LE SERPENTÀ PLUMES
  • Accueil
  • Domaine
  • Achat en ligne
  • Blog
  • Presse
  • Contact

Vulnérables

20/7/2018

6 Commentaires

 
La semaine dernière, le fils d'un de mes anciens collègues et ami est mort. Il n'avait pas dix-huit ans et il s'est retourné en tracteur.

Nous faisons un métier joyeux, un métier qui me comble, complet, intense. Nous suivons les rythmes imposés par la nature, dehors dès que nous le pouvons, dedans quand il le faut. En pleine installation, du travail par dessus la tête, emportés par nos envies, nous poussons parfois nos limites. Nous oublions que nous sommes entièrement vignerons. Notre plus précieux et plus fragile outil de travail, c'est nous et notre corps.
Photo
Il y a quelques temps, Nicolas s'est déboîté l'épaule : trois semaines d'arrêt complet, deux semaines d'attelle. Et une blessure sérieuse, une épée de Damoclès qui l'accompagnera à vie, chaque fois qu'il fera un faux mouvement, chaque fois qu'il forcera un peu trop. Je ne le sais que trop bien, je suis passée par là il y a dix ans, quand j'avais encore le droit de jouer au rugby. 

Nous étions en plein relevage et je me suis retrouvée toute seule pour les cinq hectares qui nous restaient. Le relevage, c'est la période que je redoute le plus tous les ans. A priori, c'est simple : nous avons deux fils de fer mobiles, que nous pouvons abaisser et relever. L'hiver nous les descendons, pour que la végétation puisse croître au printemps. Au moment de la floraison, lorsque la vigne a beaucoup poussé, les branches retombent dans les rangs, gênent le passage et cassent sous le poids de la pluie ou du vent. Nous utilisons donc les fils releveurs, que nous montons de chaque côté du rang et accrochons ensemble, pour "tenir" la masse.
Généralement, il faut se presser, car du relevage dépend le passage du tracteur dans les rangs, à une période où la vigne est particulièrement sensible au mildiou et où l'herbe pousse à vue d’œil. Nous relevons toujours en deux fois, une première assez bas, puis la deuxième le plus haut possible, pour que les branches se dressent droit vers le ciel et que nous n'ayons (quasiment) pas à rogner.
Photo
Photo
A priori, c'est simple. En réalité, c'est le travail que je trouve le plus difficile. Nous tendons les fils de fer le plus possible, afin que la vigne soit le mieux maintenue : c'est donc extrêmement physique de les manipuler, surtout avec la végétation qui pèse dessus. C'est une opération très longue également, quasiment un mois, à faire tous les jours ces mêmes gestes : tirer sur les fils, les relever, placer l'agrafe, trouver la branche qui bloque, ranger ce qui dépasse ou ébourgeonner ce qui gêne.
Nous marchons beaucoup, entre 10 et 15 km par jour. Mais surtout, surtout, c'est la période des horaires d'été. Il fait une chaleur écrasante sur le Causse, les cigales chantent dès 9h30 du matin et il est insensé de penser pouvoir travailler après midi. Nous nous levons donc entre 4h30 et 5h pour travailler à la fraîche, tout en nous promettant, jour après jour, de rattraper le sommeil par une bonne sieste. Évidemment, nous n'y arrivons jamais : il y a toujours un rendez-vous l'après-midi, du bureau, des mails urgents, une expédition, des choses que nous n'arrivons jamais à faire car nous ne sommes jamais à la maison. Nous nous couchons tard, car il est difficile en été de se coucher tôt : il fait jour! Et la fatigue s'accumule.


Quand Nicolas s'est blessé, il nous restait environ une semaine de travail. Exténuée, je tenais au mental, me disant tous les jours : "plus qu'une semaine et tu pourras te reposer". Et puis, soudain, le travail de deux personnes a brusquement basculé entièrement sur mes épaules. Le temps pressait et je savais que je n'y arriverais pas seule. D'autant plus que Nicolas est le seul à conduire le tracteur sur le domaine. Nous étions déjà en retard sur le programme, comme le veut toute saison viticole, je me voyais très seule et Nicolas se sentait terriblement inutile. Notre vulnérabilité nous a brusquement sauté aux yeux. 
Photo
C'est un sentiment assez terrible. Depuis trois ans, nous mettons toute notre énergie et nos efforts à faire grandir notre rêve. Nous pensons toujours qu'arriver à bout de nos projets et de nos tâches n'est qu'une question de volonté. Mais ce n'est pas toujours vrai. Tous les coups durs peuvent faire pencher la balance : grêle, gel, accidents... Notre aventure pourrait s'arrêter tout simplement, car elle dépend de choses qui nous dépassent. Il faut évidemment l'accepter et en tirer les enseignements. Mais je peux vous assurer que ce jour là, je n'ai réussi qu'à pleurer d'épuisement. 

Le soir, nous étions invités à manger chez des amis vignerons. Nous étions un peu secoués, rattrapés par la réalité de notre métier. Ils ont immédiatement proposé de nous aider, de venir conduire le tracteur pour nous, malgré leurs semaines déjà bien remplies. Puis nos amis maraîchers ont fait de même. Nous avons reçu des message de soutien de nos voisins et nos familles : "si vous avez besoin, nous sommes là". Nous avons découvert le service de remplacement, qui propose des salariés en cas de blessure du "chef d'exploitation". Un monsieur absolument adorable et très professionnel est venu traiter à la place de Nicolas. Tout d'un coup, nous nous sommes sentis beaucoup moins seuls, très entourés et très soutenus.

Nous avons finalement embauché pour finir le relevage, Nicolas s'est démené pour trouver des solutions et la phase la plus dure s'est retrouvée derrière nous. Nous avons continué à travailler comme avant, tirant chaque jour un peu sur la corde, car il le faut.
Hier, j'ai reçu cet appel, me rappelant à nouveau à la réalité, "Maya, j'ai une mauvaise nouvelle, le fils de C. est mort, accident de tracteur". Nous sommes vulnérables et fragiles. Il faut le garder en tête. Trouver ce délicat équilibre qui permet d'avancer, de ne pas se laisser paralyser par la peur tout en gardant en tête qu'il faut se ménager, faire attention à nous. Nous faisons un beau métier mais il est aussi dangereux.
Photo
J'y pense souvent, maintenant. Quand Nicolas part en tracteur, dans nos vignes aux pentes fortes, aux dévers marqués et aux tournières trop étroites, quand il fait tellement chaud que nous commençons à nous sentir mal, quand je sens que nous sommes en train de trop en faire. Nous nous mettons sans cesse à nu pour accomplir notre rêve, pour nourrir notre passion, pour faire du vin. J'y pense. Nous continuons à travailler avec entrain et optimisme, mais j'y pense.
Et j'espère que vous y pensez aussi, à chaque fois que vous ouvrez une bouteille, avec vos amis, votre famille, votre moitié. J'espère que vous voyez dans votre verre, dans ces moments de plaisir et de partage, qu'il y a un vigneron qui vous offre tout ce qu'il a, qu'il y a des vies, qu'il y a des drames et qu'il y a des joies.

Photo
- Maya -
6 Commentaires

Maturités

5/9/2017

2 Commentaires

 
Le 27 août, j'ai eu trente ans. L'année dernière j'avais discuté avec mon grand-père de ce cap à franchir, cette nouvelle décennie. Il s'était exclamé : "entre trente et quarante ans, ça a été la période la plus heureuse de ma vie". Et c'est donc ainsi que je m'y attaque. J'ai beaucoup voyagé, bougé, changé de maison, de région et de métier. Il est temps de m'ancrer et de construire, avec la ferme résolution de trouver un peu de ce bonheur quotidien qui me fera, un jour, me retourner et me dire que ces années là étaient belles et joyeuses.

Voilà des pensées faciles, portées par l'imminence des vendanges. Nos premières en tant que "vrais" vignerons. Sept hectares et presque autant de parcelles que nous parcourons en ce moment, Nicolas et moi, goûtant, observant, analysant et re-goûtant encore. Nous essayons de deviner ce que sera ce millésime en lisant l'avenir dans la saveur des figues et des mûres que nous glanons autours de la maison. Elles sont mûres tôt cette année, nombreuses, juteuses et pleines de goût. Un bon présage. 
Photo
L'année est précoce et nous avions peur de la sécheresse et de la chaleur. Visiblement, l'année nous gâte et après une semaine très chaude fin août, nous avons eu la joie de voir tomber une petite pluie, inespérée, et, avec elle, le retour des nuits fraîches, indispensables pour préserver l'acidité et développer les arômes. Les raisins sont beaux, il ont déjà plein de saveurs et de parfums. Il nous faut encore patienter quelques jours et nous pourrons donner les premiers coups de sécateur, rentrer les premiers moûts, découvrir ce que nos parcelles ont a nous dire. Hâte!
Photo
En attendant nous préparons activement la cave : il y a tant à faire! Nettoyer, récurer, réparer, et recevoir nos nouvelles cuves (d'occasion) en béton brut. Une demi-journée à déplacer ces gros cubes de quelques tonnes avant de, là encore, leur faire une beauté afin de recevoir leur précieux contenu. Une sacrée aventure et beaucoup d'excitation. Et parfois le besoin de repenser à Robinson Crusoé, quand la fatigue nous prend devant l'ampleur de la tâche : "Alors je vis, bien que trop tard, la folie de tenter une entreprise avant d'en avoir calculé les charges et avant de juger correctement de la force que nous pouvons y consacrer".
Photo
Pendant que nous nous agitons en tous sens, affrontant notre propre folie avec ardeur et pugnacité, septembre s'installe doucement et semble déterminé à prendre des airs d'automne. La nature frissonne sous la fraîcheur du matin et le causse nous offre des levers de soleil romantiques et brumeux. L'occasion pour nous de réaliser à quel point nos vignes sont un point haut du paysage. Depuis notre maison, nous voyons bien Trespoux, et nous imaginons nos parcelles. Elles se devinent, au loin, blotties sur la colline, au-dessus de la mer de nuage, comme sur une île fascinante et encore un peu mystérieuse. Quand nous vous dirons que les terroirs de Trespoux sont au sommet de l'appellation, vous pourrez désormais nous croire ! ;-)
Photo
- Maya -
2 Commentaires

La Calmette en images

4/6/2017

0 Commentaires

 
Après notre première place au concours Vignerons et terroirs d'avenir 2017, organisé par AdVini, Montpellier SupAgro et SupAgro Fondation, une vidéo a été consacrée à notre travail et notre démarche.

Cette vidéo a été réalisée par François Desperriers et d'Aurélien Ibanez, de Bourgogne Live Prod. Nous sommes profondément heureux de la beauté des images tournées dans les vignes et dans la cave, et de l'occasion qui nous est donnée de parler de nos projets et des objectifs que nous poursuivons. 

Si un point vous intéresse ou vous questionne, n'hésitez pas à nous interpeller en commentaire de l'article.
0 Commentaires

Gel

30/4/2017

3 Commentaires

 
En ce moment, je ne vais plus sur Facebook. C’est trop triste.
 
Quand nous avons vu les bourgeons de vigne gonfler avec un mois d’avance, les voisins nous ont rassuré : « ne vous inquiétez pas, ça peut rester comme cela plusieurs semaines ». Nous n’avions pas fini d’attacher et il nous restait une petite parcelle, gélive, à tailler. Il faisait vraiment chaud, début avril, et après un hiver sec, il avait enfin fini par pleuvoir. La nature est devenue incontrôlable : les lilas ont fleuri, le muguet tapissait les sols des forêts, les cerises précoces ont commencé à rougir. La vigne a poussé vite, nous avons couru après le temps et les anciens nous ont mis en garde : n’ébourgeonnez pas trop vite, attendez fin avril. Les gens ont commencé à nous parler de saints de glace et de lune rousse. Malheureusement, ils avaient raison. 
Photo
Le temps a brusquement changé, nous avons rangé nos débardeurs et la crème solaire et avons ressorti doudounes et bonnets. Nous avons regardé la météo avec angoisse, surtout pour nos copains alsaciens, jurassiens, bourguignons et beaujolais. Nous nous disions qu’à Cahors nous ne risquions pas grand-chose.

Partout en France, les feux ont flambé dans les vignes, paille, chaufferettes, hélicoptère, chaque vigneron faisait ce qu’il pouvait. Parfois rien, car tout cela coûte cher, tout cela demande des moyens.
​
Mais Cahors s’est réveillé gelé, le 20 avril, tout comme le Languedoc, la Loire et tous les vignobles français. Pas nous, à part notre petite parcelle gélive. Les hauteurs et le vent, ça a parfois du bon. Nous avons soufflé. Puis nous avons eu des nouvelles des copains. Et c’était triste à pleurer.
Photo
Nous avons attendu la fin de la vague de froid avec angoisse : « ça va être pire la semaine prochaine », disait la météo. C’était vrai, car il a plu. La vigne gèle à -4°C au printemps s’il fait sec mais seulement à -2°C si le temps est humide.
​
La gelée du 27 avril a été encore pire que celle du 20. Même sur les plateaux, beaucoup ont gelé. Mais nous avons encore eu de la chance. Nous sommes restés seuls, sur notre ilot perché, venté, au milieu de la fumée des bottes de paille, sains, saufs et quand même malheureux.
Photo
Source : Aurélien Ibanez Images 

​Notre métier est beau, notre métier est fort. Mais nous sommes faibles face aux éléments. Nous pouvons tout perdre en cinq minutes. Ou tout garder, tout en voyant les vignerons à cinq cent mètres prévoir une petite récolte pour la deuxième année consécutive. C’est le prix à payer pour travailler avec le vivant. Nos vignes sont là, vigoureuses et belles, apaisantes. Nous continuons le travail de l’année, nous sentant un peu coupables et soulagés d’en avoir encore. Nous pensons aux copains qui vont devoir sauver les meubles, chercher des branches vaillantes pour tailler l’hiver prochain, vendanger un peu, ce qui reste.
​
​Nous réfléchissons à tout cela en regardant le ciel s’assombrir lentement. Ce soir, l’orage est passé, la grêle annoncée n'est pas tombée. Sauvés, encore une fois. Le temps peut parfois paraître long, jusqu’à la récolte.
Photo
- Maya -
3 Commentaires

Un hiver passé dehors

18/4/2017

2 Commentaires

 
Je n'ai pas vu l'hiver passer.

Pour commencer, début décembre, nous avons officiellement signé, chez le notaire, la reprise de 6 hectares de vignes. C'était prévu depuis le début. Sept hectares en tout, ça fait des vignes à tailler ! Surtout que nous prenons le temps de bien faire les choses, par exemple nettoyer les pieds, ou bien éborgner quelques bourgeons sur la baguette pour mieux étaler la végétation.  
Bilan : nous avons passé l'hiver au grand air, avec le bonheur de travailler dans les vignes quasiment tous les jours. Des journées où il fait trop mauvais pour sortir, il y en a finalement très peu. S'il fait froid, on rajoute un pull, voire deux. S'il pleut un peu, on met un imper et on va tirer les bois. Et s'il pleut beaucoup… bon, d'accord, on se sert une tasse de thé vert et on reste travailler à l'intérieur.
Photo
Photo

La taille Guyot Poussard se met en place doucement. Sur la parcelle de Bois Grand, que nous taillons pour la deuxième année, l'architecture des ceps devient plus évidente. Sur la grande majorité des pieds, on retrouve bien un courson de chaque côté, et la baguette au-dessus. Quand on arrive à tailler un pied comme sur la photo ci-dessous, on est heureux. C'est simple. Le flux de sève du courson restera indemne, les coups de sécateurs se feront sur le dessus.
L'année dernière, j'avais promis de faire un essai et de comparer avec la taille Guyot "normale". Malheureusement, nous en avons été incapables. Tailler sur deux coursons nous est devenu tellement logique et tellement automatique, que se glisser dans un autre système de taille, tirer une baguette au lieu de faire un courson, n'est quasiment plus possible. 

