LE SERPENTÀ PLUMES
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Soleil d'hiver

15/2/2017

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Depuis hier souffle le vent d’autan. La maison grince, les arbres ploient, tout s’envole. Le vent d’autan annonce la pluie. Elle arrivera demain. Nous ne taillerons sans doute pas, la nature nous impose son rythme de travail et de repos. Cette pause, sans cela, nous ne l’aurions pas prise. Depuis décembre, nous travaillons nos sept hectares. Et, contrairement à ce que l’on pense souvent, les mois d’hiver sont très chargés. 
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Nous avons attendu mi-décembre pour commencer la taille. Les vignes, qui avaient souffert de la sècheresse cet été, ont profité des pluies et de la douceur de l’automne pour se remettre et faire leurs réserves. Les feuilles sont restées vertes longtemps et ne sont pas tombées avant les premiers gels de décembre. Nous avons alors baissé les fils releveurs, qui tiennent la végétation en place pendant l’été. Cela nous a permis de passer un peu de temps dans chacune des nouvelles parcelles, d’observer les sols, la vigueur, les points forts et ceux à améliorer. D’admirer les vues, aussi, qui sont magnifiques sur nos terroirs, les plus hauts de l’appellation. En automne il n’est pas rare de voir les Pyrénées au Sud-Ouest, les monts d’Auvergne au Nord-Est et de deviner les Cévennes. 
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Nicolas s’est formé à la taille Poussard, ou taille douce de la vigne, grâce à Bio 46 (le Groupement départemental des agriculteurs Bio). Nous taillions déjà grâce à cette technique, qui respecte les flux de sève de la plante et permet de limiter les maladies du bois, mais Nicolas n’avait encore jamais suivi de formation théorique. J’avais découvert ce système avec François Dal, du Sicavac. Là c’était Marceau Bourdarias qui intervenait. Ils n’ont pas tout à fait la même vision de cette technique de taille si particulière. Cela nous a permis de modifier quelques détails, afin d’être toujours plus précis.
La seule contrepartie de cette taille sur-mesure pour chaque cep, c’est le temps. Nous sommes lents. Mais chaque jour nous nous améliorons, nous prenons mieux en main nos outils, nous taillons toujours plus de pieds. Les jours rallongent, les températures sont plus douces, le travail est toujours plus agréable. Nous sommes dehors, nous sommes contents, nous profitons de l’hiver. 
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​Nous avons également pris un week-end pour nous rendre à Angers et Saumur début février. Pendant le salon des vins de Loire, le « in », ont également lieu des « off », des salons plus petits, où les vignerons sont souvent associés autour d’une thématique.
Nous avons fait un saut aux Greniers Saint Jean (photo), organisé par Renaissance des Appellations, où la plupart des vignerons sont en biodynamie, les autres en bio. Puis nous avons passé une journée aux Anonymes, qui met en lumière des jeunes vignerons, aux vins dits « naturels ».  Enfin, nous n’aurions pas pu aller dans la Loire sans faire un détour à La Dive Bouteille, le plus grand salon de vins naturels. Il a lieu dans un dédale de cave troglodytes, c’est très impressionnant (et ça ne donne pas grand chose en photo). 
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​Ces salons sont très importants pour les vignerons, de nombreux professionnels, cavistes, journalistes, importateurs, distributeurs, etc., y sont présents. Cela nous a permis de revoir nos amis vignerons des autres régions. Nous avons beaucoup échangé, connaissances, expériences… et bouteilles ! Pendant ces mois froids où nous sommes seuls dans nos vignes, c’est très agréable de revoir tout ce monde. Le soir, nous avons fait déguster nos bruts de cuve aux copains. La fraîcheur et la maturité des jus les ont surpris ; c’est justement ce qui nous plait tant sur les terroirs d’altitude de Cahors. 
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​Nous avons aussi ouvert quelques bouteilles de notre pétillant naturel rouge. Ce vin-là nous a tenu en haleine depuis la récolte. Nous voulions vinifier quelques centaines de bouteilles d’un vrai vin rouge, mais pétillant, à la façon d’un Lambrusco artisanal. Nous avons donc fait macérer du Merlot quelques jours, jusqu’à l’apparition d’une légère trame tannique. Nous avons pressé avec notre pressoir à cliquets, soutiré une fois pour éliminer la lie et embouteillé avant la fin de la fermentation. Ces derniers grammes de sucre ont fermenté en bouteille, emprisonnant l’effervescence. Au bout de deux mois, c’était délicieux mais toujours trop trouble : nous avons donc « dégorgé à la volée ». Notre séjour en Alsace nous a bien servi, car il faut véritablement le coup de main. Lorsque la bouteille est « sur pointe », tête en bas avec le dépôt dans le col, il faut la retourner d’un geste assuré et faire sauter la capsule. On refait le plein, on sertit une nouvelle capsule et voilà le vin limpide. On ne peut pas en dire autant du vigneron qui se retrouve la tronche pleine de lie, et les doigts gelés car l’opération se fait dehors, un jour de grand froid, pour garder la bulle dissoute. Beaucoup d’opérations que l’on oublie totalement au moment de faire sauter un bouchon. Mais nous en dirons plus lorsque tout sera dégorgé et que nous aurons une étiquette à vous montrer…
Nous nous apprêtons également à débuter les travaux  d’un bâtiment à proximité des vignes.  Un hangar tout simple, en bois (ossature et bardage), pour y entreposer notre matériel. Nous avons passé les derniers mois à nous équiper, que ce soit le tracteur et d’autres outils de vignes, et il faut maintenant les avoir sur place. Pour notre première vraie saison de vigneron, avec plusieurs parcelles à amener jusqu’à la récolte, nous allons pouvoir aussi apprendre le métier de maître d’œuvre !
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Enfin l'hiver, même chargé, nous permet de souffler un peu. Les soirées sont longues et nous apprécions que le soleil se couche tôt. Nous en profitons pour voir des amis, ouvrir de bonnes bouteilles, faire un peu de jardinage et de bricolage à la maison...en attendant que le printemps nous emporte!
- Maya et Nicolas - 
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Nature givrée

18/1/2017

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C'est l'hiver.
Depuis début janvier nous sommes heureux. Il fait froid. La vigne en a besoin et nous aussi. Après plusieurs années aux hivers doux, nous avions dû faire face à une forte pression de différents ravageurs, comme on les appelle dans le métier. Les noctuelles et les thrips s'étaient régalés de nos jeunes bourgeons, puis les tordeuses de nos raisins presque mûrs. Comme nous souhaitons éviter les insecticides, nous espérions une longue période de températures négatives pour que les populations baissent naturellement.

D'ailleurs, en parlant d'insectes, nous avons eu une bonne surprise en taillant pour la deuxième année notre parcelle "historique" : nous ne voyons plus de cochenilles. L'année dernière, nous étions assez embêtés car les vignes en hébergeaient des centaines. Certains ceps en souffraient vraiment, avec une chute assez importante de vigueur et beaucoup de fumagine (un champignon qui se développe sur le miellat sucré produit par les cochenilles).
​Nous avons de nouveau le cas sur certaines parcelles récupérées en décembre. Mais nous ne sommes plus inquiets : visiblement une année de viticulture biologique et biodynamique a permis de réguler la population. Nous ne savons pas encore si c'est l'arrivée d'auxiliaires (coccinelles, éphippigères...) qui ont mangé les cochenilles, ou bien si ce sont les extraits fermentés d'ortie, de fougère et de consoude qui ont renforcé la résistance des vignes. Sans doute un peu des deux.  
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Malgré le froid, pas question de rester à la maison : les mois d'hiver sont très chargés pour les vignerons. C'est la période de la taille. Nous devrons ensuite tirer les bois c'est à dire enlever les sarments taillés encore accrochés sur les fils de fer. Puis attacher les baguettes, les longs bois laissés afin de porter les fruits l'année prochaine. Pour cela, nous les entourons sur le fil porteur, le premier fil du palissage. Il nous faudra aussi nourrir nos vignes avec du fumier de vache, changer les poteaux cassés, remplacer certains fils, vérifier les amarres et théoriquement replanter des jeunes pieds à la place des pieds morts. Mais pour cette dernière étape, nous savons que nous n'y arriverons pas cette année. Chaque chose en son temps.
Je vous laisse avec quelques photos prises début janvier, pendant les deux jours de brouillard givrant qui nous ont enchantés.
- Maya - 
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Fermentations

17/12/2016

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Déjà décembre! L'année a filé, la saison de la taille commence, le cycle reprend. Les vins dorment tranquillement en cave en attendant le printemps, et sa chaleur, pour faire leur fermentation malo-lactique. 
Cela fait trois, quatre, cinq fois que j'essaye d'écrire un article sur nos vinifications et que je finis par tout effacer. Trop de choses à dire... Vinifier impose de faire de multiples petits choix qui finissent par changer le profil final du vin. Chaque décision que nous prenons avec Nicolas est réfléchie, débattue, argumentée ou, au contraire, complètement instinctive car fruit d'une longue expérience à faire et goûter des vins. Résumer tout cela en un billet : impossible. 
Alors commençons par les bases : la transformation du raisin en vin, pour tous ceux d'entre vous qui ne connaissent pas encore les merveilles de la fermentation. 
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​La plupart des personnes que nous rencontrons ont déjà "fait les vendanges" c'est à dire coupé du raisin dans les vignes, mangé, bu et ri beaucoup. Pour les œnologues, les vignerons, les ouvriers de chai "faire les vendanges" concerne plutôt ce qui se passe ensuite, dans le cuvier. 
Dans le cas des rouges, le raisin va fermenter avec la peau, ce qui lui donnera de la couleur et des tanins.  Pour les blancs, c'est différent, on commence par presser les fruits et le jus fermentera ensuite en phase liquide. 
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​Les raisins rouges, avant d'aller dans leur cuve, sont préalablement séparés de la rafle, la partie ligneuse qui forme la grappe. On peut aussi fermenter en grappes entières et cela donne un profil de vin très différent, mais ceci est une autre histoire. On peut aussi fouler les baies, ce qui permet de les faire éclater et de libérer du jus. Nos ancêtres le faisaient pieds nus et devaient penser qu'ils ensemençaient le milieu avec des levures. 
Pour acheminer le raisin dans les cuves ou le pressoir il y a plusieurs solutions : le pomper, le faire tomber (on appelle ça "par gravité") ou utiliser un tapis élévateur. La pompe va écraser et malaxer les baies. La gravité impose de pouvoir vider les caisses ou les bennes directement dans les cuves et donc d'avoir un chai avec plusieurs étages. Nous avons choisi d'utiliser un tapis élévateur, appelé sauterelle ou girafe, qui nous permet de garder un maximum de baies intactes. Par contre, c'est la galère pour nettoyer. 
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Une fois dans la cuve, les raisins vont fermenter, soit grâce à des levures indigènes (en boulangerie, on parle de « levain sauvage » et c’est sacrément cool) soit grâce à des LSA, des levures sèches actives disponibles dans le commerce. Mais j’en ai déjà parlé ici.

