
​Pendant la matinée, nous avons travaillé en groupes séparés, agriculteurs d'un côté, aspirants agriculteurs de l'autre, pour essayer de définir ce qu'est un bon cédant et ce qu'est un bon repreneur, avant de mettre en commun les résultats. Attention, pas de blagues façon les Inconnus sur le bon repreneur et le mauvais repreneur : c'était un exercice très enrichissant, particulièrement la séance de restitution.
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 D'un côté comme de l'autre, finalement, on parle le même langage : on veut de l'engagement, des projets clairs, de l'ouverture d'esprit. Avoir des projets définis et ne pas avoir peur d'en parler. Faire comprendre que chaque génération fait ses choix en fonction des contraintes de l'époque. Je ne vais pas dire qu'on est tombé des nues, mais il y avait tout de même une part de surprise en constatant que cédants et candidats partagent les mêmes attentes et les mêmes peurs.
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Nos projets sont bien réfléchis, et par conséquent bien définis. Nous avons parfois peur que cela heurte les cédants. C'est en fait tout le contraire : tant les agriculteurs que l'animatrice nous ont félicité de savoir, et de faire savoir, ce que nous recherchions et comment nous envisagions de travailler.

L'après-midi a été davantage consacré aux installations progressives et à l'association. Nous avons entendu le témoignage de deux éleveurs associés, l'un dans sa cinquantaine, l'autre tout juste installé. L'ergonome a mis à profit cette intervention pour nous faire réfléchir au travail en association. Cela nous concerne aussi de près, et nous avons profité de ces réflexions, puis de la discussion qui a suivi.

Un des agriculteurs présents regrettait le manque de candidats à l'installation. Une personne de la salle, un professionnel, a répondu : en cherchez vous réellement, accueillez vous des stagiaires, des apprentis ? Quand vous communiquez sur votre métier, le rendez vous désirable ? Ces questions, dures mais réalistes, ont fait écho chez moi à toutes les fois où un agriculteur m'a répondu, après avoir dit que je voulais devenir vigneron : "tu ferais mieux de rester salarié". Manière de tester la motivation ? Peut-être, mais pas seulement...
Le même intervenant a ensuite déclaré, catégorique : "les repreneurs ne vont pas arriver dans la cour de votre ferme, un matin, et vous demander si vous voulez prendre votre retraite". Maya et moi avons échangé un regard de connivence : c'est pourtant souvent un peu de cette façon que nous prenons contact et que nous effectuons nos recherches. Par le bouche à oreille, et frontalement. Espérons que cela nous sourie bientôt.

Nous étions arrivés à la journée légèrement nerveux, nous en sommes repartis sereins, avec l'impression de mieux pouvoir nous mettre à place de nos futurs interlocuteurs.

NB : pour continuer la lecture, la presse régionale a consacré des articles à cette journée, notamment la Vie Quercynoise et la Dépêche.

​Nicolas
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