Photo
A force de s'appliquer, nous avons quand même dû, en voyant début mars le printemps pointer le bout de son nez, faire appel à des saisonniers pour une semaine ou deux, histoire de finir le tirage des bois sereinement. Pas de regret. Ce temps que nous choisissons de passer à la taille, je suis sûr qu'on le récupérera en saison. Si les baguettes sont bien aérées, nous pourrons peut-être faire un effeuillage plus léger, voire s'en passer.

A part ça, nous nous sommes officiellement engagés pour la conversion en biodynamie, avec le cahier des charges de Demeter. C'est vraiment un sujet très vaste, la biodynamie, et qui appelle des conversations qui peuvent être riches et denses. Mais dans tous les cas, c'est une démarche qui me plaît par ce qu'elle demande d'observation, d'essai, d'expérience personnelle. Questionner les pratiques et les outils, prendre de la hauteur. Parfois la compréhension passe par le symbole, l'allégorie, plutôt que par la rationalisation, et pour des jeunes gens cartésiens comme nous, ça fait du bien de changer de mode de pensée.
Notre première action d'aspirants, ça a été d'introduire les préparations biodynamiques dans notre tas de fumier en train de composter. Les journées précédentes avaient été plutôt répétitives : tailler, attacher. Tout d'un coup, nous nous sommes retrouvés dans un tas de fumier frais, avec des préparations en petits pots de verre, pour ensemencer cette fertilisation en micro-organismes. Plutôt que de penser à un seul pied de vigne, nous passions soudainement à la faune et à la flore des sols de nos parcelles.

Photo
En parlant de faune, nous réfléchissons aux façons d'amener près des parcelles des espèces qui nous seraient utiles pour réguler des ravageurs. Je pense par exemple aux mange-bourgeons, des larves de noctuelles ou de boarmies, qui font des dégâts très frustrants au printemps. Les escargots font aussi une belle razzia sur les bourgeons à peine débourrés.

Le plan, c'est que ces larves et ces papillons servent de repas à d'autres espèces. Comment nous comptons nous y prendre ? Déja, nous laissons pousser de l'herbe pendant l'automne pour héberger des insectes prédateurs et des araignées. Avant de s'installer à Trespoux, nous avions aussi l'idée de planter des haies, des arbres, mais ici les vignes sont entourées de forêts de petits chênes opiniâtres, de haies de cornouillers et d'églantiers, bref, de ce côté-là, la nature fait bien les choses et les alentours ne manquent pas de refuges pour la biodiversité. Mais nous allons tout de même donner un petit coup de pouce en installant cette année des abris à chauve-souris, et l'année prochaine certainement des abris à passereaux, confectionnés avec soin dans l'atelier du paternel. Les papillons de nuit et les escargots n'ont qu'à bien se tenir...

Photo
un bourgeon vidé par une chenille
Photo
abris à chauve-souris
Photo
bébés araignées affamées de papillons

​Et le vin ? Il s'est un peu réchauffé, mais pas de trace de malo. Patience, patience.
Photo

A présent, le printemps avance à deux cents à l'heure. La vigne a débourré, étalé ses premières feuilles et les bourgeons floraux sont partout bien visibles. Les lilas ont fleuri avec deux semaines d'avance, et les nombreux iris, au pied des murets de pierre sèche, sont aussi très précoces. Dans les sous-bois, le muguet est sorti depuis début avril. Tôt, trop tôt, et il y a toujours un ancien pour se rappeler l'année où c'est arrivé, et où ça s'est mal passé.
​D'ailleurs, cette semaine, la météo annonce plusieurs nuits de froid, avec des températures négatives. Et la vigne va peut-être geler. Beaucoup, un peu, pas du tout ? Nous allons croiser les doigts, pour nous sur les plateaux et pour les autres, dans la vallée et partout ailleurs en France. 

​​
Nicolas
2 Commentaires

Soleil d'hiver

15/2/2017

0 Commentaires

 
Depuis hier souffle le vent d’autan. La maison grince, les arbres ploient, tout s’envole. Le vent d’autan annonce la pluie. Elle arrivera demain. Nous ne taillerons sans doute pas, la nature nous impose son rythme de travail et de repos. Cette pause, sans cela, nous ne l’aurions pas prise. Depuis décembre, nous travaillons nos sept hectares. Et, contrairement à ce que l’on pense souvent, les mois d’hiver sont très chargés. 
Photo
Nous avons attendu mi-décembre pour commencer la taille. Les vignes, qui avaient souffert de la sècheresse cet été, ont profité des pluies et de la douceur de l’automne pour se remettre et faire leurs réserves. Les feuilles sont restées vertes longtemps et ne sont pas tombées avant les premiers gels de décembre. Nous avons alors baissé les fils releveurs, qui tiennent la végétation en place pendant l’été. Cela nous a permis de passer un peu de temps dans chacune des nouvelles parcelles, d’observer les sols, la vigueur, les points forts et ceux à améliorer. D’admirer les vues, aussi, qui sont magnifiques sur nos terroirs, les plus hauts de l’appellation. En automne il n’est pas rare de voir les Pyrénées au Sud-Ouest, les monts d’Auvergne au Nord-Est et de deviner les Cévennes. 
Photo
Nicolas s’est formé à la taille Poussard, ou taille douce de la vigne, grâce à Bio 46 (le Groupement départemental des agriculteurs Bio). Nous taillions déjà grâce à cette technique, qui respecte les flux de sève de la plante et permet de limiter les maladies du bois, mais Nicolas n’avait encore jamais suivi de formation théorique. J’avais découvert ce système avec François Dal, du Sicavac. Là c’était Marceau Bourdarias qui intervenait. Ils n’ont pas tout à fait la même vision de cette technique de taille si particulière. Cela nous a permis de modifier quelques détails, afin d’être toujours plus précis.
La seule contrepartie de cette taille sur-mesure pour chaque cep, c’est le temps. Nous sommes lents. Mais chaque jour nous nous améliorons, nous prenons mieux en main nos outils, nous taillons toujours plus de pieds. Les jours rallongent, les températures sont plus douces, le travail est toujours plus agréable. Nous sommes dehors, nous sommes contents, nous profitons de l’hiver. 
Photo
​Nous avons également pris un week-end pour nous rendre à Angers et Saumur début février. Pendant le salon des vins de Loire, le « in », ont également lieu des « off », des salons plus petits, où les vignerons sont souvent associés autour d’une thématique.
Nous avons fait un saut aux Greniers Saint Jean (photo), organisé par Renaissance des Appellations, où la plupart des vignerons sont en biodynamie, les autres en bio. Puis nous avons passé une journée aux Anonymes, qui met en lumière des jeunes vignerons, aux vins dits « naturels ».  Enfin, nous n’aurions pas pu aller dans la Loire sans faire un détour à La Dive Bouteille, le plus grand salon de vins naturels. Il a lieu dans un dédale de cave troglodytes, c’est très impressionnant (et ça ne donne pas grand chose en photo). 
Photo
​Ces salons sont très importants pour les vignerons, de nombreux professionnels, cavistes, journalistes, importateurs, distributeurs, etc., y sont présents. Cela nous a permis de revoir nos amis vignerons des autres régions. Nous avons beaucoup échangé, connaissances, expériences… et bouteilles ! Pendant ces mois froids où nous sommes seuls dans nos vignes, c’est très agréable de revoir tout ce monde. Le soir, nous avons fait déguster nos bruts de cuve aux copains. La fraîcheur et la maturité des jus les ont surpris ; c’est justement ce qui nous plait tant sur les terroirs d’altitude de Cahors. 
Photo
​Nous avons aussi ouvert quelques bouteilles de notre pétillant naturel rouge. Ce vin-là nous a tenu en haleine depuis la récolte. Nous voulions vinifier quelques centaines de bouteilles d’un vrai vin rouge, mais pétillant, à la façon d’un Lambrusco artisanal. Nous avons donc fait macérer du Merlot quelques jours, jusqu’à l’apparition d’une légère trame tannique. Nous avons pressé avec notre pressoir à cliquets, soutiré une fois pour éliminer la lie et embouteillé avant la fin de la fermentation. Ces derniers grammes de sucre ont fermenté en bouteille, emprisonnant l’effervescence. Au bout de deux mois, c’était délicieux mais toujours trop trouble : nous avons donc « dégorgé à la volée ». Notre séjour en Alsace nous a bien servi, car il faut véritablement le coup de main. Lorsque la bouteille est « sur pointe », tête en bas avec le dépôt dans le col, il faut la retourner d’un geste assuré et faire sauter la capsule. On refait le plein, on sertit une nouvelle capsule et voilà le vin limpide. On ne peut pas en dire autant du vigneron qui se retrouve la tronche pleine de lie, et les doigts gelés car l’opération se fait dehors, un jour de grand froid, pour garder la bulle dissoute. Beaucoup d’opérations que l’on oublie totalement au moment de faire sauter un bouchon. Mais nous en dirons plus lorsque tout sera dégorgé et que nous aurons une étiquette à vous montrer…
Nous nous apprêtons également à débuter les travaux  d’un bâtiment à proximité des vignes.  Un hangar tout simple, en bois (ossature et bardage), pour y entreposer notre matériel. Nous avons passé les derniers mois à nous équiper, que ce soit le tracteur et d’autres outils de vignes, et il faut maintenant les avoir sur place. Pour notre première vraie saison de vigneron, avec plusieurs parcelles à amener jusqu’à la récolte, nous allons pouvoir aussi apprendre le métier de maître d’œuvre !
Photo
Enfin l'hiver, même chargé, nous permet de souffler un peu. Les soirées sont longues et nous apprécions que le soleil se couche tôt. Nous en profitons pour voir des amis, ouvrir de bonnes bouteilles, faire un peu de jardinage et de bricolage à la maison...en attendant que le printemps nous emporte!
- Maya et Nicolas - 
0 Commentaires

Nature givrée

18/1/2017

1 Commentaire

 
C'est l'hiver.
Depuis début janvier nous sommes heureux. Il fait froid. La vigne en a besoin et nous aussi. Après plusieurs années aux hivers doux, nous avions dû faire face à une forte pression de différents ravageurs, comme on les appelle dans le métier. Les noctuelles et les thrips s'étaient régalés de nos jeunes bourgeons, puis les tordeuses de nos raisins presque mûrs. Comme nous souhaitons éviter les insecticides, nous espérions une longue période de températures négatives pour que les populations baissent naturellement.

D'ailleurs, en parlant d'insectes, nous avons eu une bonne surprise en taillant pour la deuxième année notre parcelle "historique" : nous ne voyons plus de cochenilles. L'année dernière, nous étions assez embêtés car les vignes en hébergeaient des centaines. Certains ceps en souffraient vraiment, avec une chute assez importante de vigueur et beaucoup de fumagine (un champignon qui se développe sur le miellat sucré produit par les cochenilles).
​Nous avons de nouveau le cas sur certaines parcelles récupérées en décembre. Mais nous ne sommes plus inquiets : visiblement une année de viticulture biologique et biodynamique a permis de réguler la population. Nous ne savons pas encore si c'est l'arrivée d'auxiliaires (coccinelles, éphippigères...) qui ont mangé les cochenilles, ou bien si ce sont les extraits fermentés d'ortie, de fougère et de consoude qui ont renforcé la résistance des vignes. Sans doute un peu des deux.  
Photo
Malgré le froid, pas question de rester à la maison : les mois d'hiver sont très chargés pour les vignerons. C'est la période de la taille. Nous devrons ensuite tirer les bois c'est à dire enlever les sarments taillés encore accrochés sur les fils de fer. Puis attacher les baguettes, les longs bois laissés afin de porter les fruits l'année prochaine. Pour cela, nous les entourons sur le fil porteur, le premier fil du palissage. Il nous faudra aussi nourrir nos vignes avec du fumier de vache, changer les poteaux cassés, remplacer certains fils, vérifier les amarres et théoriquement replanter des jeunes pieds à la place des pieds morts. Mais pour cette dernière étape, nous savons que nous n'y arriverons pas cette année. Chaque chose en son temps.
Je vous laisse avec quelques photos prises début janvier, pendant les deux jours de brouillard givrant qui nous ont enchantés.
- Maya - 
Photo
Photo
Photo
Photo
Photo
Photo
Photo
Photo
Photo
1 Commentaire

Fermentations

17/12/2016

3 Commentaires

 
Déjà décembre! L'année a filé, la saison de la taille commence, le cycle reprend. Les vins dorment tranquillement en cave en attendant le printemps, et sa chaleur, pour faire leur fermentation malo-lactique. 
Cela fait trois, quatre, cinq fois que j'essaye d'écrire un article sur nos vinifications et que je finis par tout effacer. Trop de choses à dire... Vinifier impose de faire de multiples petits choix qui finissent par changer le profil final du vin. Chaque décision que nous prenons avec Nicolas est réfléchie, débattue, argumentée ou, au contraire, complètement instinctive car fruit d'une longue expérience à faire et goûter des vins. Résumer tout cela en un billet : impossible. 
Alors commençons par les bases : la transformation du raisin en vin, pour tous ceux d'entre vous qui ne connaissent pas encore les merveilles de la fermentation. 
Photo
​La plupart des personnes que nous rencontrons ont déjà "fait les vendanges" c'est à dire coupé du raisin dans les vignes, mangé, bu et ri beaucoup. Pour les œnologues, les vignerons, les ouvriers de chai "faire les vendanges" concerne plutôt ce qui se passe ensuite, dans le cuvier. 
Dans le cas des rouges, le raisin va fermenter avec la peau, ce qui lui donnera de la couleur et des tanins.  Pour les blancs, c'est différent, on commence par presser les fruits et le jus fermentera ensuite en phase liquide. 
Photo
​Les raisins rouges, avant d'aller dans leur cuve, sont préalablement séparés de la rafle, la partie ligneuse qui forme la grappe. On peut aussi fermenter en grappes entières et cela donne un profil de vin très différent, mais ceci est une autre histoire. On peut aussi fouler les baies, ce qui permet de les faire éclater et de libérer du jus. Nos ancêtres le faisaient pieds nus et devaient penser qu'ils ensemençaient le milieu avec des levures. 
Pour acheminer le raisin dans les cuves ou le pressoir il y a plusieurs solutions : le pomper, le faire tomber (on appelle ça "par gravité") ou utiliser un tapis élévateur. La pompe va écraser et malaxer les baies. La gravité impose de pouvoir vider les caisses ou les bennes directement dans les cuves et donc d'avoir un chai avec plusieurs étages. Nous avons choisi d'utiliser un tapis élévateur, appelé sauterelle ou girafe, qui nous permet de garder un maximum de baies intactes. Par contre, c'est la galère pour nettoyer. 
Photo
Une fois dans la cuve, les raisins vont fermenter, soit grâce à des levures indigènes (en boulangerie, on parle de « levain sauvage » et c’est sacrément cool) soit grâce à des LSA, des levures sèches actives disponibles dans le commerce. Mais j’en ai déjà parlé ici.