​Les levures permettent de transformer le sucre en alcool. C’est la première fermentation, la fermentation alcoolique. Cette réaction dégage du dioxyde de carbone (CO2) et va faire pétiller le vin. C’est d’ailleurs grâce à une fermentation en bouteille que l’on fait les pétillants naturels, crémants et autres champagnes. Lorsque l’on fait du vin rouge, les raisins doivent macérer avec le jus afin d’extraire la couleur et les tanins. Malheureusement le gaz va les faire remonter à la surface et créer ce qu’on appelle un chapeau de marc. Il faut donc régulièrement remettre en contact le raisin avec le jus qui se trouve en dessous.
Deux solutions : soit on remonte la partie liquide avec une pompe et on arrose la partie solide, ce qui s’appelle un remontage ; soit on plonge le marc dans le jus lors d’un pigeage (sur cette vidéo, fait à la main). 
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​Avec Nicolas, nous préférons généralement procéder par remontage car cela nous permet d’aérer le vin. En effet, les levures ont besoin d’oxygène pour consolider leurs parois et résister à l’alcool. Cela permet aux fermentations d’ « aller au bout » c’est à dire qu’il ne reste plus de sucre. Nous décidons de la fréquence et du temps de remontage à la dégustation.
 
Une fois que la macération est terminée, ce que nous décidons également en goûtant le vin, il faut presser le marc. On écoule d’abord la cuve, en drainant tout le liquide et on obtient alors les jus de goutte. Puis il faut sortir le raisin humide et alcoolisé (souvent à la force des bras) pour le mettre dans le pressoir. On obtient alors les jus de presse. A la fin du pressurage, il ne reste plus que le gâteau de marc, c’est à dire des raisins compactés, qui sera ensuite récupéré par l’Etat et distillé pour en faire de l’alcool à pharmacie. Ou bien, dans notre cas, il sera composté pour rendre aux vignes un peu de ce qu’elles nous ont donné.
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Selon le pressoir, la vitesse de pressurage, la durée de macération, etc., les jus de presse seront plus ou moins qualitatifs. On pourra alors les réintégrer en totalité ou en partie dans les jus de goutte et donc dans le vin final. Nous avons récupéré, au début de notre installation, un vieux pressoir manuel datant sans doute du début du 20ème siècle. Nous l’avons réparé, poncé, repeint, graissé et bichonné (et tout photographié!). Il marche parfaitement et le système de cliquets est une merveille d’ingéniosité (vidéo). Ces pressoirs, appelés pressoirs verticaux, donnent des vins de presse extrêmement qualitatifs mais tout de même un peu plus tanniques que les gouttes. Nous avons mis les nôtres en barrique. La micro-oxygénation apportée par la porosité du bois va gentiment les patiner pendant l’hiver. Nous les assemblerons ensuite au reste.
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​Le lendemain du pressurage, nous en avons tout de même ajouté quelques litres dans les gouttes car les presses sont toujours très chargées en microorganismes et permettent souvent de lancer la deuxième fermentation du vin : la fermentation malo-lactique (malo).
 
La malo est assurément moins sexy que la fermentation alcoolique mais elle n’est pas moins utile. Elle permet de transformer l’acide malique en acide lactique. L’acide malique, celui de la pomme verte, contient deux fonctions acide (-COOH) alors que l’acide lactique, l’acide du yaourt ou de la choucroute, n’en contient qu’une seule. C’est donc une désacidification naturelle réalisée par des bactéries. Elle est systématiquement réalisée sur les vins rouges, pas toujours sur les vins blancs, que l’on souhaite plus vifs. Elle se déclenche généralement seule sur les vins sans soufre et sans intrants. 
​Les bactéries de la malo sont un peu capricieuses, elles aiment bien que le vin soit aux alentours de 20°C pour se mettre à travailler. Comme il a fait froid assez rapidement après les vendanges, notre malo n’a pas démarré. Notre vin n’est donc pas techniquement fini, même s’il est déjà très bon, cela va sans dire ! 

L’hiver permet au vin de s’élever, de mûrir et devenir meilleur. Nous n’y touchons pas, pour que cela se passe au mieux. Lorsqu’il sera prêt, au printemps ou l’été prochain, nous le mettrons en bouteille, tout simplement. 
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Tout ce que je vous raconte, c’est la façon la plus épurée de faire du vin. C’est celle où tout se passe bien. Dans cette version, il n’y a pas de soufre (les fameux sulfites, qui donneraient mal à la tête), pas de pompages inutiles, pas de filtration stérile, pas d’osmose inverse, pas d’additifs d’aucune sorte. Juste du raisin qui fermente grâce aux levures présentes partout autour de nous. C’est la façon de faire du vin qui nous paraît la plus logique, la plus proche d’un produit manuel, artisanal.

Evidement, elle n’est pas sans risque. Mais c'est un risque que nous avons choisi et que nous essayons de diminuer au maximum. Un des moyens, c'est d'être très attentif à l'hygiène. Une cave ne pourra jamais être exempte de microorganismes, et d’ailleurs cela serait plutôt contre-productif, mais on peut éviter certains nids à microbes. 
Surtout, nous observons nos levains indigènes et nos vins au microscope. Cela peut paraître bizarre ou extrême, mais à partir du moment où l'on laisse la nature faire, il est crucial de savoir quelles bêbêtes sont présentes. On repère ainsi les éventuels problèmes plus tôt, et surtout les solutions à ces problèmes ne seront pas les mêmes selon les levures ou les bactéries qui travaillent. Je vous conseille d’ailleurs cet excellent article, si vous souhaitez approfondir le sujet. 
Nous n’avons pas notre propre microscope. Nous allons donc chez des collègues vignerons qui en sont équipé pour jeter un œil à ce qu’il se passe dans nos cuves. C’est l’autre avantage : nous pouvons ainsi discuter, échanger et prendre du recul sur nos pratiques. Car chaque millésime est différent et chaque vin unique. C’est pour cela que c'est si passionnant !
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- Maya -
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Installation : au bout du parcours aidé

26/11/2016

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Il y a eu beaucoup trop d’articles poétiques récemment, où des levers de soleils radieux disputaient la vedette à des grappes de raisin saines et juteuses. Je devais intervenir : l’agriculture, c’est aussi des formulaires administratifs, des sigles obscurs et de la structuration. Bon, sans blaguer cette fois : les aspirants vignerons qui nous lisent voudront certainement démêler cette affaire de parcours aidé / non-aidé. Bonne lecture à eux. 
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Pour reposer votre esprit entre les paragraphes, cet article sera illustré par la biodiversité de nos parcelles.
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​Lorsqu’on décide de devenir agriculteur, de « s’installer » comme on dit dans la profession, on a la possibilité de le faire sans se poser de questions : trouver des terres et espérer que la SAFER n’y voie aucun problème, déposer son statut d’entreprise et se mettre crânement au travail.
​Reste qu’il y a des choix importants à faire et qu’il vaut mieux décider en connaissant les conséquences.
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Chien de type 'corniaud'. Rôle dans la biodiversité des vignes : joue avec le fumier, court après les chevreuils.
 
Le parcours classique est plus sinueux mais il donne droit à des aides, et on est globalement renseigné sur tous les sujets importants. Parmi les étapes, il faut prendre contact avec la Chambre d’Agriculture du département, posséder ou passer un diplôme agricole, suivre une formation de 4 jours et, pour finir, déposer un dossier complet comprenant un prévisionnel économique sur quatre ans. Nous avions décidé, au tout début, de suivre ce parcours.
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J’ai déposé mon dossier de Dotation Jeune Agriculteur cet automne : j’ai donc été au bout des démarches et je peux maintenant vous en parler en connaissance de cause.
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Ephippigère : plutôt un bon signe pour la biodiversité, c'est un insecte en régression à cause des insecticides et de la destruction des couverts. Mange les feuilles des vignes mais aussi des larves et des oeufs d'insectes. 

Les avis à propos de ce parcours aidé sont souvent très tranchés. Il faut dire que lorsqu’on pèse le pour et le contre, les éléments de chaque côté de la balance sont franchement imposants.
 
Côté « pour », il faut citer l’obligation de bien structurer le projet, d’anticiper des difficultés, de mieux connaître ses besoins économiques. C’est plus facile dans ces conditions de convaincre un banquier, au moins en théorie. Anticiper et résoudre des difficultés avant qu’elles n'arrivent, par exemple sur le fond de roulement de l’entreprise, est aussi un facteur de succès.
L’aide versée par l’Europe et l’Etat n’est pas négligeable : entre 8000 et 33000 euros, avec une moyenne à 15000 € environ. Il y a des modulations : les hors-cadre familiaux, les agriculteurs en zone de montagne, les bios, les agriculteurs qui réalisent eux-mêmes la transformation ou la commercialisation perçoivent une dotation dans la fourchette haute. C’est beaucoup d’argent et cela permet de financer son installation, d’investir dans du matériel ou simplement de faire face à une ou deux années sans revenus. La dotation est versée directement sur le compte personnel du jeune agriculteur, comme pour mettre en évidence qu’elle n’est pas obligatoirement à utiliser pour l’entreprise.
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A priori, des milans royaux mais la reconnaissance d'oiseaux n'est pas mon fort. Rôle dans la biodiversité : rend le vigneron heureux.
Côté « contre », je suis obligé d’admettre que la constitution du dossier est un travail ardu. Une fois tous les documents réunis, il y a une bonne centaine de pages de formulaires, de prévisionnels et de justificatifs. Cela prend du temps d’aller chercher toutes les informations, toutes les justifications comptables du prévisionnel.
Par ailleurs, le prévisionnel est un engagement. Lorsqu’on écrit qu’on va travailler 7 hectares pendant 4 ans, il faut réellement le faire. Lorsqu’on dit que le bâtiment que l’on construit va coûter tant de milliers d’euros, idem. Les écarts ne sont pas tolérés, ou bien seulement à la marge. Si l’on change de plan en route, par exemple si le voisin met subitement en vente la parcelle juste à côté, il faudra faire un avenant au dossier, avec tout ce que cela implique.
Enfin, le bénéficiaire de la Dotation doit tenir une comptabilité, être assujeti à la TVA et être agriculteur à titre principal, c'est à dire que son revenu agricole devra être supérieur aux revenus salariés ou non-agricoles. Dans certains cas de figure, cela peut poser problème.
Le montage de ce dossier est réalisé dans la majorité des cas par la Chambre d’Agriculture, qui le facture (environ 1000 €). Mais ce n’est pas une obligation. On peut le présenter en candidat libre ; c’est difficile mais pas impossible. Des associations comme l’AFOCG ou l’ADEAR, dans certains départements, peuvent aussi vous aider à monter le dossier. Personnellement c’est l’ADEAR  qui nous a accompagné. L’animatrice connaissait déjà très bien notre dossier après la formation de dix journées à l’automne dernier, c’était évident de continuer ensemble. 
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Vendangeur prudent de type 'ganté". Rend de fiers services au vigneron en coupant la récolte ; boit aussi de fières quantités de vin. Auxilliaire de culture en régression malgré son utilité.
A présent, mon dossier est dans les mains de l’administration. Il est passé devant la commission départementale d’orientation agricole, où siègent les différentes instances, les syndicats agricoles et d’autres interlocuteurs de l’agriculture, pour un avis consultatif. Il devrait passer bientôt devant la commission dédiée du Conseil de Région à Toulouse, l’instance décisionnaire. Si tout va bien, la réponse sera connue en janvier et la dotation, si elle m’est accordée, sera versée au printemps.
 
Je ne sais pas encore comment nous vivrons cet engagement sur 4 ans. Evidemment, certains aspects ne se passeront pas comme prévu, mais j’espère que nous resterons dans les clous et que nous n’aurons pas besoin de faire des avenants trop importants.

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Araignée, peut-être de l'espèce des argiopes (?), avec une toile parfaite pour attraper les ravageurs, comme les tordeuses, dont la larve perce les grains de raisin.

​Voilà pour le monde abstrait. Dans le monde concret, le mois de novembre a été calme, une fois terminée la vinification (qui sera l’occasion d’un billet entier prochainement). Avec les températures douces, la vigne a encore ses feuilles et la sève n’est pas descendue dans les racines. Hors de question de commencer la taille pour l’instant.

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Autour de nous, les collègues vignerons partent en salons. Pour l’instant, notre vin de 2016 est trop jeune et nous sommes bien obligés de ronger notre frein. A la place, nous réfléchissons à nos futures étiquettes, ainsi qu’à l’équipement de vigne et de cave dont nous aurons besoin la saison prochaine. C’est un temps mort de l’année, mais nous en avons franchement besoin pour mettre en place tout ce qui devra fonctionner la saison prochaine, sur un parcellaire bien plus important.

​Nicolas
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Les vendanges chez Nico et Maya - partie 2

15/11/2016

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Après la première partie le mois dernier, notre amie Marie termine son récit des vendanges en vue embarquée.
Nous voici déjà presque en hiver, j’ai bien tardé pour rédiger le dernier volet de mes aventures chez Maya et Nicolas. Mais le voici enfin!
J’avais arrêté le récit de mes premières vendanges au délicieux repas du vendredi soir. Après une journée assommante, je croyais pouvoir paresser toute la matinée du lendemain. Las! Il est 7 heures du matin, le soleil se lève à peine et Maya et Nico sont déjà sur le pont, plus ou moins frais, mais habillés et déjà au travail. Je les contemple, l’œil hagard, tandis qu’ils organisent leur journée autour de quelques tartines beurrées et d’un café fumant. 
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Remontages et visite d’un chai voisin
Au programme du premier jour post-vendanges : passage au chai, nettoyage et déplacement d’objets lourds et volumineux, puis premiers remontages. Les raisins dans la cuve, la vinification n’attend pas ! Pour procéder au remontage, il faut pomper le jus du fond de la cuve et le répandre sur les peaux de raisin qui flottent sur la partie supérieure. La manœuvre permet d’harmoniser le jus et de tirer des peaux le plus de saveur possible. L’opération est plus dangereuse qu’il n’y paraît, car la couche que forment les peaux de raisin en surface bloque l’évaporation du dioxyde de carbone produit par les levures en fermentation. Il faut dès lors s’écarter pour éviter une intoxication! Même s’il reste rare, ce type d’accident est pris très sérieusement par les vignerons, car certains d’entre eux y ont laissé la vie.
Mes précautions prises, je regarde le flot de jus, lourd et pourpre, s’échapper du tuyau et recouvrir les peaux. Pendant ce temps, Maya et Nico vérifient la densité du jus et contrôlent la fermentation, qui transforme le sucre des fruits en alcool.
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​Les remontages terminés nous rendons visite à un château voisin, à l’invitation de ses propriétaires. Je change ici d’échelle. Le château et la propriété sont superbes, sans parler du chai! Dans un immense hangar, des cuves métalliques luisent comme des golems d’acier. Celles-ci contiennent la production d’une soixantaine d’hectares de vignes. Rien de surprenant pour mes amis, qui ont œuvré dans des structures bien plus importantes. Mais la visite demeure pour moi intimidante. Je tutoie fébrilement tout le monde et tâche de me faire le plus petite possible (ce qui m’est généralement difficile). La rencontre avec ces vignerons expérimentés me confronte avec la réalité du milieu, et je réalise combien il peut être effrayant de se lancer dans le grand bain quand on a seulement quelques vignes.
Dégustation VIP à l’aveugle
Les vignerons propriétaires du domaine nous font faire le tour des installations. Après avoir échangé quelques observations et quelques conseils techniques, nous prenons le chemin du restaurant en leur compagnie pour déguster un vin qui est servi à l'aveugle. Je ne devine rien, évidemment, mais, à ma grande satisfaction, le cépage reste tout aussi mystérieux pour Maya et Nico, qui étaient pourtant sur une bonne piste. Je m’abandonne à la défaite en finissant mon verre. Puis un autre. Puis un autre. L’ignorance a tout de même bon goût. 
Leur tête dans le journal
Passe une petite semaine, d’autres remontages, et il faut de nouveau préparer les vendanges et prévoir de quoi nourrir la quinzaine de personnes qui viendra à couper le Merlot. De ces quelques jours, je conserve le souvenir ému du moment où Nicolas et Maya ont découvert l'article que la Dépêche du Midi leur a consacré, et qui était même annoncé en première page de l’édition nationale. Dans un petit coin à droite, certes, à côté d'un titre consacré à un tracteur flashé à 113 km/h, mais en première page tout de même.
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Ils parcourent l’article, vibrants d’excitation et de fierté. Je tire à moi le quotidien. Le journaliste, qui avait interviewé Maya et Nico lors de la première journée de vendange, avait été emballé par leur histoire et s’était émerveillé qu’un jeune couple s’installe dans la région. Outre quelques envolées lyriques savoureuses, le journaliste a mis le doigt sur un aspect important de leur entreprise agricole : Maya et Nico travaillent côte à côte depuis un an, rien que tous les deux. Une équipe de choc qui a enfin concrétisé son rêve mais qui doit néanmoins se confronter aux contingences de la vie professionnelle et de la vie de foyer, les deux se mélangeant parfois de manière désordonnée...
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Une ambivalence et un équilibre délicat que ne perçoivent pas tout de suite les amis de passage. Venus de loin pour aider Maya et Nicolas, nous étions tous enthousiastes à l’idée de les aider et surtout de faire la fête. Or, pour le couple, ces vendanges étaient surtout l’aboutissement d’une année de travail acharné. Pas évident dès lors de ménager les plus dissipés et de se faire prendre au sérieux, tout en profitant de ce moment de joie et de partage. 
Moi, Marie, vendangeuse chevronnée (et autoproclamée)
Il est tard, les joues de porc rissolent dans leur vin blanc en dégageant un fumet prometteur. La liste des courses a été remplacée par les assiettes et les couverts sur la table à manger. La famille et les amis ne tardent pas à arriver. Cette fois-ci place aux jeunes! Les cousins de Nico sont venus en nombre et des amis ont également fait le déplacement depuis la France entière. Tous sont impatients de se mettre à la tâche.
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Le lendemain, je suis bien plus à mon aise en ce nouveau jour de vendanges et commence à parler du domaine comme s’il m’appartenait. Cette semaine a filé sans que je m’en rende compte et je constate que mon séjour touche à sa fin le cœur serré. Le cœur serré dans ma polaire, plus précisément, car le temps s’est bien rafraîchi depuis une semaine. L’automne est déjà sur nous!
Transport de caisses et cuvée spéciale 
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Nouvelle explication de notre couple de vignerons favoris sur la science des vendanges (que couper ? que laisser ?). Nous vendangerons ce samedi du Merlot, aux grains plus fermes et plus petits. Cette fois-ci, pas de tracteur pour transporter les raisins entre les vignes et … pas de petit âne non plus. En effet, nous devions recevoir l'aide d'une charrette tirée par un âne, mais son propriétaire, à notre grande déception, s’est trompée d’animal à grandes oreilles et nous a posé un lapin la veille au soir. Je vois s’éloigner avec chagrin tous les plans photo que j’avais prévu avec la bête et son tombereau. Il faudra donc porter les caisses de raisins à la force des bras. 
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​Autre nouveauté : nous réserverons une partie de la récolte pour une cuvée spéciale, plus ambitieuse. Cette sélection est une expérimentation, Maya et Nico désirant vinifier un petit lot à part, dans une barrique ouverte, pour une macération plus lente et plus longue. Ceux-ci avaient présélectionné les rangées où les raisins étaient les plus beaux. Ce sera l’activité de fin de matinée. Assis tout autour des caisses, nous séparons les grains de leurs rafles à la main. Un gage de qualité et de finesse pour la production, mais qui requiert beaucoup de patience! Pas de surprise: je suis la première à me lasser. Mais les histoires incroyables de Bertrand, le père de Maya, retiennent mon attention et je termine docilement mes grappes. D’après ce que j’en ai retenu, l’histoire de la diffusion du café au XVIème siècle contient autant de rebondissements et d’espions que le meilleur des James Bond.
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Le Banquet
​Le soleil déclinant et la récolte terminée nous nous dirigeons vers le chai où quelques heures de nettoyage nous attendent. La bonne volonté des participants vient rapidement à bout des dernières tâches. Le temps de se débarbouiller et le festin pourra commencer!
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Les parents de Maya ont de nouveau tiré une grande table dans le salon, laquelle se remplit bientôt de convives affamés et de plats douloureusement appétissants. Bertrand porte un toast au couple star. C’est le début d’une nouvelle aventure, la naissance de leur domaine et je crois ne pas trop m’avancer en disant que tout le monde est fier d’y avoir participé!
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Les vendanges de la première parcelle avaient généré beaucoup de stress pour Maya et Nico, et ces derniers peuvent désormais se détendre. Le raisin est dans la cave. Il ne reste plus qu’à vinifier! En attendant, le vin coule à flot! Les vignerons nous font goûter les bouteilles de leurs confrères et la fête prend des airs de banquet gaulois. Une page se tourne tandis que l’on se questionne sur le futur de la récolte. Le vin sera-t-il bon? Les bouteilles se vendront-elles? Quoiqu’il en soit, le raisin goûte déjà très bien.
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​Texte et photos par Marie Pecquerie
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Les vendanges chez Maya et Nico - partie 1