​Les levures permettent de transformer le sucre en alcool. C’est la première fermentation, la fermentation alcoolique. Cette réaction dégage du dioxyde de carbone (CO2) et va faire pétiller le vin. C’est d’ailleurs grâce à une fermentation en bouteille que l’on fait les pétillants naturels, crémants et autres champagnes. Lorsque l’on fait du vin rouge, les raisins doivent macérer avec le jus afin d’extraire la couleur et les tanins. Malheureusement le gaz va les faire remonter à la surface et créer ce qu’on appelle un chapeau de marc. Il faut donc régulièrement remettre en contact le raisin avec le jus qui se trouve en dessous.
Deux solutions : soit on remonte la partie liquide avec une pompe et on arrose la partie solide, ce qui s’appelle un remontage ; soit on plonge le marc dans le jus lors d’un pigeage (sur cette vidéo, fait à la main). 
Photo
​Avec Nicolas, nous préférons généralement procéder par remontage car cela nous permet d’aérer le vin. En effet, les levures ont besoin d’oxygène pour consolider leurs parois et résister à l’alcool. Cela permet aux fermentations d’ « aller au bout » c’est à dire qu’il ne reste plus de sucre. Nous décidons de la fréquence et du temps de remontage à la dégustation.
 
Une fois que la macération est terminée, ce que nous décidons également en goûtant le vin, il faut presser le marc. On écoule d’abord la cuve, en drainant tout le liquide et on obtient alors les jus de goutte. Puis il faut sortir le raisin humide et alcoolisé (souvent à la force des bras) pour le mettre dans le pressoir. On obtient alors les jus de presse. A la fin du pressurage, il ne reste plus que le gâteau de marc, c’est à dire des raisins compactés, qui sera ensuite récupéré par l’Etat et distillé pour en faire de l’alcool à pharmacie. Ou bien, dans notre cas, il sera composté pour rendre aux vignes un peu de ce qu’elles nous ont donné.
Photo
Selon le pressoir, la vitesse de pressurage, la durée de macération, etc., les jus de presse seront plus ou moins qualitatifs. On pourra alors les réintégrer en totalité ou en partie dans les jus de goutte et donc dans le vin final. Nous avons récupéré, au début de notre installation, un vieux pressoir manuel datant sans doute du début du 20ème siècle. Nous l’avons réparé, poncé, repeint, graissé et bichonné (et tout photographié!). Il marche parfaitement et le système de cliquets est une merveille d’ingéniosité (vidéo). Ces pressoirs, appelés pressoirs verticaux, donnent des vins de presse extrêmement qualitatifs mais tout de même un peu plus tanniques que les gouttes. Nous avons mis les nôtres en barrique. La micro-oxygénation apportée par la porosité du bois va gentiment les patiner pendant l’hiver. Nous les assemblerons ensuite au reste.
Photo
​Le lendemain du pressurage, nous en avons tout de même ajouté quelques litres dans les gouttes car les presses sont toujours très chargées en microorganismes et permettent souvent de lancer la deuxième fermentation du vin : la fermentation malo-lactique (malo).
 
La malo est assurément moins sexy que la fermentation alcoolique mais elle n’est pas moins utile. Elle permet de transformer l’acide malique en acide lactique. L’acide malique, celui de la pomme verte, contient deux fonctions acide (-COOH) alors que l’acide lactique, l’acide du yaourt ou de la choucroute, n’en contient qu’une seule. C’est donc une désacidification naturelle réalisée par des bactéries. Elle est systématiquement réalisée sur les vins rouges, pas toujours sur les vins blancs, que l’on souhaite plus vifs. Elle se déclenche généralement seule sur les vins sans soufre et sans intrants. 
​Les bactéries de la malo sont un peu capricieuses, elles aiment bien que le vin soit aux alentours de 20°C pour se mettre à travailler. Comme il a fait froid assez rapidement après les vendanges, notre malo n’a pas démarré. Notre vin n’est donc pas techniquement fini, même s’il est déjà très bon, cela va sans dire ! 

L’hiver permet au vin de s’élever, de mûrir et devenir meilleur. Nous n’y touchons pas, pour que cela se passe au mieux. Lorsqu’il sera prêt, au printemps ou l’été prochain, nous le mettrons en bouteille, tout simplement. 
Photo
Tout ce que je vous raconte, c’est la façon la plus épurée de faire du vin. C’est celle où tout se passe bien. Dans cette version, il n’y a pas de soufre (les fameux sulfites, qui donneraient mal à la tête), pas de pompages inutiles, pas de filtration stérile, pas d’osmose inverse, pas d’additifs d’aucune sorte. Juste du raisin qui fermente grâce aux levures présentes partout autour de nous. C’est la façon de faire du vin qui nous paraît la plus logique, la plus proche d’un produit manuel, artisanal.

Evidement, elle n’est pas sans risque. Mais c'est un risque que nous avons choisi et que nous essayons de diminuer au maximum. Un des moyens, c'est d'être très attentif à l'hygiène. Une cave ne pourra jamais être exempte de microorganismes, et d’ailleurs cela serait plutôt contre-productif, mais on peut éviter certains nids à microbes. 
Surtout, nous observons nos levains indigènes et nos vins au microscope. Cela peut paraître bizarre ou extrême, mais à partir du moment où l'on laisse la nature faire, il est crucial de savoir quelles bêbêtes sont présentes. On repère ainsi les éventuels problèmes plus tôt, et surtout les solutions à ces problèmes ne seront pas les mêmes selon les levures ou les bactéries qui travaillent. Je vous conseille d’ailleurs cet excellent article, si vous souhaitez approfondir le sujet. 
Nous n’avons pas notre propre microscope. Nous allons donc chez des collègues vignerons qui en sont équipé pour jeter un œil à ce qu’il se passe dans nos cuves. C’est l’autre avantage : nous pouvons ainsi discuter, échanger et prendre du recul sur nos pratiques. Car chaque millésime est différent et chaque vin unique. C’est pour cela que c'est si passionnant !
Photo

- Maya -
3 Commentaires

Les vendanges chez Nico et Maya - partie 2

15/11/2016

1 Commentaire

 
Après la première partie le mois dernier, notre amie Marie termine son récit des vendanges en vue embarquée.
Nous voici déjà presque en hiver, j’ai bien tardé pour rédiger le dernier volet de mes aventures chez Maya et Nicolas. Mais le voici enfin!
J’avais arrêté le récit de mes premières vendanges au délicieux repas du vendredi soir. Après une journée assommante, je croyais pouvoir paresser toute la matinée du lendemain. Las! Il est 7 heures du matin, le soleil se lève à peine et Maya et Nico sont déjà sur le pont, plus ou moins frais, mais habillés et déjà au travail. Je les contemple, l’œil hagard, tandis qu’ils organisent leur journée autour de quelques tartines beurrées et d’un café fumant. 
Photo
Photo
Remontages et visite d’un chai voisin
Au programme du premier jour post-vendanges : passage au chai, nettoyage et déplacement d’objets lourds et volumineux, puis premiers remontages. Les raisins dans la cuve, la vinification n’attend pas ! Pour procéder au remontage, il faut pomper le jus du fond de la cuve et le répandre sur les peaux de raisin qui flottent sur la partie supérieure. La manœuvre permet d’harmoniser le jus et de tirer des peaux le plus de saveur possible. L’opération est plus dangereuse qu’il n’y paraît, car la couche que forment les peaux de raisin en surface bloque l’évaporation du dioxyde de carbone produit par les levures en fermentation. Il faut dès lors s’écarter pour éviter une intoxication! Même s’il reste rare, ce type d’accident est pris très sérieusement par les vignerons, car certains d’entre eux y ont laissé la vie.
Mes précautions prises, je regarde le flot de jus, lourd et pourpre, s’échapper du tuyau et recouvrir les peaux. Pendant ce temps, Maya et Nico vérifient la densité du jus et contrôlent la fermentation, qui transforme le sucre des fruits en alcool.
Photo
Photo
​Les remontages terminés nous rendons visite à un château voisin, à l’invitation de ses propriétaires. Je change ici d’échelle. Le château et la propriété sont superbes, sans parler du chai! Dans un immense hangar, des cuves métalliques luisent comme des golems d’acier. Celles-ci contiennent la production d’une soixantaine d’hectares de vignes. Rien de surprenant pour mes amis, qui ont œuvré dans des structures bien plus importantes. Mais la visite demeure pour moi intimidante. Je tutoie fébrilement tout le monde et tâche de me faire le plus petite possible (ce qui m’est généralement difficile). La rencontre avec ces vignerons expérimentés me confronte avec la réalité du milieu, et je réalise combien il peut être effrayant de se lancer dans le grand bain quand on a seulement quelques vignes.
Dégustation VIP à l’aveugle
Les vignerons propriétaires du domaine nous font faire le tour des installations. Après avoir échangé quelques observations et quelques conseils techniques, nous prenons le chemin du restaurant en leur compagnie pour déguster un vin qui est servi à l'aveugle. Je ne devine rien, évidemment, mais, à ma grande satisfaction, le cépage reste tout aussi mystérieux pour Maya et Nico, qui étaient pourtant sur une bonne piste. Je m’abandonne à la défaite en finissant mon verre. Puis un autre. Puis un autre. L’ignorance a tout de même bon goût. 
Leur tête dans le journal
Passe une petite semaine, d’autres remontages, et il faut de nouveau préparer les vendanges et prévoir de quoi nourrir la quinzaine de personnes qui viendra à couper le Merlot. De ces quelques jours, je conserve le souvenir ému du moment où Nicolas et Maya ont découvert l'article que la Dépêche du Midi leur a consacré, et qui était même annoncé en première page de l’édition nationale. Dans un petit coin à droite, certes, à côté d'un titre consacré à un tracteur flashé à 113 km/h, mais en première page tout de même.
Photo
Ils parcourent l’article, vibrants d’excitation et de fierté. Je tire à moi le quotidien. Le journaliste, qui avait interviewé Maya et Nico lors de la première journée de vendange, avait été emballé par leur histoire et s’était émerveillé qu’un jeune couple s’installe dans la région. Outre quelques envolées lyriques savoureuses, le journaliste a mis le doigt sur un aspect important de leur entreprise agricole : Maya et Nico travaillent côte à côte depuis un an, rien que tous les deux. Une équipe de choc qui a enfin concrétisé son rêve mais qui doit néanmoins se confronter aux contingences de la vie professionnelle et de la vie de foyer, les deux se mélangeant parfois de manière désordonnée...
Photo
Une ambivalence et un équilibre délicat que ne perçoivent pas tout de suite les amis de passage. Venus de loin pour aider Maya et Nicolas, nous étions tous enthousiastes à l’idée de les aider et surtout de faire la fête. Or, pour le couple, ces vendanges étaient surtout l’aboutissement d’une année de travail acharné. Pas évident dès lors de ménager les plus dissipés et de se faire prendre au sérieux, tout en profitant de ce moment de joie et de partage. 
Moi, Marie, vendangeuse chevronnée (et autoproclamée)
Il est tard, les joues de porc rissolent dans leur vin blanc en dégageant un fumet prometteur. La liste des courses a été remplacée par les assiettes et les couverts sur la table à manger. La famille et les amis ne tardent pas à arriver. Cette fois-ci place aux jeunes! Les cousins de Nico sont venus en nombre et des amis ont également fait le déplacement depuis la France entière. Tous sont impatients de se mettre à la tâche.
Photo
Le lendemain, je suis bien plus à mon aise en ce nouveau jour de vendanges et commence à parler du domaine comme s’il m’appartenait. Cette semaine a filé sans que je m’en rende compte et je constate que mon séjour touche à sa fin le cœur serré. Le cœur serré dans ma polaire, plus précisément, car le temps s’est bien rafraîchi depuis une semaine. L’automne est déjà sur nous!
Transport de caisses et cuvée spéciale 
Photo
Photo
Nouvelle explication de notre couple de vignerons favoris sur la science des vendanges (que couper ? que laisser ?). Nous vendangerons ce samedi du Merlot, aux grains plus fermes et plus petits. Cette fois-ci, pas de tracteur pour transporter les raisins entre les vignes et … pas de petit âne non plus. En effet, nous devions recevoir l'aide d'une charrette tirée par un âne, mais son propriétaire, à notre grande déception, s’est trompée d’animal à grandes oreilles et nous a posé un lapin la veille au soir. Je vois s’éloigner avec chagrin tous les plans photo que j’avais prévu avec la bête et son tombereau. Il faudra donc porter les caisses de raisins à la force des bras. 
Photo
​Autre nouveauté : nous réserverons une partie de la récolte pour une cuvée spéciale, plus ambitieuse. Cette sélection est une expérimentation, Maya et Nico désirant vinifier un petit lot à part, dans une barrique ouverte, pour une macération plus lente et plus longue. Ceux-ci avaient présélectionné les rangées où les raisins étaient les plus beaux. Ce sera l’activité de fin de matinée. Assis tout autour des caisses, nous séparons les grains de leurs rafles à la main. Un gage de qualité et de finesse pour la production, mais qui requiert beaucoup de patience! Pas de surprise: je suis la première à me lasser. Mais les histoires incroyables de Bertrand, le père de Maya, retiennent mon attention et je termine docilement mes grappes. D’après ce que j’en ai retenu, l’histoire de la diffusion du café au XVIème siècle contient autant de rebondissements et d’espions que le meilleur des James Bond.
Photo
Photo
Photo
Le Banquet
​Le soleil déclinant et la récolte terminée nous nous dirigeons vers le chai où quelques heures de nettoyage nous attendent. La bonne volonté des participants vient rapidement à bout des dernières tâches. Le temps de se débarbouiller et le festin pourra commencer!
Photo
Les parents de Maya ont de nouveau tiré une grande table dans le salon, laquelle se remplit bientôt de convives affamés et de plats douloureusement appétissants. Bertrand porte un toast au couple star. C’est le début d’une nouvelle aventure, la naissance de leur domaine et je crois ne pas trop m’avancer en disant que tout le monde est fier d’y avoir participé!
Photo
Les vendanges de la première parcelle avaient généré beaucoup de stress pour Maya et Nico, et ces derniers peuvent désormais se détendre. Le raisin est dans la cave. Il ne reste plus qu’à vinifier! En attendant, le vin coule à flot! Les vignerons nous font goûter les bouteilles de leurs confrères et la fête prend des airs de banquet gaulois. Une page se tourne tandis que l’on se questionne sur le futur de la récolte. Le vin sera-t-il bon? Les bouteilles se vendront-elles? Quoiqu’il en soit, le raisin goûte déjà très bien.
Photo

​Texte et photos par Marie Pecquerie
1 Commentaire

Les vendanges chez Maya et Nico - partie 1

21/10/2016

3 Commentaires

 
Pour ce billet consacré aux vendanges, nous laissons la plume à notre amie Marie, qui a passé à nos côtés toute cette période intense.