21/10/2016

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Pour ce billet consacré aux vendanges, nous laissons la plume à notre amie Marie, qui a passé à nos côtés toute cette période intense.

Je n’avais jamais « fait les vendanges ». Pourtant, j’ai longtemps vécu dans le sud-ouest où, à la fin de l’été, la plupart de mes amis partaient travailler dans des vignobles perdus au fin fond de la campagne brûlante. Ils en revenaient généralement ravis et fourbus, avec un bon lot d’anecdotes à partager. Je les enviais un peu, même si l’idée de trimer sous un soleil de plomb entre les vignes calmait rapidement mes ardeurs.
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Les années ont passé et je ne pensais plus que l’occasion se présenterait de nouveau. Jusqu’à ce que Maya et Nicolas me proposent de venir passer quelques jours chez eux pour « faire les vendanges ». Curieux comme cette expression impersonnelle peut devenir une affaire extrêmement sensible lorsqu’on y regarde de plus près. C’est d’ailleurs cette histoire que je vais raconter. ​

​Moi, Marie, apprentie vendangeuse

Je suis depuis un bon moment maintenant l’amour de Maya et Nicolas pour le vin et réciproquement (et de manière réciproquement réciproque jusqu’à que la mort les sépare). J’ai vu se développer leur projet de créer un jour leur propre domaine. J’ai vu ce rêve prendre forme lentement, puis devenir, un après-midi, tout à fait concret.
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Démesurément enthousiaste à l’idée de descendre du train à Cahors cet après-midi-là, Maya me récupère à la gare et nous filons rejoindre Nicolas au chai qu'ils louent à quelques kilomètres de là. Arrivée à destination, j’aperçois d’abord des vignes, puis une jolie maison, qui jouxte une installation agricole. Je passe la tête dans le vaste local. Le sol est peint en rouge bordeaux. Pas de grande surprise ici: des petites cuves sont alignées sur le mur du fond, des néons éclairent un matériel rutilant, tandis que des bassines et des tuyaux reposent paresseusement le long de la paroi opposée. 
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​Je suis officiellement en terre agricole inconnue, moi la parisienne élevée en ville. Et je réalise soudain quel fantastique tournant a pris la vie de mes deux amis. Je comprends aussi que les vendanges auxquelles je vais participer sont particulières: je vais ramasser avec mes petites mains des raisins auxquels Maya et Nicolas ont consacré toute une année. Pas de pression.
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Prudent, le couple de vignerons a d’abord voulu se faire la main sur un hectare de vignes avant de sauter dans le grand bain et prendre en charge 6 hectares supplémentaires l’année prochaine. Cette année, nous récolterons donc la moitié d’un hectare de Malbec le jeudi 29 septembre. Nous vendangerons l’autre parcelle le samedi suivant, le Merlot n’étant pas encore mûr. Famille, collègues et voisins ont répondu à l’appel et le premier jour des vendanges est salué par l’arrivée d’une quinzaine de personnes à 8 heures tapantes. 

La fine équipe vendange le Malbec

​Des filets de brumes s’étirent encore entre vignes et les coteaux rosés par l’aube lorsque Maya prend la parole. Rassemblés tout autour, nous l’écoutons détailler quelles grappes récolter et comment les couper. La tâche s’annonce plus ardue que prévu: il faut expliquer pourquoi ne pas récolter les grapillons fermes et acidulés, ni les grappes ayant poussé sur un pied mort, et éviter les feuilles mortes. Mais il ne faut pas trop en dire non plus! Une bonne majorité des participants n’en est pas à sa première vendange mais les autres restent d’enthousiastes et frétillants novices débordant de questions. C’est évidemment mon cas et j’enchaîne les « pourquoi » plus que de raison. Comme toujours lorsque Maya ou Nicolas sont interrogés sur les pratiques de vinification, les réponses sont construites, pointues… et passionnantes!
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Dans les vignes

Ma curiosité temporairement satisfaite je me saisis de l’épinette que Maya me tend, j’emprunte des gants et file dans la rangée qu’elle me désigne. J’échange quelques blagues avec mes voisins de sécateur, une heure passe… et je me surprend à rêver du déjeuner de midi. Je m’ennuie déjà! Je ne m’en sens absolument pas coupable, mais je comprends que déguster des bonnes bouteilles, et écouter Maya et Nico dérouler leurs palettes de saveurs avec passion restera mon activité favorite des vendanges. 
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À partir de là, certains co-vendangeurs pourront se rappeler de mes nombreuses réclamations sur la longueur des pauses et l’avancement de l’heure du déjeuner. D’où une première observation: s’il nous a tous fallu de la patience pour venir à bout de cette première parcelle d’un demi hectare de Malbec, j’ai du mal à envisager le labeur que représente la récolte de 20 hectares de raisins. 

Je suis encore à peser cette première considération lorsque mon seau plein, je crie « Seaaaauuuuu ! » suffisamment fort pour que le porteur vienne m’en procurer un autre, vide. Je me réjouis d’avoir autant de pouvoir lorsqu’un des copains de Nicolas, le dénommé Kiker, me retire mes raisins et les transvase dans une caisse sur le petit tracteur. Prêté par Roger, le propriétaire du chai que louent Maya et Nico, le petit tracteur à cheminée passe entre les rangées de vignes avec sa remorque en bois pour débarrasser les vendangeurs de leur cueillette. Keuf keuf ! La machine se révèle très utile pour remonter les pentes, même si un virage un peu trop serré a failli envoyer par terre une quinzaine de caisses! Le drame a été évité de justesse, grâce à la réactivité de Kiker. Moment héroïque qui lui vaudra de rester assis sur les caisses de raisins à chaque remontée, comme un cowboy traversant le grand ouest, cahotant à bord de sa roulote. 

Retour au chai : les grappes passent dans l’érafloir

Je passe sur le déjeuner, qui fut délicieux, et j’en viens directement à l’érafloir. Si le nom aurait pu faire rougir de plaisir un juge d’application des peines au Moyen-âge, les novices doivent cependant comprendre qu’il s’agit d’une machine utilisée pour séparer les grains de raisin de la grappe. Une espèce de tapis roulant, la sauterelle, conduit ensuite les grains séparés de la rafle, c’est à dire la partie végétale de la grappe, directement dans la cuve.
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​Alain, Thierry et Nicolas déversent les caisses de raisin dans un réceptacle situé sur la partie supérieure de l’érafloir. Une grosse vis sans fin, aussi appelée vis d’Archimède (coucou Wikipedia!), pousse les grappes jusqu’à un dispositif de petits doigts de fer articulés qui détachent plus ou moins violemment les raisins de leur rafle.
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Porter les caisses, évacuer les rafles, veiller à ce que les raisins atteignent bien la cuve est bien plus physique qu’il n’y paraît surtout lorsque presque tout est fait à la force des bras. Bref, il n’y a pas trop de trois hommes au chai.
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Quatre aller-retours en camionnette viennent à bout de notre vendange du jour et nous nous retrouvons tous en fin de journée pour le nettoyage des caisses et des machines. Je ne peux pas, cette fois-ci, me réfugier derrière mon appareil photo et m’atèle au nettoyage des caisses avec Lyne, la mère de Maya. Malgré tous nos efforts, un jet d’eau ne vient pas à bout si rapidement que ça de trente caisses en plastique. Il faut les rincer méticuleusement et ensuite les faire sécher. Toujours au jet d’eau, il faut ensuite laver l’érafloir et la sauterelle. On dévisse. On revisse. On réassemble. Tout le monde est mouillé, fatigué et surtout déconcerté. Personne ne s’attendait à poursuivre le travail après cette journée de récolte!
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Le repas des guerriers

​Le travail a été harassant, mais Nicolas et Maya, aidés de leurs parents aux fourneaux, ont prévu de quoi nourrir notre fine équipe! Le menu, 3 étoiles, est particulièrement savoureux, et je suis ravie de revenir à mon activité préférée des vendanges: la dégustation de bon vin, en excellente compagnie. 