Je n’avais jamais « fait les vendanges ». Pourtant, j’ai longtemps vécu dans le sud-ouest où, à la fin de l’été, la plupart de mes amis partaient travailler dans des vignobles perdus au fin fond de la campagne brûlante. Ils en revenaient généralement ravis et fourbus, avec un bon lot d’anecdotes à partager. Je les enviais un peu, même si l’idée de trimer sous un soleil de plomb entre les vignes calmait rapidement mes ardeurs.
Photo
Les années ont passé et je ne pensais plus que l’occasion se présenterait de nouveau. Jusqu’à ce que Maya et Nicolas me proposent de venir passer quelques jours chez eux pour « faire les vendanges ». Curieux comme cette expression impersonnelle peut devenir une affaire extrêmement sensible lorsqu’on y regarde de plus près. C’est d’ailleurs cette histoire que je vais raconter. ​

​Moi, Marie, apprentie vendangeuse

Je suis depuis un bon moment maintenant l’amour de Maya et Nicolas pour le vin et réciproquement (et de manière réciproquement réciproque jusqu’à que la mort les sépare). J’ai vu se développer leur projet de créer un jour leur propre domaine. J’ai vu ce rêve prendre forme lentement, puis devenir, un après-midi, tout à fait concret.
​
Démesurément enthousiaste à l’idée de descendre du train à Cahors cet après-midi-là, Maya me récupère à la gare et nous filons rejoindre Nicolas au chai qu'ils louent à quelques kilomètres de là. Arrivée à destination, j’aperçois d’abord des vignes, puis une jolie maison, qui jouxte une installation agricole. Je passe la tête dans le vaste local. Le sol est peint en rouge bordeaux. Pas de grande surprise ici: des petites cuves sont alignées sur le mur du fond, des néons éclairent un matériel rutilant, tandis que des bassines et des tuyaux reposent paresseusement le long de la paroi opposée. 
Photo
​Je suis officiellement en terre agricole inconnue, moi la parisienne élevée en ville. Et je réalise soudain quel fantastique tournant a pris la vie de mes deux amis. Je comprends aussi que les vendanges auxquelles je vais participer sont particulières: je vais ramasser avec mes petites mains des raisins auxquels Maya et Nicolas ont consacré toute une année. Pas de pression.
​
Prudent, le couple de vignerons a d’abord voulu se faire la main sur un hectare de vignes avant de sauter dans le grand bain et prendre en charge 6 hectares supplémentaires l’année prochaine. Cette année, nous récolterons donc la moitié d’un hectare de Malbec le jeudi 29 septembre. Nous vendangerons l’autre parcelle le samedi suivant, le Merlot n’étant pas encore mûr. Famille, collègues et voisins ont répondu à l’appel et le premier jour des vendanges est salué par l’arrivée d’une quinzaine de personnes à 8 heures tapantes. 

La fine équipe vendange le Malbec

​Des filets de brumes s’étirent encore entre vignes et les coteaux rosés par l’aube lorsque Maya prend la parole. Rassemblés tout autour, nous l’écoutons détailler quelles grappes récolter et comment les couper. La tâche s’annonce plus ardue que prévu: il faut expliquer pourquoi ne pas récolter les grapillons fermes et acidulés, ni les grappes ayant poussé sur un pied mort, et éviter les feuilles mortes. Mais il ne faut pas trop en dire non plus! Une bonne majorité des participants n’en est pas à sa première vendange mais les autres restent d’enthousiastes et frétillants novices débordant de questions. C’est évidemment mon cas et j’enchaîne les « pourquoi » plus que de raison. Comme toujours lorsque Maya ou Nicolas sont interrogés sur les pratiques de vinification, les réponses sont construites, pointues… et passionnantes!
Photo
Photo

Dans les vignes

Ma curiosité temporairement satisfaite je me saisis de l’épinette que Maya me tend, j’emprunte des gants et file dans la rangée qu’elle me désigne. J’échange quelques blagues avec mes voisins de sécateur, une heure passe… et je me surprend à rêver du déjeuner de midi. Je m’ennuie déjà! Je ne m’en sens absolument pas coupable, mais je comprends que déguster des bonnes bouteilles, et écouter Maya et Nico dérouler leurs palettes de saveurs avec passion restera mon activité favorite des vendanges. 
Photo
Photo
À partir de là, certains co-vendangeurs pourront se rappeler de mes nombreuses réclamations sur la longueur des pauses et l’avancement de l’heure du déjeuner. D’où une première observation: s’il nous a tous fallu de la patience pour venir à bout de cette première parcelle d’un demi hectare de Malbec, j’ai du mal à envisager le labeur que représente la récolte de 20 hectares de raisins. 

Je suis encore à peser cette première considération lorsque mon seau plein, je crie « Seaaaauuuuu ! » suffisamment fort pour que le porteur vienne m’en procurer un autre, vide. Je me réjouis d’avoir autant de pouvoir lorsqu’un des copains de Nicolas, le dénommé Kiker, me retire mes raisins et les transvase dans une caisse sur le petit tracteur. Prêté par Roger, le propriétaire du chai que louent Maya et Nico, le petit tracteur à cheminée passe entre les rangées de vignes avec sa remorque en bois pour débarrasser les vendangeurs de leur cueillette. Keuf keuf ! La machine se révèle très utile pour remonter les pentes, même si un virage un peu trop serré a failli envoyer par terre une quinzaine de caisses! Le drame a été évité de justesse, grâce à la réactivité de Kiker. Moment héroïque qui lui vaudra de rester assis sur les caisses de raisins à chaque remontée, comme un cowboy traversant le grand ouest, cahotant à bord de sa roulote. 

Retour au chai : les grappes passent dans l’érafloir

Je passe sur le déjeuner, qui fut délicieux, et j’en viens directement à l’érafloir. Si le nom aurait pu faire rougir de plaisir un juge d’application des peines au Moyen-âge, les novices doivent cependant comprendre qu’il s’agit d’une machine utilisée pour séparer les grains de raisin de la grappe. Une espèce de tapis roulant, la sauterelle, conduit ensuite les grains séparés de la rafle, c’est à dire la partie végétale de la grappe, directement dans la cuve.
Photo
​Alain, Thierry et Nicolas déversent les caisses de raisin dans un réceptacle situé sur la partie supérieure de l’érafloir. Une grosse vis sans fin, aussi appelée vis d’Archimède (coucou Wikipedia!), pousse les grappes jusqu’à un dispositif de petits doigts de fer articulés qui détachent plus ou moins violemment les raisins de leur rafle.
​
Porter les caisses, évacuer les rafles, veiller à ce que les raisins atteignent bien la cuve est bien plus physique qu’il n’y paraît surtout lorsque presque tout est fait à la force des bras. Bref, il n’y a pas trop de trois hommes au chai.
Photo
Photo
Quatre aller-retours en camionnette viennent à bout de notre vendange du jour et nous nous retrouvons tous en fin de journée pour le nettoyage des caisses et des machines. Je ne peux pas, cette fois-ci, me réfugier derrière mon appareil photo et m’atèle au nettoyage des caisses avec Lyne, la mère de Maya. Malgré tous nos efforts, un jet d’eau ne vient pas à bout si rapidement que ça de trente caisses en plastique. Il faut les rincer méticuleusement et ensuite les faire sécher. Toujours au jet d’eau, il faut ensuite laver l’érafloir et la sauterelle. On dévisse. On revisse. On réassemble. Tout le monde est mouillé, fatigué et surtout déconcerté. Personne ne s’attendait à poursuivre le travail après cette journée de récolte!
Photo
Photo

Le repas des guerriers

​Le travail a été harassant, mais Nicolas et Maya, aidés de leurs parents aux fourneaux, ont prévu de quoi nourrir notre fine équipe! Le menu, 3 étoiles, est particulièrement savoureux, et je suis ravie de revenir à mon activité préférée des vendanges: la dégustation de bon vin, en excellente compagnie. 

​A suivre...
Photo
Texte et photos : Marie Pecquerie
​
3 Commentaires

Nettoyer et trimballer

18/10/2016

0 Commentaires

 
Un mois vient de s'écouler sans qu'on le voie passer, comme tous les ans à cette époque. Lorsque nous étions oenologues, le même cycle se répétait chaque année : une période de calme avant la tempête, puis les premiers raisins toquent à la porte du chai et tout s'enchaîne avec exaltation. Les journées s'étirent, on rentre chez soi à 22h pour repartir le lendemain avant 8h, on répond aux textos avec 2 jours de retard : le plus important, c'est le raisin et le vin, en tout cas c'est eux qui dictent comment la journée se passe. Puis les vendanges se terminent, il reste beaucoup de travail en cave mais, peu à peu, on refait surface, rincés et vaguement hébétés. 

Voilà où nous en sommes aujourd'hui. Toutefois avant de vous parler des vendanges et de nos premiers vins - bientôt, c'est promis - j'en profite pour écrire un billet auquel j'ai pensé longtemps, fin septembre, sans pouvoir trouver le temps de le faire. J'avais envie de vous parler de tout ce travail de préparation de la cave, qui est à la fois basique et capital.
Photo
Photo
Je me souviens d'une obscure vidéo américaine, une animation mal faite sortie des tréfonds de Youtube (en anglais, ici), où l'on pouvait néanmoins entendre ce trait de génie : "faire du vin, c'est à 49% nettoyer des trucs, 49% trimbaler des trucs lourds un peu partout et 2% boire des bières". J'avais bien ri à l'époque avec ce résumé si cru et si réel. 

Aujourd'hui j'y repense parce qu'on a passé plusieurs jours d'affilée à installer des cuves lourdes sur des parpaings lourds (heureusement que dans notre chai, il y a un chariot élévateur). Ensuite, nous nous sommes acharnés à retirer tout le tartre et toutes la saleté qu'il y avait sur ces dites cuves. Ça a mis du temps.
Nous avons pris conscience, brutalement, que s'équiper d'occasion nous permettrait d'économiser de l'argent mais nous obligerait également à passer des dizaines d'heures à remettre le matériel d'aplomb et dans un état de propreté irréprochable. Bien sûr, en démarrant de rien, avec pas un outil, nous n'avons pas beaucoup d'autre choix que l'occasion. Mais voilà, on finit par payer en temps de travail ce qu'on a pas sorti du compte en banque. C'est le lot de tout les hors-cadres familiaux, et l'une des principales différence avec quelqu'un qui reprendrait, avec un domaine, du matériel qui marche. Ce n'est pas qu'il faille s'en plaindre, c'est simplement un état de fait et il faut prendre en compte dans un projet de création comme le notre.
​En parlant de propreté irréprochable... Dans le métier, on dit parfois d'un vigneron ou d'un autre : "dans sa cave, on pourrait manger par terre". C'est bien là l'objectif, parce que d'une part on est réellement en train de préparer dans nos locaux quelque chose que les clients vont boire, d'autre part je suis convaincu que c'est en ayant une cave impeccable, du sol aux cuves, que l'on obtient un produit à l'expression pure et franche. Alors évidemment, on ne va pas tomber dans l'extrême et tout rendre stérile, mais sincèrement, il faut pouvoir manger par terre
Alors, avant la première caisse de raisin, nous avons dérougi les pompes, les raccords et les tuyaux. Détartré et brossé les cuves. Démonté et décrassé les vannes, changé les joints. ​Rincé et désinfecté la sauterelle et l'érafloir. Nettoyé tous les seaux, les bassines et le reste de la "vaisselle vinaire". Poncé, repeint et graissé le pressoir à cliquet centenaire récupéré au début de l'été. Et, bien évidemment, tout ceci a été déplacé de multiples fois, à la force des bras et du dos ou à l'aide du chariot élévateur. 

Enfin nous nous sommes assuré que tout marchait ensemble, que l'on avait assez de caisses à vendange pour la récolte, que l'on pouvait les vider dans l'érafloir, que le dit érafloir tournait dans le bon sens et qu'il pouvait remplir la trémie de la sauterelle, que la dite sauterelle pouvait remplir la cuve et que les cuves ne fuyaient pas. 

​Trois jours avant les vendanges, c'était bon. Les choses sérieuses pouvaient commencer.
Photo

Nicolas
0 Commentaires

En attendant les vendanges

20/9/2016

3 Commentaires

 
En ce moment, les hirondelles se rassemblent devant notre maison avant leur grand départ. Ça sent les figues, les mûres et la feuille de tomate. Nous avons perdu vingt degrés brusquement et avons ressorti nos pulls du placard. Il y a comme un parfum de fin d’été dans l’air, un parfum de vendanges. Pourtant, nous ne prévoyons pas de cueillir de raisins avant début octobre. Cela surprend souvent, mais Cahors est une région assez tardive en termes de récolte. Les vignobles de la vallée, près du Lot, ne démarrent jamais avant mi-septembre. Sur le causse, plus frais et en altitude, les maturités arrivent une dizaine de jours plus tard.
​
Ces dates étonnent mais sont cruciales pour le vin. Les raisins adorent les jours chauds et les nuits fraîches. C’est là qu’ils s’expriment, qu’ils fabriquent des arômes intenses et complexes. Cette année, si tout se passe bien dans les quinze prochains jours, les baies seront délicieuses. Les écarts de température de dix, quinze, voire vingt degrés entre le jour et la nuit n’ont pas attendu octobre cette année. A notre grand bonheur ils se sont installés dès le milieu du mois d’août. Du coup, les fruits de fin d’été sont étonnamment parfumés et réjouissent nos palais des glaneurs en balade. Les raisins devraient les imiter. 
Photo
Photo
​En attendant de pouvoir goûter nos premiers jus, nous nous préparons au mieux pour les vendanges. La date de récolte est un choix crucial et délicat, il faut décider selon de nombreux facteurs : météo, type de vin, disponibilité des vendangeurs, état du raisin… et surtout, maturité(s). De ces dernières, il y en a plusieurs à prendre en compte pour faire du vin mais pour faire simple, trois facteurs nous intéressent particulièrement : la quantité de sucre, qui donnera la quantité d’alcool finale, l’évolution de l’acidité et la maturité des arômes et des tanins. Pour évaluer ces variables, rien de plus simple, ni de plus agréable : un sac congélation et une paire de jambes suffisent ! 
Photo
​Pour les tests de maturité, nous devons cueillir un échantillon de baies assez représentatif de la parcelle, côté nord et côté sud, en haut, au milieu et en bas des grappes. Il faut se méfier parce que notre instinct de chasseur-cueilleur prend vite le dessus et qu'on a tendance à cueillir les baies les plus belles et les plus mûres. Pour ma part je fais toujours le même nombre de pas, je plonge ma main sans regarder, je prie pour qu’une guêpe ne soit pas juste sous mes doigts et je pioche. Quand nous avons entre 100 et 200 baies, ou que nous avons parcouru un nombre de rangs suffisants, et que nous sommes heureux de voir le raisin si beau, nous filons au « labo » dans le chai. 
Photo
​C’est là que nous passons aux choses sérieuses. D’abord, la physique. Pour contrôler le taux de sucres nous utilisons ce qu’on appelle un réfractomètre. C’est un appareil qui mesure la densité d’un matériau grâce à la capacité de ce dernier à dévier un rayon lumineux. Concrètement, on met une goutte de jus de raisin, on pointe vers une source de lumière et ça nous donne le taux d’alcool potentiel ; c’est à dire le degré d’alcool final du vin si tout le sucre du jus de raisin est transformé en alcool. 
Photo
Photo
​Ensuite, nous passons à la chimie. Grâce à un réactif coloré, le bleu de bromothymol (BBT), nous pouvons doser l’acidité totale. C’est tout simple, on prend du moût (jus de raisin) et on ajoute trois gouttes de BBT, qui a la particularité de changer de couleur selon le pH. Le mélange étant acide, il est jaune. On ajoute de la soude (une base forte) jusqu’à ce que le mélange vire au bleu-vert, car le milieu est devenu basique. Et voilà !
L'acidité diminue quand le raisin mûrit. Nous évaluons cette baisse pour essayer de trouver le juste équilibre : un jus ni trop acide, ni pas assez. Selon les années, les températures et le rayonnement du soleil, ça peut aller très vite. Nous ne voulons pas nous faire prendre de vitesse!
Photo
Photo
​Enfin, nous arrivons au meilleur, les sens. Il faut bien évidemment déguster les raisins pour apprécier la maturité des arômes et des tanins. Nous le faisons beaucoup dans la parcelle, nous estimons la dureté des peaux, et, en les faisant glisser sur la langue, la rugosité ou la finesse des tanins. Mais nous goûtons aussi au chai ; et le jus nous raconte plein d’histoires. Nous laisserons mûrir des raisins au goût de poivron vert, de foin ou de banane verte. Nous courrons les cueillir s’ils nous parlent de cassis, de mûres ou de fleurs. 
Photo
​Parfois, cela se passe bien et les acides, les sucres et les arômes sont mûrs en même temps. Parfois, il faut un peu plus de temps à certains des facteurs pour rattraper les autres. C’est alors au vigneron de faire un choix cornélien entre alcool, finesse, équilibre et parfum. Mais au final, c’est surtout le millésime qui s’exprime. La nature s’impose et nous rappelle toute la beauté de notre métier. 
Photo
 - Maya - 
3 Commentaires