​A suivre...
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Texte et photos : Marie Pecquerie
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Nettoyer et trimballer

18/10/2016

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Un mois vient de s'écouler sans qu'on le voie passer, comme tous les ans à cette époque. Lorsque nous étions oenologues, le même cycle se répétait chaque année : une période de calme avant la tempête, puis les premiers raisins toquent à la porte du chai et tout s'enchaîne avec exaltation. Les journées s'étirent, on rentre chez soi à 22h pour repartir le lendemain avant 8h, on répond aux textos avec 2 jours de retard : le plus important, c'est le raisin et le vin, en tout cas c'est eux qui dictent comment la journée se passe. Puis les vendanges se terminent, il reste beaucoup de travail en cave mais, peu à peu, on refait surface, rincés et vaguement hébétés. 

Voilà où nous en sommes aujourd'hui. Toutefois avant de vous parler des vendanges et de nos premiers vins - bientôt, c'est promis - j'en profite pour écrire un billet auquel j'ai pensé longtemps, fin septembre, sans pouvoir trouver le temps de le faire. J'avais envie de vous parler de tout ce travail de préparation de la cave, qui est à la fois basique et capital.
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Je me souviens d'une obscure vidéo américaine, une animation mal faite sortie des tréfonds de Youtube (en anglais, ici), où l'on pouvait néanmoins entendre ce trait de génie : "faire du vin, c'est à 49% nettoyer des trucs, 49% trimbaler des trucs lourds un peu partout et 2% boire des bières". J'avais bien ri à l'époque avec ce résumé si cru et si réel. 

Aujourd'hui j'y repense parce qu'on a passé plusieurs jours d'affilée à installer des cuves lourdes sur des parpaings lourds (heureusement que dans notre chai, il y a un chariot élévateur). Ensuite, nous nous sommes acharnés à retirer tout le tartre et toutes la saleté qu'il y avait sur ces dites cuves. Ça a mis du temps.
Nous avons pris conscience, brutalement, que s'équiper d'occasion nous permettrait d'économiser de l'argent mais nous obligerait également à passer des dizaines d'heures à remettre le matériel d'aplomb et dans un état de propreté irréprochable. Bien sûr, en démarrant de rien, avec pas un outil, nous n'avons pas beaucoup d'autre choix que l'occasion. Mais voilà, on finit par payer en temps de travail ce qu'on a pas sorti du compte en banque. C'est le lot de tout les hors-cadres familiaux, et l'une des principales différence avec quelqu'un qui reprendrait, avec un domaine, du matériel qui marche. Ce n'est pas qu'il faille s'en plaindre, c'est simplement un état de fait et il faut prendre en compte dans un projet de création comme le notre.
​En parlant de propreté irréprochable... Dans le métier, on dit parfois d'un vigneron ou d'un autre : "dans sa cave, on pourrait manger par terre". C'est bien là l'objectif, parce que d'une part on est réellement en train de préparer dans nos locaux quelque chose que les clients vont boire, d'autre part je suis convaincu que c'est en ayant une cave impeccable, du sol aux cuves, que l'on obtient un produit à l'expression pure et franche. Alors évidemment, on ne va pas tomber dans l'extrême et tout rendre stérile, mais sincèrement, il faut pouvoir manger par terre
Alors, avant la première caisse de raisin, nous avons dérougi les pompes, les raccords et les tuyaux. Détartré et brossé les cuves. Démonté et décrassé les vannes, changé les joints. ​Rincé et désinfecté la sauterelle et l'érafloir. Nettoyé tous les seaux, les bassines et le reste de la "vaisselle vinaire". Poncé, repeint et graissé le pressoir à cliquet centenaire récupéré au début de l'été. Et, bien évidemment, tout ceci a été déplacé de multiples fois, à la force des bras et du dos ou à l'aide du chariot élévateur. 

Enfin nous nous sommes assuré que tout marchait ensemble, que l'on avait assez de caisses à vendange pour la récolte, que l'on pouvait les vider dans l'érafloir, que le dit érafloir tournait dans le bon sens et qu'il pouvait remplir la trémie de la sauterelle, que la dite sauterelle pouvait remplir la cuve et que les cuves ne fuyaient pas. 

​Trois jours avant les vendanges, c'était bon. Les choses sérieuses pouvaient commencer.
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Nicolas
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En attendant les vendanges

20/9/2016

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En ce moment, les hirondelles se rassemblent devant notre maison avant leur grand départ. Ça sent les figues, les mûres et la feuille de tomate. Nous avons perdu vingt degrés brusquement et avons ressorti nos pulls du placard. Il y a comme un parfum de fin d’été dans l’air, un parfum de vendanges. Pourtant, nous ne prévoyons pas de cueillir de raisins avant début octobre. Cela surprend souvent, mais Cahors est une région assez tardive en termes de récolte. Les vignobles de la vallée, près du Lot, ne démarrent jamais avant mi-septembre. Sur le causse, plus frais et en altitude, les maturités arrivent une dizaine de jours plus tard.
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Ces dates étonnent mais sont cruciales pour le vin. Les raisins adorent les jours chauds et les nuits fraîches. C’est là qu’ils s’expriment, qu’ils fabriquent des arômes intenses et complexes. Cette année, si tout se passe bien dans les quinze prochains jours, les baies seront délicieuses. Les écarts de température de dix, quinze, voire vingt degrés entre le jour et la nuit n’ont pas attendu octobre cette année. A notre grand bonheur ils se sont installés dès le milieu du mois d’août. Du coup, les fruits de fin d’été sont étonnamment parfumés et réjouissent nos palais des glaneurs en balade. Les raisins devraient les imiter. 
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​En attendant de pouvoir goûter nos premiers jus, nous nous préparons au mieux pour les vendanges. La date de récolte est un choix crucial et délicat, il faut décider selon de nombreux facteurs : météo, type de vin, disponibilité des vendangeurs, état du raisin… et surtout, maturité(s). De ces dernières, il y en a plusieurs à prendre en compte pour faire du vin mais pour faire simple, trois facteurs nous intéressent particulièrement : la quantité de sucre, qui donnera la quantité d’alcool finale, l’évolution de l’acidité et la maturité des arômes et des tanins. Pour évaluer ces variables, rien de plus simple, ni de plus agréable : un sac congélation et une paire de jambes suffisent ! 
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​Pour les tests de maturité, nous devons cueillir un échantillon de baies assez représentatif de la parcelle, côté nord et côté sud, en haut, au milieu et en bas des grappes. Il faut se méfier parce que notre instinct de chasseur-cueilleur prend vite le dessus et qu'on a tendance à cueillir les baies les plus belles et les plus mûres. Pour ma part je fais toujours le même nombre de pas, je plonge ma main sans regarder, je prie pour qu’une guêpe ne soit pas juste sous mes doigts et je pioche. Quand nous avons entre 100 et 200 baies, ou que nous avons parcouru un nombre de rangs suffisants, et que nous sommes heureux de voir le raisin si beau, nous filons au « labo » dans le chai. 
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​C’est là que nous passons aux choses sérieuses. D’abord, la physique. Pour contrôler le taux de sucres nous utilisons ce qu’on appelle un réfractomètre. C’est un appareil qui mesure la densité d’un matériau grâce à la capacité de ce dernier à dévier un rayon lumineux. Concrètement, on met une goutte de jus de raisin, on pointe vers une source de lumière et ça nous donne le taux d’alcool potentiel ; c’est à dire le degré d’alcool final du vin si tout le sucre du jus de raisin est transformé en alcool. 
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​Ensuite, nous passons à la chimie. Grâce à un réactif coloré, le bleu de bromothymol (BBT), nous pouvons doser l’acidité totale. C’est tout simple, on prend du moût (jus de raisin) et on ajoute trois gouttes de BBT, qui a la particularité de changer de couleur selon le pH. Le mélange étant acide, il est jaune. On ajoute de la soude (une base forte) jusqu’à ce que le mélange vire au bleu-vert, car le milieu est devenu basique. Et voilà !
L'acidité diminue quand le raisin mûrit. Nous évaluons cette baisse pour essayer de trouver le juste équilibre : un jus ni trop acide, ni pas assez. Selon les années, les températures et le rayonnement du soleil, ça peut aller très vite. Nous ne voulons pas nous faire prendre de vitesse!
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​Enfin, nous arrivons au meilleur, les sens. Il faut bien évidemment déguster les raisins pour apprécier la maturité des arômes et des tanins. Nous le faisons beaucoup dans la parcelle, nous estimons la dureté des peaux, et, en les faisant glisser sur la langue, la rugosité ou la finesse des tanins. Mais nous goûtons aussi au chai ; et le jus nous raconte plein d’histoires. Nous laisserons mûrir des raisins au goût de poivron vert, de foin ou de banane verte. Nous courrons les cueillir s’ils nous parlent de cassis, de mûres ou de fleurs. 
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​Parfois, cela se passe bien et les acides, les sucres et les arômes sont mûrs en même temps. Parfois, il faut un peu plus de temps à certains des facteurs pour rattraper les autres. C’est alors au vigneron de faire un choix cornélien entre alcool, finesse, équilibre et parfum. Mais au final, c’est surtout le millésime qui s’exprime. La nature s’impose et nous rappelle toute la beauté de notre métier. 
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 - Maya - 
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Fins de saisons