Fins de saisons

13/9/2016

1 Commentaire

 
Aujourd’hui, c’est le dernier jour de l’été. La météo est formelle : ce soir et demain, il va pleuvoir des trombes d’eau. Les jours suivants, la température retombera sous les 20°. C’est une longue séquence qui s’achève : deux mois où il n’a pas plu, ou presque, et où il a fait entre 30° et 35° tous les après-midi. Heureusement, les nuits étaient fraîches.
Les vignes commencent à tirer la langue. Sur nos versants de causse calcaires, les sols ne sont pas très profonds et la réserve en eau n’est pas infinie. Rien de grave pour le moment : simplement quelques feuilles qui jaunissent en bas des rameaux. Le feuillage de nos vignes est haut et dru, ce n’est pas quelques feuilles en moins qui posent problème. Mais clairement, une pluie ferait du bien.
Photo
Comme tous les fruits récoltés en cette fin d’été, mûres et figues en tête, les raisins sont d’une concentration étonnante. Peu de jus, beaucoup de sucre, une acidité vive et fraîche et une aromatique de dingue, voilà le profil des fruits après deux mois de sécheresse et d’alternance jours chauds / nuits fraîches. Une vendange très prometteuse pour la qualité, qui augmentera encore avec un peu d’eau et une fin de maturation au frais et au calme.
Voilà pourquoi nous attendons la pluie avec impatience, mais aussi avec angoisse. Le Sud-Ouest a été placé en vigilance orange « orages », avec son cortège local de grêle et de vents violents. Cahors devrait être épargnée par le gros de la perturbation. Espérons que le ciel s’en tienne à la pluie.
Photo
Avec la fin de l’été, c’est une saison viticole qui se termine. À la vigne, il ne reste plus qu’à attendre que les raisins murissent, à goûter souvent et à récolter au meilleur moment.
On fait le bilan, aussi, de ce qu’on a réussi et raté pendant l’année. Pour notre première année d’apprentis vignerons bio, nous sommes fiers de nous. Nos vignes n’ont pas soufferts des maladies, alors que le mildiou était la menace du printemps. Nous avons appris à relever le feuillage et à rogner au bon moment. Nous n’avons travaillé nos sols qu’une seule fois, au printemps, de façon superficielle, et ça a suffit. Le côté que nous avons choisi pour l’effeuillage (nord légèrement ouest) était vraisemblablement le bon, puisque les grappes n’ont pas pris de coup de soleil ni d’échaudage. Et quand les techniciens et les collègues passent dans nos vignes, ils les trouvent belles et sont surpris, il faut le dire, que deux novices aient mené leurs vignes sans dommages à travers l’année.
​Alors voilà, ce n’est qu’un hectare, sans matériel ou presque, avec le temps de bichonner chaque plante. Une année où il a aussi fallu tout inventer, tout mettre en place et apprendre le boulot de vigneron, et en parallèle, tout organiser pour l’an prochain : quels bâtiments, quels matériels, quels financements mais aussi quel nom pour notre domaine, quelles étiquettes… Dès 2017, nous veillerons sur 7 hectares. Ce sera le même dévouement pour bichonner chaque plante et il faudra apprendre le boulot de vigneron expérimenté. Cela sera plus long, plus intense et encore plus réjouissant.
Photo

Nicolas
1 Commentaire

Qu'avons nous fait de l'été ?

31/8/2016

2 Commentaires

 
​Après cette longue pause estivale dans nos billets, c’est un peu difficile de se remettre dans le bain. Alors plutôt que d’attaquer par un billet de fond sur des sujets qui nous tiennent à cœur, comme la biodynamie ou les démarches d’installation agricole, j’ai plutôt envie de vous parler des deux mois qui viennent de s’écouler. Alors, qu’avons-nous fait ?
 
Nous avons pris soin de nos vignes.
Photo
Nous avons écimé, à la cisaille et à la faucille, pour limiter la végétation à ce que le palissage peut supporter. Lorsqu’on démarre la viticulture, dans une salle de classe ou dans une parcelle, il se trouve toujours quelqu’un pour dire : « la vigne est une liane, il ne faut jamais l’oublier ». Une constatation qui oscille toujours entre le lieu commun et la vérité centrale du métier, car, en effet, la vigne pousse fort et partout. Les étapes pour canaliser cette énergie sont longues et nombreuses : taille, ébourgeonnage, palissage et, ce qui nous intéresse aujourd’hui, écimage. L’écimage, ou rognage, cela consiste à couper la cime des vignes (et parfois les côtés). Suffisamment pour que le feuillage reste dressé, mais sans excès pour permettre à la plante de faire mûrir ses fruits.
Nous aurions aimé ne pas écimer, afin de ne pas stresser la plante et de garder beaucoup de feuillage. Mais cette année, avec les pluies du printemps, la végétation est vite devenue luxuriante, junglesque parfois sur les parties de la parcelle aux sols les plus profonds. Alors, le plus tard possible, nous avons écimé. 
​
Une photo valant mieux qu’un long discours :
Avant
Photo
Après
Photo

Pendant l’écimage, nous avons reçu l’aide de Laurie, une jeune strasbougeoise venue découvrir le travail des vignes dans le cadre du Wwoof.
Le Wwoof ? Un réseau de fermes bio, centré sur l’échange de convivialité et de connaissances, comme le définit le site. Concrètement, des volontaires viennent passer quelques jours dans une ferme pour partager le quotidien des agriculteurs et participer occasionnellement à certains travaux agricoles, sans subordination et sans rémunération. Avec Laurie, outre le maniement des cisailles, nous avons pu ouvrir quelques bonnes bouteilles et parler longtemps, le soir, de l'Alsace, du vin nature, de nos trajectoires et de nos envies. L’occasion aussi de prendre du recul en expliquant nos façons de travailler et en profitant d'un regard extérieur particulièrement affûté et curieux. 
Photo

​Nous avons aussi effeuillé, une opération qui consiste à enlever délicatement les feuilles entourant ou recouvrant les grappes de raisin.
Nous nous sommes lancés après avoir tergiversé quelques jours autour d’un dilemme particulièrement insoluble : si on effeuille et qu’il fait trop chaud, les raisins vont brûler ; si on n’effeuille pas et qu’il pleut, les raisins vont pourrir. Evidemment, cette décision se prend en début d’été, et on ne sait qu’à la fin de la saison si elle était bonne.
Nous avons donc opté pour un effeuillage délicat, seulement sur le côté nord du rang. C'est un travail long et fatigant pour le dos, ce qui nous amène à utiliser un "siège" (en fait, un bidon de plastique). Pour l’instant, les raisins ont peu souffert d'échaudage ou de coups de soleil, et nous pensons avoir fait le bon choix.
Photo
Photo
​Nous avons fini de nous battre contre le mildiou. La sécheresse a remplacé le temps pluvieux du printemps et le mildiou est maintenant moins à la fête. Une pluie d’orage fin juillet a créé une petite alerte sur les jeunes feuilles, tendres et sensibles, mais rien d’important. À présent tout va bien. Après une année aussi difficile, ce n’est pas rien et nous en sommes heureux.
 
Dans les vignes, les raisins ont presque terminé la véraison. C’est le moment où les raisins tournent de vert à violet. La maturation commence et, d’un seul coup, l’approche des vendanges devient plus palpable.
Photo
Photo

​Nous avons également pris nos quartiers dans notre chai. Car oui, nous avons désormais un chai. Un bâtiment que nous louons, dans lequel nous allons pouvoir installer des cuves et vinifier. Vaste, isolé, à distance raisonnable des vignes, nous allons pouvoir y travailler sereinement.
Photo
Photo
En attendant les cuves, nous y avons amené notre premier matériel. Un pressoir à vis, que l’on actionne à la main à l’aide d’un système de cliquet, doté d’une belle cage en bois. Un outil vénérable et sans âge, même si on le devine centenaire ou presque, qui va nous permettre de presser notre petite récolte 2016. Après un bon nettoyage, le voilà reparti pour une nouvelle vie.
Photo
Photo
 
À présent, nous préparons les vendanges : nous allons faire transporter nos cuves que nous achetons d’occasion, nous commandons les seaux et les sécateurs qui serviront pour la récolte (manuelle), nous constituons notre équipe de cueilleurs…
Nous faisons aussi beaucoup de papiers pour le passage à une activité viticole « professionnelle » l’an prochain, mais nous en parlerons une autre fois. Pour l’instant, restons dans le concret : que les raisins mûrissent ! 
Photo

Nicolas
2 Commentaires

Des pieds et des mains

5/7/2016

2 Commentaires

 
Par la force des choses, nous voici revenus à l’époque du travail des vignes d’avant la mécanisation. En prenant un hectare dès cet hiver, en attendant plus grand, notre idée était de nous lancer, d’apprendre le travail de vigneron et aussi de nous équiper au fur et à mesure de l’année.
Photo
Mais pour s’équiper, pour investir, même d’occasion, il faut des financements. Bancaires, dans notre cas. Malheureusement tout cela prend du temps : il va sans doute s’écouler 3 ou 4 mois entre le premier rendez-vous avec le banquier et le versement du premier prêt. Tenter de faire avancer ces démarches en mai et juin, alors que la vigne demande une attention constante, quotidienne, n’est pas une partie de plaisir. Le temps des dossiers n’est pas celui de la plante. La vigne, elle, pousse, prend le mildiou, pend de chaque côté du palissage, se fait concurrencer par l’herbe. Elle n’attend pas que le prévisionnel économique soit fini pour demander qu’on s’occupe d’elle. Elle grille la politesse à tout le monde. 
Photo
En attendant d’avoir un tracteur, une charrue vigneronne, des outils mécanisés, nous nous adaptons. Il nous reste nos mains et nos bras pour travailler.

Nos meilleurs alliés, ce sont les anciens vignerons du village. Les tracteurs sont arrivés tard à Cahors, en tout cas sur le Causse. Et on trouve aisément des vignerons de 70 ans qui ont travaillé leur vignoble avec des animaux, souvent avec des bœufs, et qui sont fiers de montrer les jougs des différents attelages. Piocher les vignes, couper la cime à la faucille, ils connaissent. Ils ont fait cela plus souvent qu'à leur tour. Alors quand nous allons vers eux pour demander conseil, on sent leur jeunesse remonter à la surface. Des années de mascagne, comme on dit ici, de travail harassant et pénible, mais des années « où l’on savait travailler la vigne ». Sans verser dans la nostalgie de cette époque où les kilos de raisin réclamaient, pour arriver à la cave, encore plus de sueur qu’aujourd’hui, le récit des vignes menées en gobelet, sans palissage, au cheval, alors que chaque ferme possédait aussi un petit troupeau de vaches pour le lait et l’indispensable fumier, est franchement passionnant.
​
Le savoir-faire de ces vignerons à l’ancienne est une mine d’or. Dans l’immédiat, nous en retirons pour notre travail des choses très simples : quelle forme de pioche utiliser dans les cailloux du Causse, comment entretenir la lame de sa faucille à la parcelle, de quelle façon restaurer la cage d’un pressoir manuel… Et puis nous prend aux tripes l’envie de retrouver ce goût tombé dans l’oubli, puisqu’aujourd’hui 95% des vignes sont palissées sur des fils de fers ; que les cépages ancestraux Jurançon noir et Valdiguié, qui côtoyaient le Côt, ont été bannis du cahier des charges de l’AOC au profit du Merlot, considéré comme améliorateur. Forcément, cela nous appelle.
Photo
Une vieille parcelle en "gobelet", sans palissage, chez Jérémie Illouz
Mais trêves de rêverie : je vous présente nos outils pour cette campagne 2016.
 
Un pulvérisateur à dos, 22 kg sur le dos lorsqu'il est plein, et des temps de traitements qui se comptent en journées. Nos amis nous avaient prévenus : « vous allez en chier ». C’est vrai. Mais il faut bien cela pour espérer gagner contre les champignons et sauver sa récolte.
Photo
Une cisaille, qui a bien fait rire les anciens : « laissez tomber ça. On va plus vite à la faucille ». Et donc, des faucilles, sorties des granges et des brocantes, aiguisées, prêtes à rogner lorsque ce sera nécessaire…
Photo
Une pioche standard, mal adaptée aux cailloux. Du coup, au vide-grenier de dimanche, nous sommes tombés sur un vieux stock d’outils rouillés, d’où nous avons exhumé des têtes de sarclette et des bigos. Nous les avons emmanché ; je suis sûr qu’elles feront des merveilles
Photo
​Pour presser notre récolte, nous avons aussi trouvé dans la grange de vignerons à la retraite, inutilisé depuis 20 ans peut-être, un vieux pressoir en bois, à cliquet. Il pèse apparemment un poids dingue. Ils nous l’ont cédé, il reste à l’amener dans le chai où nous vinifierons.
Donc voilà : nous sommes en plein dans la convivialité et la réappropriation du geste.
Nous conduisons notre hectare comme un jardin.
Photo
Le point positif, c’est qu’en n'étant plus passé en tracteur depuis un travail du sol au printemps, les sols se sont décompactés et offrent maintenant aux pieds un délicieux aspect moelleux. Probablement aidée également par le passage des préparations biodynamiques, la vie revient, pour notre plus grand bonheur.

Nicolas
2 Commentaires

The transplants

10/5/2016

0 Commentaires

 
Fin mars, nous avons abandonné nos sécateurs pour une journée de plantation à Volvic chez notre ami Vince. Mais avant de tout vous raconter, je suis obligée remonter un peu dans le temps.
 
Il y a un peu plus d'un siècle, les vignes européennes ne connaissaient pas encore la plupart des maux qu’elles subissent aujourd’hui.
À la fin du XIXème siècle, des plants de vigne sont importés depuis les Etats-Unis jusqu’en Angleterre, puis en Europe continentale. Avec ces mouvements de matériel végétal arrivent des ravageurs et des maladies jusqu’ici inconnus. C’est l’oïdium qui débarque en premier en 1845, puis le phylloxera en 1863, et enfin le mildiou en 1878.
Le phylloxera est particulièrement dévastateur. En effet, ce petit puceron s’attaque aux racines des vignes et les fait mourir. Le fléau se propage à grande vitesse en France et, autour de 1880, à peine un quart de la surface viticole française subsiste encore. De nombreux vignobles sont définitivement perdus. C’est le cas dans le Périgord Noir, où le tabac remplace la vigne et seuls quelques noms de lieux-dits évoquent encore cette période révolue.
Tous cherchent une solution. Les seules vignes qui survivent sont celles qui poussent dans des sols sableux. Certains vignerons parviennent à sauver leurs parcelles en les inondant pendant l’hiver, le puceron détestant l'eau. D’autres injectent différents produits dans les sols, mais sans succès. La réponse viendra finalement du même lieu que le problème, car aux USA, les cousines de nos Vitis vinifera européennes vivent parfaitement bien avec le petit insecte. 
Photo
Les agronomes, dans un premier temps, font le choix de croiser les vignes américaines et les vignes européennes afin de les rendre tolérantes au phylloxera. C’est ce qu’on appelle les hybrides producteurs directs. On en trouve encore aujourd’hui, dont le fameux « raisin fraise », qui ravit les palais par son goût de fraise des bois (que l’on appelle « arôme foxé » chez les pros).
Malheureusement ce n’est pas une solution durable. Les fruits des vignes d’outre-Atlantique sont de bien moins bonne qualité que les européennes… Sans parler de la perte de siècles de sélection, qui avait abouti à l’obtention de cépages adaptés à leur terroir. En effet, qui imagine la Bourgogne sans Pinot noir ou l’Alsace sans Riesling ?
À Montpellier et dans le Beaujolais, d’autres agronomes explorent la greffe des vignes européennes sur des « américains ». Les résultats sont très bons et la technique se développe. Les porte-greffes sont eux-mêmes sélectionnés ou croisés pour obtenir certaines qualités : résistance au calcaire, production accrue… 
Photo
Statue fascinante à Montpellier SupAgro : la vieille France malade du phylloxéra sauvée par la jeune vigne américaine (source photo : Wikipédia, source explication : Maya Sallée et Liz Thach)
Les deux techniques cohabiteront jusqu’aux années 1950, moment où les hybrides producteurs directs seront interdits, accusés de donner des vins contenant trop de méthanol (l’alcool qui rend fou) ou de ne pas être assez qualitatifs. Actuellement, la seule issue contre le phylloxera, présent sur tout le territoire, reste le greffage sur porte-greffe résistant. Sauf rares exceptions, aucune vigne n’est plantée « franc de pied ».
La plupart des vignerons, pour établir une nouvelle parcelle, utilisent des vignes déjà greffées par un pépiniériste. Mais Vince, lui, a fait un choix différent. Retournons donc à ce mercredi de la fin mars.
Photo
Mardi soir, fin de notre journée de taille, nous filons chez Vincent Marie, du domaine No Control (http://www.vin-nocontrol.fr/fr/). Nous y retrouvons Valentin Morel (http://www.domaine-morel.fr), venu aider lui aussi et qui arrive du Jura.
Vince et Valentin se sont installés il y a peu et nous donnent de nombreux conseils pendant le repas, avec deux ou trois années de recul. Ces moments d’échange sont vraiment précieux. Nous nous sentons parfois un peu seuls, dans nos parcelles face à nos pieds de vigne, le partage d’expérience (et de bouteilles !) est fondamental.
​
Le lendemain nous rejoignons les vignes vers 8h00 après une courte nuit, bien emmitouflés car le vent passe se rafraîchir sur les neiges de la chaîne des Puy avant de venir siffler dans nos oreilles.
Les plants ont été expédiés par fagots de 500 avec leurs racines nues. Nicolas les recoupe d’abord à deux ou trois centimètres pour assurer la reprise dans leur nouvel environnement. Nous sommes surpris : pas de cire rouge sur les plants, donc pas de point de greffe. C’est là toute l’originalité de Vince, il plante d’abord ses porte-greffe (les vignes américaines) avant de venir surgreffer avec des européennes quelques années plus tard. C’est un travail qui se fait à la main, on fait une encoche dans le jeune tronc puis on y glisse un bourgeon de Vitis vinifera. Les ceps greffés ainsi, à la parcelle, sont réputés plus durables, développant moins de maladies au fil du temps. Les jeunes plants non greffés sont également plus résistants, surtout vis à vis de la sècheresse ; il y a moins de mortalité les premières années. 
A gauche : Nicolas coupe les racines avant la plantation - Au milieu : pied non greffé prêt à s'implanter en Auvergne - A droite : greffés-soudés classiques, source : http://www.comtat.com
Avant de les mettre en terre, nous trempons les pieds dans un mélange d’eau, de bouse de vache et d’argile : le pralin. Il sert à garder un environnement humide autour des racines. Puis nous creusons. Enfin, ce sont plutôt Vincent et Valentin qui creusent. Nos bras et nos mains ne sont pas encore taillés pour cet effort, il nous faudra encore quelques mois d’entrainement pour être aussi rapides et endurants qu’eux.
Photo
Seau de pralin vide : la journée touche à sa fin
Vince est venu la veille matérialiser les futurs rangs avec des cordes. C’est un travail précis et fastidieux : il faut vraiment planter droit et régulièrement, sinon tout le travail mécanique des années à venir est compromis. Un tracteur qui passe largement dans un rang de 1,5 m arrachera peut-être des souches avec 20 cm de moins. Les cordes sont placées en longueur et en largeur : à chaque croisement, on creuse un trou et on plante un pied.
C’est agréable de travailler à plusieurs : on parle, on blague et, de temps en temps, on ne dit rien, on se concentre sur le travail qui est parfois ardu dans les argiles d’Auvergne. 
Photo
À la fin de la journée, nous sommes fiers et heureux. Vince nous dit qu’on boira la première bouteille ensemble et je suis assez émue de voir tous ces pieds qui vont s’enraciner ici, un peu grâce à nous.
Tout le monde se dit au-revoir, nous sommes pressés de revoir nos vignes, Valentin aussi ; avec le printemps précoce, il y a encore plein de travail à abattre avant le débourrement des bourgeons.
Photo
La fine équipe ! 
Avant de partir nous faisons un petit détour pour aller rendre visite à la Marie. Dans sa petite épicerie, elle vend de tout, mais surtout des pâtes de fruit, du saucisson délicieux et du Saint Nectaire. « Vous voulez le choisir ? Vous savez où est la cave ? ». Nous descendons l’escalier tout raide qui débouche dans une cave voûtée magnifique. Les fromages attendent sur la paille, couvés du regard par un beau chat tigré. « Grâce à elle, je n’ai pas de souris » nous explique Marie. Elle nous indique comment bien choisir notre St Nectaire et nous répète ses préconisations en boucle, comme une longue litanie « ne jamais le mettre au frigo » « il doit être bien moelleux, il faut le tester entre le pouce et l’index » « surtout, il ne faut pas enlever la croûte, juste la gratter…le meilleur est sous la croûte ! ». Et tout en palpant les Saint Nectaire, je me dis qu’il suffit parfois de pousser une porte pour voyager !
Photo
Photo
0 Commentaires

L'orage

16/4/2016

1 Commentaire

 
Le ciel devient noir et blanc, s’arque boute et se déchire à l’infini. La nature rugit sa puissance. Elle nous rappelle que nous ne sommes que de la poussière de roche, rien, une particule dans le tumulte. J’ai toujours trouvé cela si beau, l’orage. Je me souviens, enfant, du bruit du tonnerre qui nous réveillait en pleine nuit, les éclairs blancs dans le ciel tout noir, la pluie froide, dure, sur la peau chaude et humide de la fin de l’été. J’aimais cette beauté brute et sauvage, et la douce panique, aussi, qui nous envahissait. Nous courrions partout débrancher les machines, arracher les prises de téléphone. Une fois où nous n’avions pas été assez rapides, l’alarme avait pris feu. Puis la foudre passait et nous laissait tout frissonnants de tension et d’excitation mêlées. 
Photo
A l’heure où j’écris ces lignes, l’orage est là. Le ciel est devenu sombre en plein jour, à défaut de s’éclairer en pleine nuit comme dans mes souvenirs d’enfant. C’est le troisième en quatre jours. Les deux premiers ont amené avec eux leur lot d’angoisse et de tristesse. Alerte orange grêle. Méteo France a tamponné le grand G sur Cahors cette après-midi. 
Photo
Hier soir, ils n’avaient rien vu venir. La journée avait été chaude et ensoleillée, joyeuse. Nicolas avait remarqué, vers 19h, s’accumuler les cumulonimbus, au loin, du côté d’Agen. Le plateau, à Cahors, a la particularité d’offrir le ciel à celui qui regarde. On voit tous les nuages passer sur la vallée de la Garonne, au-dessus de la Dordogne, filer vers l’Est ou s’accumuler à l’Ouest. Des paysages entiers emplis de nuages. On croirait se noyer dans tous ces horizons. 
Photo
Vers 22h, le ciel se déchirait enfin. Il semblait éclater de tant de lumière. L’enfant en moi se réveillait et je trouvais ça beau. Beau et terrifiant. Puis nous l’avons entendue arriver. La crainte de tous les agriculteurs. Elle prévient avant de frapper, claquant sur la terre, tambourinant sur le sol détrempé. La grêle. Sans pitié. « C’est ça d’être agriculteur, on travaille, on travaille et en un quart d’heure, on a tout perdu » comme dit ma voisine à l’accent d'ici de sa voix chevrotante. 
Photo
Photo
Nous n’avons pas tout perdu hier soir, heureusement. Quelques bourgeons se sont volatilisés, ici ou là, arrachés par les noisettes de glace. Ajoutés aux dégâts des escargots, bien nombreux après un hiver si doux, 20 à 30% des petits rameaux ont disparu. Si tôt, la vigne peut encore se remettre…
Mais j’ai surtout perdu mon amour d’enfant et beaucoup de mon insouciance. Et si jusqu’à maintenant je ne réalisais pas encore, je crois bien que j’ai franchi un vrai cap dans notre installation. Hier soir, dans la douleur et l’angoisse, la nuit, à regarder les grêlons tomber du ciel, les prenant, glacés, dans ma main tremblante pour évaluer leur taille, je me suis sentie devenir vigneronne. 
Photo
- Maya - 
1 Commentaire

Sortie d'hiver

10/4/2016

2 Commentaires

 
Le bail des vignes signé, fin février, nous avons dû mettre les bouchées doubles. Au fur et à mesure des semaines, nous avons vu les pommiers et les pruniers fleurir, les pâquerettes et les pissenlits apparaître dans les prairies, les hirondelles revenir de migration : le printemps était en avance, et on pouvait l’entendre arriver. Aller dans les vignes pour finir le travail à temps est devenu la priorité absolue.
Photo
Premier travail : la taille. Nous en avons bavé, du moins au début. Il a tout d’abord fallu se rendre compte qu’avec nos sécateurs à main, c’était hyper dur. Certains de nos collègues vignerons ont abandonné leurs sécateurs électrique pour des outils à main japonais, à la qualité de coupe impeccable ; nous aurions bien aimé les imiter. Mais la parcelle que nous reprenons est bien trop vigoureuse, avec des sarments nombreux et de beau calibre. Non seulement les mains souffraient, mais nous n’avancions pas. Au bout de deux semaines, changement de plan. Après avoir écumé le Bon Coin et trouvé la bonne occasion pas trop loin de chez nous, nous étions équipés avec un sécateur électrique chacun, batterie à la ceinture, prêts à dépoter. Le rythme a augmenté d’un coup et nous nous sommes sentis pousser des ailes.
 
Alors que nous passions nos journées à observer les pieds et à tenter, sur chacun, de former la plante selon les principes de la taille Guyot-Poussard, nous avons été heureux de voir se multiplier, sur Internet et dans la presse, les articles consacrés à cette technique, alors qu’ici, les avis étaient plutôt sceptiques. La prise de parole éclairante de Jean-Michel Comme (directeur technique du château Pontet-Canet, à Pauillac) dans le Point, mais aussi celle de Pascal Lecomte dans La Vigne, nous ont fait plaisir, le soir, à l’heure de se masser les mains. Si le sujet vous intéresse, que vous souhaitez mieux comprendre ce qu’on entend par « respect des flux de sèves », nos amis de Dambach-la-Ville, Florian et Mathilde Beck-Hartweg, y ont consacré une vidéo Youtube.
Pied après pied, l’habitude venant, nous nous sommes vu travailler mieux et surtout plus vite. Nous avons taillé le dernier rang à une vitesse tout à fait honorable, dix fois plus rapidement que le premier rang. Nous ne sommes déjà plus des tailleurs débutants.
Photo
La taille est le principal chantier de l'hiver, mais ce n'est pas le dernier. Une fois cela terminé, il faut tirer les bois. Cela consiste à enlever du palissage les branches qui ont été supprimées à la taille, puis à les placer en tas bien compact au milieu du rang pour les broyer un peu plus tard.
 
A ce niveau de l’article, une définition de certains termes techniques s’impose. Pas d’inquiétude, faisons cela en image :
Photo
Le long sarment, c’est la baguette. Les bourgeons qu’elle porte donneront les rameaux sur lesquels pousseront les feuilles et les fruits. C’est elle qui porte la quasi-totalité de la récolte de l’année.
Les deux petits segments, ce sont les coursons. Le premier se trouve juste sous la baguette, l'autre est en haut à droite du pied, juste sous le fil. Les coursons sont peu fructifères, mais ce n’est pas leur fonction première. L’objectif, c’est que les rameaux issus de leurs bourgeons forment les branches gardées à la taille l’an prochain, c'est-à-dire la future baguette… et le futur courson.
 
Dans la taille Guyot classique, il n’y a qu’un courson. Dans la taille Guyot-Poussard, comme sur la photo, on en conserve deux, un de chaque côté du pied, pour justement faire circuler la sève des deux côtés. Si l’on abandonne un côté en supprimant le flux, le bois se nécrose et des champignons s’y développent, pouvant dans le pire des cas tuer le pied.
Photo
Tout ça pour vous parler de l’attachage. Cela consiste à rabattre la baguette sur le fil bas du palissage. Plus la baguette est basse et près du fil, plus les rameaux auront de place pour monter jusqu’en haut du palissage. C’est capital, car pour faire mûrir les raisins, il faut suffisamment de feuillage.
 
Nous avons pu nous rendre compte que le Malbec, à l’attachage, était un cépage plutôt capricieux. Un peu trop de brusquerie et la baguette se rompt. S’il y a quelque chose de contrariant, après avoir taillé soigneusement son pied, c’est bien de casser une baguette. Presque pas de récolte sur le pied, les rameaux des coursons qui vont grossir sans retenue et compliquer la taille de l’année suivante : c’est une catastrophe en miniature à chaque fois que cela arrive. Alors on peste, on se dit qu’on a était trop brutal, qu’il vaudrait mieux attacher sous la pluie, que la baguette était trop grosse... puis on se rappelle que tout le monde casse une baguette de temps en temps. Pour éviter de telles montagnes russes émotionnelles, on plie doucement, en faisant délicatement craquer le bois avec des gestes contrôlés, on ruse, et finalement, on place le lien qui maintient la baguette à sa place. ​
Photo
Alors que nous attachions les derniers rangs, nous avons pu voir la vigne commencer son cycle. Les bourgeons ont gonflé, dévoilant leur bourre cotonneuse, puis ils ont peu à peu éclaté. Aujourd’hui, on commence à voir une ou deux petites feuilles sortir sur les pieds les plus précoces. C’est vraiment une période fascinante qui démarre. Chaque jour, la vigne va montrer un visage légèrement différent de la veille.