13/9/2016

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Aujourd’hui, c’est le dernier jour de l’été. La météo est formelle : ce soir et demain, il va pleuvoir des trombes d’eau. Les jours suivants, la température retombera sous les 20°. C’est une longue séquence qui s’achève : deux mois où il n’a pas plu, ou presque, et où il a fait entre 30° et 35° tous les après-midi. Heureusement, les nuits étaient fraîches.
Les vignes commencent à tirer la langue. Sur nos versants de causse calcaires, les sols ne sont pas très profonds et la réserve en eau n’est pas infinie. Rien de grave pour le moment : simplement quelques feuilles qui jaunissent en bas des rameaux. Le feuillage de nos vignes est haut et dru, ce n’est pas quelques feuilles en moins qui posent problème. Mais clairement, une pluie ferait du bien.
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Comme tous les fruits récoltés en cette fin d’été, mûres et figues en tête, les raisins sont d’une concentration étonnante. Peu de jus, beaucoup de sucre, une acidité vive et fraîche et une aromatique de dingue, voilà le profil des fruits après deux mois de sécheresse et d’alternance jours chauds / nuits fraîches. Une vendange très prometteuse pour la qualité, qui augmentera encore avec un peu d’eau et une fin de maturation au frais et au calme.
Voilà pourquoi nous attendons la pluie avec impatience, mais aussi avec angoisse. Le Sud-Ouest a été placé en vigilance orange « orages », avec son cortège local de grêle et de vents violents. Cahors devrait être épargnée par le gros de la perturbation. Espérons que le ciel s’en tienne à la pluie.
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Avec la fin de l’été, c’est une saison viticole qui se termine. À la vigne, il ne reste plus qu’à attendre que les raisins murissent, à goûter souvent et à récolter au meilleur moment.
On fait le bilan, aussi, de ce qu’on a réussi et raté pendant l’année. Pour notre première année d’apprentis vignerons bio, nous sommes fiers de nous. Nos vignes n’ont pas soufferts des maladies, alors que le mildiou était la menace du printemps. Nous avons appris à relever le feuillage et à rogner au bon moment. Nous n’avons travaillé nos sols qu’une seule fois, au printemps, de façon superficielle, et ça a suffit. Le côté que nous avons choisi pour l’effeuillage (nord légèrement ouest) était vraisemblablement le bon, puisque les grappes n’ont pas pris de coup de soleil ni d’échaudage. Et quand les techniciens et les collègues passent dans nos vignes, ils les trouvent belles et sont surpris, il faut le dire, que deux novices aient mené leurs vignes sans dommages à travers l’année.
​Alors voilà, ce n’est qu’un hectare, sans matériel ou presque, avec le temps de bichonner chaque plante. Une année où il a aussi fallu tout inventer, tout mettre en place et apprendre le boulot de vigneron, et en parallèle, tout organiser pour l’an prochain : quels bâtiments, quels matériels, quels financements mais aussi quel nom pour notre domaine, quelles étiquettes… Dès 2017, nous veillerons sur 7 hectares. Ce sera le même dévouement pour bichonner chaque plante et il faudra apprendre le boulot de vigneron expérimenté. Cela sera plus long, plus intense et encore plus réjouissant.
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Nicolas
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Qu'avons nous fait de l'été ?

31/8/2016

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​Après cette longue pause estivale dans nos billets, c’est un peu difficile de se remettre dans le bain. Alors plutôt que d’attaquer par un billet de fond sur des sujets qui nous tiennent à cœur, comme la biodynamie ou les démarches d’installation agricole, j’ai plutôt envie de vous parler des deux mois qui viennent de s’écouler. Alors, qu’avons-nous fait ?
 
Nous avons pris soin de nos vignes.
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Nous avons écimé, à la cisaille et à la faucille, pour limiter la végétation à ce que le palissage peut supporter. Lorsqu’on démarre la viticulture, dans une salle de classe ou dans une parcelle, il se trouve toujours quelqu’un pour dire : « la vigne est une liane, il ne faut jamais l’oublier ». Une constatation qui oscille toujours entre le lieu commun et la vérité centrale du métier, car, en effet, la vigne pousse fort et partout. Les étapes pour canaliser cette énergie sont longues et nombreuses : taille, ébourgeonnage, palissage et, ce qui nous intéresse aujourd’hui, écimage. L’écimage, ou rognage, cela consiste à couper la cime des vignes (et parfois les côtés). Suffisamment pour que le feuillage reste dressé, mais sans excès pour permettre à la plante de faire mûrir ses fruits.
Nous aurions aimé ne pas écimer, afin de ne pas stresser la plante et de garder beaucoup de feuillage. Mais cette année, avec les pluies du printemps, la végétation est vite devenue luxuriante, junglesque parfois sur les parties de la parcelle aux sols les plus profonds. Alors, le plus tard possible, nous avons écimé. 
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Une photo valant mieux qu’un long discours :
Avant
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Après
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Pendant l’écimage, nous avons reçu l’aide de Laurie, une jeune strasbougeoise venue découvrir le travail des vignes dans le cadre du Wwoof.
Le Wwoof ? Un réseau de fermes bio, centré sur l’échange de convivialité et de connaissances, comme le définit le site. Concrètement, des volontaires viennent passer quelques jours dans une ferme pour partager le quotidien des agriculteurs et participer occasionnellement à certains travaux agricoles, sans subordination et sans rémunération. Avec Laurie, outre le maniement des cisailles, nous avons pu ouvrir quelques bonnes bouteilles et parler longtemps, le soir, de l'Alsace, du vin nature, de nos trajectoires et de nos envies. L’occasion aussi de prendre du recul en expliquant nos façons de travailler et en profitant d'un regard extérieur particulièrement affûté et curieux. 
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​Nous avons aussi effeuillé, une opération qui consiste à enlever délicatement les feuilles entourant ou recouvrant les grappes de raisin.
Nous nous sommes lancés après avoir tergiversé quelques jours autour d’un dilemme particulièrement insoluble : si on effeuille et qu’il fait trop chaud, les raisins vont brûler ; si on n’effeuille pas et qu’il pleut, les raisins vont pourrir. Evidemment, cette décision se prend en début d’été, et on ne sait qu’à la fin de la saison si elle était bonne.
Nous avons donc opté pour un effeuillage délicat, seulement sur le côté nord du rang. C'est un travail long et fatigant pour le dos, ce qui nous amène à utiliser un "siège" (en fait, un bidon de plastique). Pour l’instant, les raisins ont peu souffert d'échaudage ou de coups de soleil, et nous pensons avoir fait le bon choix.
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​Nous avons fini de nous battre contre le mildiou. La sécheresse a remplacé le temps pluvieux du printemps et le mildiou est maintenant moins à la fête. Une pluie d’orage fin juillet a créé une petite alerte sur les jeunes feuilles, tendres et sensibles, mais rien d’important. À présent tout va bien. Après une année aussi difficile, ce n’est pas rien et nous en sommes heureux.
 
Dans les vignes, les raisins ont presque terminé la véraison. C’est le moment où les raisins tournent de vert à violet. La maturation commence et, d’un seul coup, l’approche des vendanges devient plus palpable.
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​Nous avons également pris nos quartiers dans notre chai. Car oui, nous avons désormais un chai. Un bâtiment que nous louons, dans lequel nous allons pouvoir installer des cuves et vinifier. Vaste, isolé, à distance raisonnable des vignes, nous allons pouvoir y travailler sereinement.
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En attendant les cuves, nous y avons amené notre premier matériel. Un pressoir à vis, que l’on actionne à la main à l’aide d’un système de cliquet, doté d’une belle cage en bois. Un outil vénérable et sans âge, même si on le devine centenaire ou presque, qui va nous permettre de presser notre petite récolte 2016. Après un bon nettoyage, le voilà reparti pour une nouvelle vie.
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À présent, nous préparons les vendanges : nous allons faire transporter nos cuves que nous achetons d’occasion, nous commandons les seaux et les sécateurs qui serviront pour la récolte (manuelle), nous constituons notre équipe de cueilleurs…
Nous faisons aussi beaucoup de papiers pour le passage à une activité viticole « professionnelle » l’an prochain, mais nous en parlerons une autre fois. Pour l’instant, restons dans le concret : que les raisins mûrissent ! 
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Nicolas
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Des pieds et des mains

5/7/2016

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Par la force des choses, nous voici revenus à l’époque du travail des vignes d’avant la mécanisation. En prenant un hectare dès cet hiver, en attendant plus grand, notre idée était de nous lancer, d’apprendre le travail de vigneron et aussi de nous équiper au fur et à mesure de l’année.
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Mais pour s’équiper, pour investir, même d’occasion, il faut des financements. Bancaires, dans notre cas. Malheureusement tout cela prend du temps : il va sans doute s’écouler 3 ou 4 mois entre le premier rendez-vous avec le banquier et le versement du premier prêt. Tenter de faire avancer ces démarches en mai et juin, alors que la vigne demande une attention constante, quotidienne, n’est pas une partie de plaisir. Le temps des dossiers n’est pas celui de la plante. La vigne, elle, pousse, prend le mildiou, pend de chaque côté du palissage, se fait concurrencer par l’herbe. Elle n’attend pas que le prévisionnel économique soit fini pour demander qu’on s’occupe d’elle. Elle grille la politesse à tout le monde. 
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En attendant d’avoir un tracteur, une charrue vigneronne, des outils mécanisés, nous nous adaptons. Il nous reste nos mains et nos bras pour travailler.

Nos meilleurs alliés, ce sont les anciens vignerons du village. Les tracteurs sont arrivés tard à Cahors, en tout cas sur le Causse. Et on trouve aisément des vignerons de 70 ans qui ont travaillé leur vignoble avec des animaux, souvent avec des bœufs, et qui sont fiers de montrer les jougs des différents attelages. Piocher les vignes, couper la cime à la faucille, ils connaissent. Ils ont fait cela plus souvent qu'à leur tour. Alors quand nous allons vers eux pour demander conseil, on sent leur jeunesse remonter à la surface. Des années de mascagne, comme on dit ici, de travail harassant et pénible, mais des années « où l’on savait travailler la vigne ». Sans verser dans la nostalgie de cette époque où les kilos de raisin réclamaient, pour arriver à la cave, encore plus de sueur qu’aujourd’hui, le récit des vignes menées en gobelet, sans palissage, au cheval, alors que chaque ferme possédait aussi un petit troupeau de vaches pour le lait et l’indispensable fumier, est franchement passionnant.
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Le savoir-faire de ces vignerons à l’ancienne est une mine d’or. Dans l’immédiat, nous en retirons pour notre travail des choses très simples : quelle forme de pioche utiliser dans les cailloux du Causse, comment entretenir la lame de sa faucille à la parcelle, de quelle façon restaurer la cage d’un pressoir manuel… Et puis nous prend aux tripes l’envie de retrouver ce goût tombé dans l’oubli, puisqu’aujourd’hui 95% des vignes sont palissées sur des fils de fers ; que les cépages ancestraux Jurançon noir et Valdiguié, qui côtoyaient le Côt, ont été bannis du cahier des charges de l’AOC au profit du Merlot, considéré comme améliorateur. Forcément, cela nous appelle.
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Une vieille parcelle en "gobelet", sans palissage, chez Jérémie Illouz
Mais trêves de rêverie : je vous présente nos outils pour cette campagne 2016.
 
Un pulvérisateur à dos, 22 kg sur le dos lorsqu'il est plein, et des temps de traitements qui se comptent en journées. Nos amis nous avaient prévenus : « vous allez en chier ». C’est vrai. Mais il faut bien cela pour espérer gagner contre les champignons et sauver sa récolte.
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Une cisaille, qui a bien fait rire les anciens : « laissez tomber ça. On va plus vite à la faucille ». Et donc, des faucilles, sorties des granges et des brocantes, aiguisées, prêtes à rogner lorsque ce sera nécessaire…
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Une pioche standard, mal adaptée aux cailloux. Du coup, au vide-grenier de dimanche, nous sommes tombés sur un vieux stock d’outils rouillés, d’où nous avons exhumé des têtes de sarclette et des bigos. Nous les avons emmanché ; je suis sûr qu’elles feront des merveilles
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​Pour presser notre récolte, nous avons aussi trouvé dans la grange de vignerons à la retraite, inutilisé depuis 20 ans peut-être, un vieux pressoir en bois, à cliquet. Il pèse apparemment un poids dingue. Ils nous l’ont cédé, il reste à l’amener dans le chai où nous vinifierons.
Donc voilà : nous sommes en plein dans la convivialité et la réappropriation du geste.
Nous conduisons notre hectare comme un jardin.
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Le point positif, c’est qu’en n'étant plus passé en tracteur depuis un travail du sol au printemps, les sols se sont décompactés et offrent maintenant aux pieds un délicieux aspect moelleux. Probablement aidée également par le passage des préparations biodynamiques, la vie revient, pour notre plus grand bonheur.

Nicolas
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Vendredis du vin #86 : racines

25/6/2016

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Tous les mois, les blogueurs vinophiles sont conviés à raconter une histoire selon un thème désigné par un président tournant. Pour cette édition, l'auteur du blog EscapadeS a choisi "les vins racinaires". Ça m'a donné envie de faire un petit flashback et plutôt que de vous parler de minéralité ou d’enracinement dans la roche, de consacrer un court billet sur les racines de notre projet. 

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Lorsque nous avons décidé de faire le grand saut et de vivre de notre passion en devenant vignerons, nous savions que nous allions prendre la direction du Sud-Ouest. Une affaire de racines, évidemment : la famille de Maya s’est établie aux confins du Périgord et du Quercy voici trente ans. Quant à moi, après avoir grandi au Pays Basque, le grand Sud-Ouest a toujours été « chez moi ». Les mots occitans ou gascons parfois francisés qui pimentent les anecdotes, les fêtes votives qui jalonnent l’été et le printemps, la cuisine qui ne recule jamais devant la force des ingrédients et qui les assemble pourtant harmonieusement, nos amis et nos familles autour de nous, ce à quoi s’ajoutent des vignes encore accessibles pour des néo-vignerons : quelle autre destination pouvions nous prendre ?
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Pas celle-là

​Le Sud-Ouest mis à part, nous nourrissons depuis longtemps une tendresse particulière pour les terroirs calcaires. Cela tient à rien, cette signature du calcaire : le sentiment fugace de tension sur la fin de bouche, la droiture, la vivacité traçante. La puissance aussi, lorsque par bonheur l’argile s’en mêle…
 
Sud-Ouest, calcaire. Voilà ce qui nous a amené à Cahors un après-midi de décembre. Nous avions lu des commentaires élogieux sur les vins de Fabien Jouves et lui avons rendu visite dans son domaine de Trespoux-Rassiels. Fabien est arrivé des vignes, visiblement heureux de sa journée, et a entrepris de nous faire goûter tous ses vins et toutes ses cuves. 

De Cahors, je ne connaissais globalement que les vins des terrasses quaternaires, que j’avais pu goûter lors de mes études à Toulouse à la fin des années 2000. À l’époque, l’appellation communiquait encore sur le « Vin Noir ». Et effectivement, lorsque nous prenions le métro pour rentrer après une matinée de dégust’, mes condisciples et moi avions les lèvres et les dents bien teintées, attirant sur nous les regards outrés et vaguement réprobateurs des autres passagers de la rame. Les matières de ces vins étaient intenses et soutenues par des élevages sous bois prolongés. Si j’ai goûté des vins issus des plateaux calcaires à l’époque, je n’ai pas su ou pas pu les distinguer.
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​Chez Fabien Jouves, j’ai été surpris par la fraîcheur des trames, la dentelle des tanins et la buvabilité des Cahors d’entrée de gamme. Ses grandes cuvées m’ont plu, bien sûr : le Bloc ou les Acacias sont pour sûr des grands vins. Mais j’ai vraiment apprécié l'interprétation de ce cépage juteux que qu'est le Côt – dites Malbec si vous préférez – dans sa cuvée des Escures et surtout dans celle de la Roque, pour moi un parfait équilibre entre énergie, caresse tannique et persistance.

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​Par la suite, en goûtant et regoûtant dans le secteur, j’ai pu constater que d’autres producteurs du Causse et de la Vallée arrivaient, eux aussi, à capter l’énergie typique de ce cépage fabuleux, qui, à mon sens, n’aime pas qu’on lui triture la peau pendant la vinification.
Je ne crois pas vraiment à l’idée d’un instant décisif, qui change pour toujours une trajectoire, un destin. Toutefois, dans le chevelu racinaire dense et ramifié des causes et des effets, je dois à cet après-midi chez Fabien Jouves, et à la bouteille de La Roque qu’il a dégusté avec nous, cette conviction profonde qu'il était possible de nous installer sur les hauteurs de Cahors et de travailler à élaborer des vins que nous aimerons passionnément.
 
Aux racines de cette aventure que nous racontons mois après mois, il y a donc un peu de ce vin. À présent, nous travaillons des vignes sur ce plateau calcaire qui nous a tant appelé. La floraison se termine, les grains de raisin de notre première récolte sont en train de se former. Mais c’est déjà une histoire de fruits, et plus vraiment une histoire de racines...
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Nicolas
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La fête à la grenouille

20/6/2016

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L’année viticole 2016 commence mal.
Il n’y a qu’à faire un petit tour sur la toile, sur un blog de vigneronne comme celui d’Isabelle Perraud, ou celui de Sandrine la caviste féministe, ou encore celui de Nicolas Lesaint, directeur technique du Château de Reignac, pour s’en rendre compte. Il a grêlé ou gelé un peu partout en France au début du printemps et depuis, il pleut.

Il est tombé 95 millimètres la dernière semaine de mai, 145 mm sur le mois, quand les sites climatiques indiquent qu’à Cahors « en décembre, les précipitations sont les plus importantes de l'année avec une moyenne de 78 mm ». Nous avons eu, au printemps, en plein départ de végétation, deux fois plus d’eau que le mois d’hiver le plus pluvieux. « Vous n’avez pas de chance pour une première année » nous dit gentiment notre voisin. Pas de chance, surtout en bio.
Surtout en bio ? Notre ami David nous a souvent demandé de parler de la viticulture biologique sur le blog. Nous pouvons aujourd’hui l’aborder par le biais de la protection des vignes. Puisque c’est un thème riche qui donne envie de parler de plein de sujets, nous y consacrerons d’autres billets, un peu plus tard. 
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Les vignes en bio : pleines de vie et d'amour!
Pour un agriculteur, discuter de la pluie et du beau temps ne relève pas de la simple politesse. La météo, c’est la pierre angulaire de notre métier, ce qui règle notre emploi du temps, nos jours, nos nuits, nos angoisses et nos joies. Quand la pluie tombe en mai et que les girolles remplissent les étals du merveilleux marché de Prayssac, les champignons poussent aussi sur la vigne.

Le vignoble de Cahors connaît deux maladies qui viennent avec la pluie : le mildiou et le black rot.  Elles sont arrivées des Amériques à la fin du XIXème siècle, donc assez récemment à l’échelle biologique. La vigne ayant évolué longtemps sans y être confronté, elle les gère assez mal. En cas d’infection, elle ne sait pas s’en défaire. Les traitements sont donc uniquement préventifs : on empêche les champignons* de s’installer.