Les travaux d’hiver sont maintenant terminés. La saison végétative débute, avec dix jours d’avance sur la moyenne d’après les techniciens du secteur. Les travaux de printemps commencent ; il va falloir protéger les jeunes feuilles et les jeunes rameaux du mildiou et de l’oïdium qui vont bientôt les menacer, canaliser la végétation, nourrir et entretenir les sols... On ne va pas s’ennuyer ;)

Nicolas
2 Commentaires

Déboucher des magnums de crémant en hurlant de joie (ou presque)

27/2/2016

8 Commentaires

 
Tout s’est franchement accéléré depuis le début de 2016.
 
Déjà, il y a eu ce déménagement. Un de plus, et comme d’habitude on se dit qu’on restera dans la nouvelle maison « au moins deux-trois ans ». L’avantage de la location, c’est qu’on peut se contredire rapidement, sans autre conséquence que de se casser le dos en promenant au gré des vents armoires, vins et bouquins. Et de vivre un bon mois au milieu des cartons. 
Photo
À présent, nous voici dans la zone du vignoble, dans un hameau isolé avec de grandes vues sur les bois et les combes à l’entour. D’ailleurs, ce déménagement près du vignoble est tombé à pic...

​La grande nouvelle, c'est que depuis une dizaine de jours, nous avons des vignes à travailler ! DES VIGNES !

​Alors oui, c’est une petite parcelle, un petit peu moins qu’un hectare, mais voilà : c’est parti ! C’est ce que nous travaillerons en 2016, en attendant plus, peut-être, pour 2017. Nous accompagnerons ces vignes à travers toute la saison pour récolter et vinifier en octobre.
​
C’est une location (un fermage) conclue avec la personne qui les travaillait jusqu’ici. Tout s’est mis en place lentement : des mois pour se connaître, pour se mettre d’accord et pour enfin signer. C’est peut-être pour cela que nous n’avons pas subitement sauté au plafond, ni débouché des magnums de crémant en hurlant de joie. Mais n’empêche, nous sommes vraiment heureux. 
Photo
Il faut toujours un paragraphe administratif dans une histoire agricole. Je suis désolé, c’est maintenant ; pour les phobiques, rendez-vous dans une dizaine de lignes... Pour pouvoir louer, nous avons eu la chance d’être exempté de l’Autorisation d’Exploiter. Je m’explique : généralement, pour travailler une nouvelle terre, il faut y être autorisé par la préfecture, via les services de la DDT et, parfois après passage devant une commission, la CDOA. Devant celle-ci, les voisins agriculteurs peuvent déposer une candidature pour travailleur eux-mêmes les terres en questions. Pour nous, toutes les conditions étaient remplies pour sauter cette étape : avoir un diplôme, ne pas démanteler une exploitation, être en installation progressive, ne pas être éloigné du siège d’exploitation, bref, respecter le Schéma Départemental Des Structures Agricoles (si ça vous passionne, vous trouverez ici un exemple, celui du Cher). Obtenir cette autorisation est une démarche plutôt simple mais qui prend tout de même deux à trois mois. En n’ayant pas eu à l’effectuer, nous avons pu nous mettre directement au travail.
 
Donc, enfin, nous y sommes. Dans les vignes. Dans nos vignes ? On n'ose même pas encore l'écrire. C’est incroyable de l’avoir pensé, espéré, préparé, et de voir tout cela devenir très concret.
Nous nous levons tôt le matin pour aller tailler, tous les jours où c’est possible. C’est que le temps presse : nous avons un mois pour tout finir avant le débourrement (l’éclosion des bourgeons).
Pour le moment, nous n’allons pas très vite. Nous avons des sécateurs manuels, dotés d’excellentes lames, mais qui demandent une certaine force. Pour nous muscler progressivement, sans accroc, nous tirons les bois à chaque pied taillé, c'est-à-dire que nous enlevons du palissage les sarments éliminés à la taille. Le rythme est plus lent, mais les mouvements plus variés.
Photo
Nous avons aussi commencé à tailler en Guyot-Poussard, une variante de la taille en Guyot, dont le but est de maintenir des flux de sève réguliers. Supposément, cela diminue la mortalité des pieds, et équilibre mieux la plante. Nous en parlerons probablement dans un prochain billet, peut-être l'hiver prochain, après une première comparaison avec les rangs que nous taillerons en Guyot classique.
Photo
Tailler est un exercice très stimulant ; nous finissons les journées aussi fatigués des mains et du dos que de la tête. En réalité, l’acte de tailler se fait en projetant le développement de la végétation pendant l’année, la répartition des grappes et leur nombre, et aussi en mettant en place la taille de l’année d’après. Tout un programme ! Les bons tailleurs le font machinalement. Encore quelques hectares, quelques ampoules, et on y sera peut-être.
​
Nous nous installons dans une douce routine : partir tôt, se couvrir contre le froid, parfois contre la pluie. Finir un rang. Prendre un thé chaud dans la voiture. S'appliquer à ranger les sarments coupés au milieu du rang. Discuter quelques minutes avec le voisin, ou le propriétaire des vignes, le temps de recevoir un conseil, un commentaire. Étirer son dos. Être fier de la taille d’un pied en particulier, puis pester le pied suivant contre la disposition pas du tout commode des bourgeons. S’apercevoir qu’il commence à être tard, que la lumière est basse. Rentrer fourbus, et pour clore la journée, affûter la lame de son sécateur pour le lendemain.
8 Commentaires

À Dambach, chez Florian et Mathilde

3/2/2016

2 Commentaires

 
Au début du mois de janvier, nous avons profité de notre court séjour en Alsace pour rendre visite à Florian et Mathilde Beck-Hartweg, à Dambach-la-Ville. Nous les avions côtoyés lorsque nous étions en Alsace, et goûté à l'occasion leur excellent Pinot noir. Depuis, nous suivons assidûment le Facebook de Florian, qui poste régulièrement un compte-rendu de son travail et de ses innovations.
Ce couple de vignerons poursuit le travail des parents de Florian, notamment la tenue de vignes en agriculture biologique, avec un soin soutenu et ininterrompu pour leurs sols viticoles.
Dans ce sens, le travail de Florian et Mathilde s'inscrit dans le concept d'agriculture de conservation, soit "l'ensemble de techniques culturales destinées à maintenir et améliorer le potentiel agronomique des sols, tout en conservant une production régulière et performante sur les plans technique et économique", d'après mon ami Wikipedia, qui ajoute : "ce système s'inspire des systèmes forestiers : les racines maintiennent les sols en place, le taux de matières organiques est très élevé et le sol n'est jamais découvert".

Ce genre de système de culture a beaucoup de sens dans un contexte de réchauffement climatique. Lors d'une journée d'été ensoleillée, comme il s'en produit souvent, la température à la surface d'un sol nu peut dépasser 40°, entraînant des dégâts sévères sur la vie biologique du sol. Sur un sol couvert, la température reste modérée, parfois plus basse que la température de l'air *.
​De plus, les sols contenant beaucoup d'humus peuvent stocker l'eau bien davantage que la normale : c'est capital en cas de fortes pluies (moins d'érosion) ou de sécheresse prolongée (le sol s'assèche moins vite). Enfin, du point de vue de la nutrition minérale de la vigne, l'humus est généralement plus performant que des systèmes dépendant des intrants.  
Nous sommes donc allés voir dans les vignes de Florian et Mathilde comment cela se passait concrètement. 
Un des problèmes à résoudre, en viticulture, c'est l'entretien du couvert végétal -- de l'herbe, quoi -- qui peut représenter une concurrence du point de vue de l'eau et des minéraux. 
Les stratégies d'entretien varient selon les viticulteurs et le contexte : désherbage chimique, enherbement total avec tonte, travail du sol sur tous les rangs, alternance un rang fauché/un rang travaillé, etc.
Florian, lui, a mis un place un système où les rangs sont enherbés mais pas fauchés. Pour éviter la repousse (le regain, comme disent les éleveurs qui fauchent également, mais pour maximiser la production d'herbe), le couvert est roulé. Les tiges, pincées, ne permettent plus la croissance de la plante couchée qui reste en place et crée, au bout d'un moment, un paillage. 
Le couvert est souvent constitué de végétaux indigènes, "pour la biodiversité, et aussi parce qu'ils sont adaptés au conditions locales". Lorsqu'il y a semis, c'est avant la plantation de la parcelle, avec un mélange de légumineuses, de graminées et autres. 
Photo
Pendant l'après-midi, nous parlons de tracteurs, d'outils combinés et de diverses techniques destinées à minimiser le nombre de passage, et donc le tassement des sols :  des informations qui nous intéressent vivement, mais dont je vous fais grâce ;)

Le résultat de ces techniques ? Le plus visible, à l’œil nu, c'est la véritable création d'un sol. Sur les parcelles dans le Frankstein (un grand cru sur granite), une épaisse couche de terre noire, à l'odeur de sol de forêt, recouvre les cailloux de granite. On ne voit pas la roche. Florian explique qu'il a littéralement créé du sol. Un piégeage de carbone atmosphérique qui se calcule en tonnes, ajoute-il. La vigne n'est pas vigoureuse, mais pas faible pour autant. 
La tournée des parcelles se poursuit sur une autre colline, où sera réalisée une plantation. Pour l'instant, c'est un engrais vert qui recouvre le sol. Leur chat des vignes, Tigerle, monte aux poteaux, sans doute pour admirer la magnifique vue sur Dambach... ou bien pour qu'on l'admire lui, sa tête de chat fier et son royaume de plusieurs hectares peuplés de mulots et de lézards. Florian et Mathilde nous montrent un muret de pierres sèches qu'ils ont construit pour stabiliser une de leur parcelles, à partir de pierres récupérées dans la forêt voisine. 
Photo
La visite se termine en cave, par une dégustation des 2015. Certains fermentent encore doucement dans leurs foudres en bois, en levures indigènes. Certaines cuvées sont sans soufre (et le resteront), les autres, notamment les vins demi-secs, sont préservées de la refermentation par un sulfitage minimal et adapté.
Les matières sont impressionnantes, le style affirmé. Les vins secs, sans doute en raison des fermentations de plusieurs mois qui créent comme un batonnage permanent des lies fines, ont une attaque en bouche tout en gras, et se prolongent longtemps grâce à une acidité grenue et poudrée, signature des terroirs de granite.
Un vin comme "Tout naturellement" présente tellement de sapidité en bouche qu'on trouve facilement le fameux goût d'umami, la 5ème saveur décrite par les japonais à côté de l'acide, de l'amer, du salé et du sucré. Evidemment, il fait un tabac au Japon.
D'autres vins sont plus classiques, mais non moins savoureux. Leurs pinots noirs, notamment, sont des vins qui me plaisent énormément grâce à leurs nombreux niveaux d'appréciation : un charme immédiat à la première gorgée, de la profondeur sur les suivantes, un renouvellement du plaisir de la table ensuite, et j'en passe.

​J'arrête là le billet : c'était une visite extrêmement intéressante, avec beaucoup d'idées qui viendront nourrir le système de culture que nous allons mettre en place, petit à petit, dans nos futures vignes. Nous gardons évidemment en tête que nous avons vu un système à l'équilibre, fruit d'une dizaine d'années de travail par Mathilde, Florian et ses parents.
Pour en arriver même stade, sur nos propres parcelles, avec un schéma qui marche pour nous, il faudra réfléchir, observer, essayer, se planter, essayer à nouveau. Et continuer à échanger avec les collègues, en Alsace ou dans la région, vignerons ou cultivateurs. 

Nicolas

* : à propos des températures du sol en fonction du couvert, Florian a fait les mesures suivantes un jour à 34°C, à une profondeur de 5 cm :
- sol 
nu (labouré ou désherbé) : 41 °C
- herbe fauchée à ras : 35 °C
- herbe non fauchée : 28 °C
- herbe roulée : 23 °C 

Toutes les photos sont de Nicolas et Maya, sauf la photo de "Tout naturellement", issue du site web de Florian et Mathilde Beck-Hartweg, et celle du chat, prise par Mathilde.
2 Commentaires

Qu'avons nous fait ?!

7/1/2016

0 Commentaires

 
Cela fait un peu plus d'un mois depuis que nous avons résumé nos mois d'oct-embre. J'ai bien aimé ce post de Nicolas, cela permet de résumer rapidement toutes ces petites choses qui mènent à notre installation et qui ne méritent parfois pas une note entière. Cela nous permet aussi de faire le point : est-ce que nous avançons ? 
​
A première vue, la réponse ce mois ci est : plutôt non. Notre petite boule de poil a beaucoup accaparé notre attention et volé notre temps, puis les fêtes de fin d'année sont venues confisquer ce qu'il restait du mois de décembre.
​
Mais finalement, en y repensant, le mois de décembre a été actif et très positif. Nous avons fini notre cycle de dix jours de formation (résumé ici) auprès de l'ADEAR. Ces rendez-vous hebdomadaires vont nous manquer : ils nous permettaient de nous sentir entourés, encadrés et surtout portés par l'énergie de tous ces projets d'installation agricole autour de nous.
Photo
Nous avons également recherché activement du foncier, allant une ou deux fois par semaine dans la zone de Cahors pour voir des vignes. Cela nous a aussi permis de rencontrer de nouvelles personnes, de visiter l'un des laboratoires d’œnologie de la vallée, de sillonner encore et encore ce territoire que nous avons choisi et dans lequel nous allons vivre. 
​

La grande nouvelle de ce mois, c'est que nous avons trouvé une maison à louer. Nous allons enfin pouvoir vivre sur place, travailler dans les vignes (les nôtres le plus rapidement possible et celles des autres en attendant) et continuer notre prospection. Nous allons surtout pouvoir nous installer quelque part, pour un temps, et sortir nos affaires des cartons où elles dorment depuis six mois. Nous quitterons le Périgord noir avec un brin de nostalgie mais nous faisons ainsi un grand bon en avant.
Photo
Pendant ce dernier mois nous avons également commencé notre prévisionnel économique. Il s'agit de rédiger une comptabilité virtuelle mais la plus proche possible de la réalité pour estimer à long terme la viabilité économique de notre exploitation. Il faut également anticiper les investissement et estimer les différents apports dans le but que la trésorerie s'équilibre, pour ne pas se retrouver le bec dans l'eau au moment de payer les différentes factures. C'est un requis pour demander les aides aux jeunes agriculteurs (la fameuse DJA) et nous tenons de toutes façons à le faire : ce prévisionnel se révélera sans doute assez rapidement obsolète mais il nous permet de poser les bases de notre projet et de mieux prévoir. Cependant c'est un exercice de haute voltige, comment imaginer à quelles charges nous allons faire face ou quel rendement nous allons faire dans les prochaines années ? J'ai parfois l'impression construire sur du vide.

Nicolas s'est rendu, mi-décembre, à son rendez-vous PPP (Plan de Professionnalisation Personnalisé) à la chambre d'agriculture. Cela rentre dans le cadre de la DJA et permet de faire le bilan de compétences d'un candidat à l'installation agricole et de prescrire un programme de formation ou de stages. Comme il possède déjà un diplôme agricole et de l'expérience, il devra se rendre uniquement à un stage de 28h obligatoire pour l'obtention de la DJA. Il va aussi assister à une formation sur le prévisionnel économique, ce qui nous sera très utile.
Photo
Le genre d'erreur que nous aimerions anticiper
Nous avons aussi et surtout commencé à réfléchir à la construction d'un chai. Nous n'avons pas encore trouvé de foncier mais nos pistes les plus intéressantes jusqu'à maintenant concernaient uniquement de la vigne. Nous préférons donc anticiper et démarrer une sorte de cahier des charges de ce qui nous semble indispensable dans un chai et commencer à chiffrer un peu tous les éléments. La bonne nouvelle c'est que du coup, on va aller visiter quelques copains vignerons un peu partout en France pour les bombarder de questions. Le début de l'année 2016 s'annonce très très agréable ! On vous racontera...

​- Maya - 
0 Commentaires

Domaine des possibles

17/12/2015

0 Commentaires

 
Note : pour de sombres raisons esthétiques, ce post sera illustré par des affichages poétiques

S’installer en viticulture, ou plus généralement créer une entreprise, demande de se poser plein de questions au préalable. Ou bien les autres le feront à votre place et il vaut mieux avoir une réponse dûment argumentée. Lorsque nous rencontrons des personnes intéressées par notre projet, ils finissent inévitablement par nous demander : « vous cherchez plutôt un domaine ou juste des vignes ? ». Pour nous, il n’y a pas de bonne ou mauvaise réponse à cette question, chaque option ayant ses avantages et ses inconvénients.
 
Nous avons visité de très beaux domaines à vendre, avec des vignes entourant la maison, un chai, un hangar pour les tracteurs, tout le matériel. Nous n’avions plus qu’à poser nos valises et franchement, ça fait rêver. La plupart des agriculteurs, surtout en élevage, estiment qu’il est plus simple de vivre au milieu de sa ferme. On y gagne beaucoup en temps de travail et c’est sans doute un grand avantage pour la vie de famille.
Par contre, l’investissement est souvent important au départ, surtout dans notre région où la pierre est si belle.  Le chai n’est pas toujours conforme à nos besoins, notamment si le cédant faisait du vin en vrac et avait de trop grandes cuves. Il faudrait donc ajouter une somme conséquente pour adapter l’outil de production, ou se conformer aux choix réalisés par quelqu’un d’autre dans une structure et à une époque différente de la nôtre. Enfin, les charges de telles structures sont assez élevées, il y a souvent des travaux à faire, sans parler des taxes foncières sur des bâtiments existants mais parfois à l’abandon.
Photo
L’option d’acheter des vignes seules permet, quant à elle,  de se concentrer sur l’essentiel. On visite les parcelles, on regarde si une transition rapide vers le bio est possible, l’état général et les manquants, et c’est tout. Il y a plus de vignes à vendre que des domaines entiers et la surface est plus adaptable, les cédants acceptant souvent d’en vendre qu’une seule partie car un voisin aimerait l’autre. C’est surtout moins cher dans cette région, où la terre coûte peu et la pierre beaucoup. Par contre, c’est juste la partie émergée de l’iceberg. L’investissement semble plus faible au départ mais il y a tout à faire et à construire. Au delà des sommes à débourser ensuite pour le chai, le hangar et le matériel, cela veut dire qu’il faudra bricoler au départ, s’adapter constamment, trouver un local où vinifier en attendant de construire… Pour en avoir discuté avec des vignerons ayant fait ce choix, cela peut vite s'avérer épuisant. Par contre, on est libre. Libre d’imaginer l’outil tel qu’on le rêve, avec pour seule limite la réalité économique.
En ce qui concerne la maison d’habitation, c’est simple : il n’y en a pas. On perd l’immense confort d’habiter sur son lieu de travail, de n’avoir que quelques pas à faire pour aller arrêter le pressoir, vérifier que les cuves sont bien fermées ou à la bonne température. D’un autre côté, pour nous qui nous installons « hors cadre familial », nous pensons évidemment au jour ou nous devrons céder notre outil de travail, que ce soit à nos descendants ou à un parfait inconnu. Cela nous rassure de savoir que nous aurons notre maison à nous, à l’écart, qui n’aura rien à voir avec l’exploitation et que nous pourrons garder. Nous pensons aussi à cette frontière, si nécessaire mais si ténue dans le monde agricole, entre vie privée et professionnelle : l’élargir de quelques kilomètres se révélera sans doute assez agréable.
Photo
Il y encore une troisième option : celle de planter des vignes. Il faut savoir qu’une vigne commence à produire du raisin vers la troisième ou quatrième année et il faut encore un ou deux ans pour produire et vendre le vin ; nous préférons donc acheter des vignes déjà en production. En plus, une vieille vigne donne de meilleurs raisins qu’une jeune, les vins sont plus sages et plus profonds. Enfin, dans la zone que nous avons choisi, l’investissement est plus important quand on plante une vigne que quand on l’achète.
 
Voilà donc où nous en sommes. La recherche de foncier est parfois longue et difficile. Cela permet de se poser plein de questions, de peser les options, pour le jour où il ne faudra pas laisser passer notre chance.
Photo

​- Maya -
0 Commentaires

Tôt ou tard

19/11/2015

2 Commentaires

 
Un mois sans publier, ce n'est pas glorieux. A notre décharge, nous avons eu un mois extrêmement actif depuis la fin des vendanges : d'abord deux semaines de voyage dans un endroit qui nous est cher (Maya vous en parlera) ; ensuite, beaucoup de travail sur notre projet d'installation.
Par exemple, se former. Le mois écoulé a été très axé tracteur. Maya a suivi une formation à la mécanique agricole au CFPPA de Figeac, pendant deux jours. Je suis revenu dans ce même centre deux semaines plus tard pour la même durée ; cette fois le thème était "le tracteur pour les nuls". Au menu, conduite, attelage, dételage, manœuvres, apprentissage des règles de sécurité. Ce n'est pas quelque chose d'une importance capitale, mais c'est une étape. Et s'il est vrai qu'avec notre formation et plusieurs années d'expérience dans les caves du monde entier, nous avons acquis des compétences pour mener notre futur domaine viticole, il nous reste à apprendre beaucoup de points très appliqués, très concrets, avant de pouvoir réaliser l'ensemble des travaux viticoles d'une année. Ces affaires de tracteurs en font partie.
Ce dernier mois, nous avons eu l'impression de progresser, au moins un peu, dans notre recherche de foncier. Cela a été notre axe de travail prioritaire. Au fur et à mesure des rencontres avec les différents acteurs de la filière, notre idée se fait plus précise. Des contacts intéressants apparaissent. C'est peut-être la bonne direction.
​
Je voudrais finir ce billet un peu fourre-tout en mentionnant les multiples articles qui, à l'approche de la COP21, tentent d'évaluer l'impact du réchauffement climatique sur nos vignobles. Je pense notamment au "grand format" du Monde, à lire à cette adresse, qui malgré quelques imprécisions, est d'un grand intérêt pour le grand public. Il a d'ailleurs été énormément lu, partagé, discuté. L'article a le mérite de balayer beaucoup d'enjeux et d'aller plus loin que le cliché, sans cesse renouvelé, des futurs grands vins anglais ou scandinaves.
Je pense notamment à la mise en garde de Jean-Marc Touzard (INRA Montpellier) : « Si on reste en dessous des 2 °C de réchauffement, on s’adaptera. Deux degrés, c’est déjà la variabilité interne d’un vignoble, les viticulteurs savent gérer. Au-dessus, la carte de nos vignobles risque d’exploser. »
Pour l'instant, la hausse des températures est déjà estimée à 1,2°C. Nous allons commencer notre carrière de vignerons dans ce contexte. Forcément, nous pensons à l'introduction de cépages adaptés à un climat plus chaud de 2, 3 ou 4 degrés, ainsi qu'aux moyens de protéger les sols des températures caniculaires. L'agroforesterie nous semble, à nous aussi, un moyen très intéressant d'amener un ombrage, des auxiliaires, de la biodiversité. Certains vignerons pensent déjà à toutes ces adaptations, en Alsace, en Languedoc et ailleurs. Nous aurons l'occasion d'y revenir le jour où nous veillerons sur un vignoble.

Nicolas
2 Commentaires

Vendanges blues

14/10/2015

1 Commentaire

 
Quand on travaille dans la production de vin, on attend tous les ans le début des vendanges avec un mélange de joie et d’appréhension : une joie pure et intense, car c’est là que tout finit et que tout commence ; une angoisse diffuse car on sait à quel point cela va être dur.
Comme tous les ans, encore, on sent arriver la fin des vendanges par une multitude de petits signes. La voiture d’abord, se remplit d’affaires diverses, c’est un peu comme une deuxième maison. On y trouve à boire, à manger et souvent de quoi se changer. Les habits sont de plus en plus tâchés, malgré la lessive quotidienne. Les repas deviennent frustes, rapides et copieux.
​
Photo

​Les mains changent, elles sont noires et calleuses, abîmées, musclées comme jamais. Le dos commence à lâcher, puis c’est le corps entier qui craque, il s’effondre peu à peu, comme un château de cartes. On sait que l’on a trop tiré mais que l’on doit tirer encore et que l’on doit serrer les dents, très fort parfois, parce que ce n’est pas encore fini. Le corps se transforme aussi, et c’est beau, on maigrit, les muscles se dessinent sous la peau, c’est ferme et tendu. Les cernes se creusent sous les yeux fatigués, le réveil est de plus en plus difficile. Parfois, la maladie s'invite, une angine souvent pour moi, mais pas question de s’arrêter, il faut tenir.
C’est aussi une période où les liens se resserrent. On vit intensément ces moments avec d’autres et on a souvent envie de prolonger treize heures de travail en commun par des apéros, des sorties, des repas. Le réveil du lendemain n’en sera que plus dur, mais je n’ose pas imaginer des vendanges sans ces instants d’échange et de partage. Dans ces moments je ressens le besoin de me faire belle, peut-être un peu plus que d’habitude, de m’extirper de mes vêtements tachés de rouge, trop larges et poisseux, pour enfiler mes robes les plus féminines, mes bijoux brillants et mes escarpins. Mes mains font tâche mais qu’importe, je ne mettrai pas de bague aujourd’hui.
​
Photo

Mais le plus difficile, le plus éprouvant de tous ces changements, c’est le blues des vendanges. Il arrive de façon insidieuse, à tâtons, et soudain il est là, bien réel. On a l’impression que les bennes de raisin ne vont jamais finir d’arriver, que le nettoyage ne sera jamais assez bien fait, que les vendanges ne vont jamais s’achever, ni la fatigue, ni la douleur. On se dit souvent « ce sont les vendanges les plus dures que je n’ai jamais faites » en ignorant la petite voix qui ricane en arrière plan, car cette phrase on la prononce presque tous les ans.
​
Photo

Après plusieurs années aux vendanges simples ou doubles, j’ai fini par m’y habituer. Je vois les signes précurseurs et tiens bon quand il est là. Cela ne le rend pas plus agréable à supporter mais je résiste, car je sais qu’il est surtout annonciateur d’un moment superbe, d’un moment de bonheur brut : la dernière benne de raisin.
La dernière benne de raisin, c’est la fête. Le plus gros du travail est fini, la récolte est à l’abri. On va pouvoir sortir la tête hors de l’eau et s’occuper à temps plein de la vinification. Il est aussi temps, pour beaucoup de vignerons que je connais, de partir sur les salons, mais cela je ne peux pas encore en parler. Pour moi, la fin des vendanges c’est avant tout la possibilité de goûter enfin sereinement toute la cave et de prendre un peu de recul sur le travail accompli. C’est le moment d’être fiers et heureux. Et peut-être même de rêver à ce que l’on fera l’année prochaine. ​​

Photo
photo de Guillaume Mirand au Mas del Périé
- Maya -
1 Commentaire

Fin septembre dans les vignes

9/10/2015

1 Commentaire

 
Photo

Tous les ans, en septembre, c'est la même chose : je disparais. Ma famille et mes amis ne m'en tiennent pas rigueur, ils savent que je ne répondrais quasiment plus aux textos, que m'appeler ne sert à rien : c'est l'éclipse annuelle. Les vendanges. Quand le raisin est mûr, tout s'arrête, et ça dure quelques semaines.

Cette année, c'est plutôt simple. Pour une fois, depuis longtemps, je n'ai pas la responsabilité d'un chai et d'une équipe. Ce n'est pas pour autant que je me la coule douce. Maya et moi travaillons comme vendangeurs au Mas del Périé, le domaine de Fabien Jouves, sur les hauteurs de Cahors, dont j'aime les vins. Ce sont des Cahors sur la finesse, sans rusticité, qui recherchent l'expression d'un terroir. Beaucoup de vins de Cahors doivent être conservés plusieurs années avant d'être ouverts, mais ce n'est pas le cas des vins de Fabien Jouves, immédiats, savoureux et hautement buvables rapidement après la mise en bouteille.
Nous faisons donc partie de l'équipe d'une vingtaine de personnes chargée de récolter et de trier les raisins des parcelles du domaine. Le soir, la journée de coupe terminée, nous participons aux travaux de cave : quelques remontages et soutirages, et beaucoup de nettoyage.
C'est l'occasion de se maintenir actifs, de ne pas rater un millésime, et de continuer à apprendre. De goûter beaucoup de bons vins aussi : que ce soit les vins du domaine le midi, et ceux d'autres vignerons le soir, autour d'un verre après le boulot, je crois que je n'aurai jamais dégusté d'aussi bonnes choses que pendant ces vendanges. Ce sont pourtant mes onzièmes !

Déguster les vins des autres, notamment ceux d'Emmanuel Reynaud dans le Vaucluse ou de Bernard Plageoles à Gaillac, goûtés cette saison, c'est aussi se demander comment font certains pour avoir un style si fort et si reconnaissable. Bien sûr, il y a le terroir ; mais certains vignerons signent leur propre interprétation du terroir d'une façon unique. Comme en littérature : on ouvrant un roman, on peut souvent deviner de quel courant littéraire il s'agit ; on peut aussi, de façon plus rare, savoir qui est l'auteur au bout de quelques lignes. Je n'aime pas tous les vins de Plageoles, ni tous les livres de Houellebecq, mais cette façon toujours identifiable d'exercer son art est un tour de force admirable.
Photo
A présent, tous les raisins sont récoltés. C'était beau, mûr et sain. J'aurais bien aimé participer à la suite, suivre les macérations et les décuvages, mettre les vins en élevage, surveiller les fins de fermentations, mais mon boulot est terminé. Je boirai les vins des raisins que j'ai coupé ; c'est déjà bien pour 2015.

​Nicolas
​
1 Commentaire
<<Page précédente

    Sur ce blog,

    nous vous raconterons  mois après mois notre chemin de jeunes vignerons et ses nombreux détours.

    Archives

    Décembre 2024
    Août 2022
    Juillet 2021
    Avril 2021
    Janvier 2021
    Août 2020
    Novembre 2019
    Juillet 2019
    Septembre 2018
    Juillet 2018
    Juin 2018
    Février 2018
    Décembre 2017
    Septembre 2017
    Juin 2017
    Avril 2017
    Mars 2017
    Février 2017
    Janvier 2017
    Décembre 2016
    Novembre 2016
    Octobre 2016
    Septembre 2016
    Août 2016
    Juillet 2016
    Juin 2016
    Mai 2016
    Avril 2016
    Mars 2016
    Février 2016
    Janvier 2016
    Décembre 2015
    Novembre 2015
    Octobre 2015
    Septembre 2015
    Août 2015
    Juillet 2015
    Juin 2015
    Mai 2015
    Avril 2015
    Février 2015
    Janvier 2015

    Catégories

    Tous
    Bonnes Quilles
    Installation
    La Vie D'ici
    On Y Retournera
    Poésie Du Quotidien
    Vadrouilles
    Vendredi Du Vin
    Vigne & Vin

    Flux RSS

Services

Boutique
Blog
Contact

Nous

Le domaine
Revue de presse

Support

 Protection des données personnelles / RGPD
Conditions générales de vente
Mentions légales
© COPYRIGHT 2015-2024. ALL RIGHTS RESERVED.