Les vignerons conventionnels ont à leur disposition un outil bien pratique, les produits phytosanitaires systémiques. Le pesticide pénètre dans la plante, circule dans ses vaisseaux  y compris dans les jeunes feuilles qui poussent au fur et à mesure. Il suffit de renouveler l’opération tous les quinze jours environ pour être couvert.
L’agriculture biologique interdit le recours aux produits chimiques de synthèse, ce qui ne veut pas dire que nous ne traitons pas, mais simplement que nous avons droit à deux antifongiques naturels : le soufre et le cuivre. Ces produits sont à la fois préventifs, donc il faut les placer avant les pluies, et également lessivables, car ils restent uniquement à la surface de la feuille et sont éliminés par la pluie. Du coup, il faut souvent recommencer !
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Passage d'une tisane de prêle et d'un extrait fermenté d'ortie juste après la grêle du mois d'avril
Une année normale permet aux vignerons biologiques de traiter de façon assez espacée, tous les 12 à 14 jours environ, moins encore s’il fait beau et sec. Les produits tiennent au moins 20 millimètres de pluie et c’est plutôt la pousse de la plante qui devient un facteur limitant. En effet, il faut que toutes les feuilles aient un peu de cuivre et de soufre pour empêcher les spores des champignons de germer. Si une pluie est annoncée bien après que l’on ait traité, la vigne ayant fait plein de nouvelle feuilles depuis, il faut repasser.

​Le mildiou aime la pluie et la chaleur. Dès qu’il fait plus de 13°C et que les œufs qui ont passé l’hiver sont mûrs, il peut se développer. Il est sensible au cuivre, ce qui a été découvert par le botaniste A. Millardet à la fin du XIXe siècle. Selon la légende, il visita des parcelles où l’on badigeonnait les premiers rangs de sulfate de cuivre pour dissuader les voleurs de raisins. Il remarqua assez vite que ces rangs peints en bleu étaient moins touchés par le mildiou.
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Tâches de mildiou sur feuilles : les zones jaunes sont appelées "tâches d'huile"
Le black rot aime les longues périodes de pluie, quand le feuillage reste mouillé, et s’active dès 9°C. C’est une maladie souvent considérée comme secondaire car elle se propage de proche en proche et qu’elle n’est grave que les années humides. Elle peut pourtant faire perdre une grande partie de la récolte. Malheureusement pour nous c’est une maladie assez présente dans les vignobles du Sud-Ouest et surtout, il n’existe pas de traitement en agriculture biologique.
La combinaison soufre et cuivre permettrait de limiter les attaques, mais pas aux doses que nous pratiquons dans nos parcelles. 
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Black rot sur feuille : les petits points noirs, appelés pycnides, lui permettent de se propager pendant les pluies
Il existe enfin un troisième champignon venu des Etats-Unis, l’oïdium. C’est à cause de lui que nous mettons du soufre et que, dès que nous travaillons dans nos vignes l’été, nous transportons avec nous son parfum de fumerolles, de volcan. L’odeur est puissante et prégnante, lessives et douches n’arrivent pas toujours à en venir à bout. Je ne parlerai pas beaucoup d’oïdium aujourd’hui, il apprécie les ambiances moites, chaudes et venteuses et lui non plus n’aime pas beaucoup l’année 2016. ​
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Pissenlit fraîchement cueilli pour le traitement du lendemain
Pour compléter le sujet du cuivre et du soufre, nous avons fait le choix, comme beaucoup de vignerons en agriculture biologique ou biodynamique, d’ajouter des tisanes de plantes à chaque traitement. Prêle, ortie, osier, achillée millefeuille ou encore pissenlit ne sont plus des mauvaises herbes à nos yeux. Au contraire, nous les cherchons partout afin de trouver des zones de cueillettes non polluées, sauvages et suffisamment vastes pour en faire sécher quelques kilos par an. Ces tisanes ont chacune des propriétés précises et une période de cueillette et d’application privilégiées.

Globalement, elles aident plutôt la plante à renforcer ses défenses et n’ont peu ou pas d’action sur les pathogènes. Elles ne permettent donc pas de se passer complétement de cuivre ou de soufre, mais de diminuer les doses utilisées. C’est un paramètre extrêmement important à nos yeux. En effet, la viticulture biologique est souvent critiquée car le cuivre, bien que naturel, n’est pas un produit anodin. C’est un antifongique puissant et peu sélectif, toxique pour les plantes et la vie du sol. Surtout, comme c’est un métal, il s’accumule. Cependant, grâce à la phytothérapie (le soin des plantes par les plantes), on peut réussir à baisser drastiquement les quantités de cuivre utilisées. Les doses préconisées dans les itinéraires, conventionnels ou biologiques, vont de 750 grammes à 3 kilogrammes de cuivre par hectare et par traitement. Grâce aux tisanes, nous utilisons de 100 à 250 grammes, soit presque dix fois moins. Cela nous permet d’être bien partis pour rester bien en dessous de la limite du cahier des charges bio de 6 kilogrammes de cuivre par hectare et par an. Et même des 3 kilogrammes / hectare / an de l’agriculture biodynamique.
Cueillette d'ortie, plante capitale en viticulture, en extrait fermenté ou en tisane
Pour l’instant, dans nos parcelles, tout va bien. Quelques taches de mildiou et de black-rot sont apparues suite aux pluies de fin mai, mais en nombre très limité. Il a beaucoup plu aussi en juin, mais nous avons pu, grâce à notre pulvérisateur à dos, aller traiter lors des éclaircies pour renouveler les traitements lessivés. Pas besoin d'attendre que le sol sèche pour entrer en tracteur sans tout tasser : à pied, il suffit que le feuillage soit sec pour pouvoir commencer.
Malgré tout, nous ne crions pas encore victoire, les pluies de la semaine dernière, en plein pendant la période critique de floraison, ont peut-être engendré des contaminations qui ne seront visibles que dans une dizaine de jours. Il reste encore un long chemin à parcourir avant la récolte...


La situation de nos parcelles est aussi un allié dans cette lutte contre les champignons. Sur nos hauts de coteaux, le vent souffle toujours un peu ; les vignes ne restent pas longtemps mouillées après une pluie. C’est toujours appréciable pour limiter les contaminations, ou lorsqu’il s’agit de chercher une fenêtre de traitement au milieu d’une semaine perturbée.
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Nous avions peur de mettre du temps à apprendre la protection des cultures. Cette année 2016 bien tendue nous a plongé tout de suite dans l’action, façon stage commando. Heureusement que nous ne veillons cette année que sur une toute petite surface : c'est le meilleur moyen d'apprendre sereinement. 
Maya et Nicolas

* Oui Benoît, nous serons mille fois maudits, nous parlons ici de champignon pour le mildiou. Nous voulions juste simplifier nos propos. Pour les geeks de la taxonomie, le mildiou a été éjecté du règne des champignons, et placés dans celui des Bicontes.
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Le grand bain

1/6/2016

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s​Semaine de pluie : il est temps de revenir écrire et vous faire part des nombreux avancements depuis le dernier billet.
 
La vigne pousse bien à présent, après un début du mois de mai assez frileux, où l’on a frôlé le gel plusieurs fois et où les plantes sont entrées dans une torpeur bien compréhensible. Les bourgeons floraux sont bien visibles maintenant et les rameaux grandissent. Les dégâts dus à la grêle de mi-avril et aux mange-bourgeons ont été compensés par la vigne. Là où un bourgeon a sauté, un contre-bourgeon s’est développé la plupart du temps ; on voit très bien sur la vigne ces rameaux plus tendres, bien moins développés que leurs voisins, et qui portent des fleurs plus petites. 
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mi-mai...
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 ... et deux semaines plus tard
Depuis quelques temps, nous travaillons à l’ébourgeonnage soigneux des pieds de vignes. Il s’agit d’ôter, à la main, délicatement, tous les pampres, c'est-à-dire les rameaux qui se développent sur le vieux bois et ne portent pas de fruit. Toutefois, certains peuvent avoir un réel intérêt pour la taille de l’année suivante. Les vignes de notre parcelle sont parfois trop hautes, et utiliser des pampres pour tailler l’an prochain est une solution pour redescendre les pieds. En ébourgeonnant, nous sommes en fin de compte en train de penser la taille de l’hiver prochain.
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C’est aussi l’occasion d'examiner le feuillage à la recherche de symptômes de maladie. Pour l’instant, tout va bien, nos traitements de bouillie bordelaise, de soufre et de plantes se sont montrés efficaces.
Les fortes pluies de la fin mai (35 et 80 mm) vont sans doute chambouler cette belle santé. Oui, c’est clairement beaucoup d’eau, largement suffisant pour bien lessiver les traitements et rendre les vignes vulnérables au mildiou et au black-rot, qui doivent se régaler en ce moment même. Mais ce n’est pas pour cela que j’ai appelé l’article « le grand bain ».
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Nous avons beaucoup avancé sur notre projet depuis le mois dernier. Mais avant les bonnes nouvelles, il me faut vous présenter une instance incontournable dans un projet d’installation agricole : la SAFER.

Les SAFER, pour société d’aménagement foncier et d’établissement rural, existent depuis 1960. Gérées par le syndicat agricole majoritaire (aujourd’hui, la FNSEA) et par les collectivités territoriales, elles ont pour mission de contrôler toutes les transactions de terres agricoles. Le but : favoriser l’installation des jeunes, permettre aux exploitations jugées trop petites de s’agrandir et empêcher la perte de surfaces agricoles et la spéculation. Ces objectifs d’utilité publique se traduisent dans les faits par l’exercice de la préemption, c'est-à-dire que sur un projet jugé problématique ou sur des terres convoitées par un autre agriculteur, la SAFER suspend la vente, achète le bien et arbitre entre les projets concurrents.
La SAFER est une institution efficace et son utilité est reconnue par toute la profession. Il arrive parfois que son action soit contestée (par exemple localement, voir cet article). Les critiques sont inévitables, puisque la SAFER, par ses choix et ses arbitrages, oriente la politique agricole du département selon la vision du syndicat qui la dirige. 
Recherche de la compétitivité économique des exploitations pour la FNSEA (aux commandes partout ou presque), multiplication d’exploitations autonomes pour la Confédération, les objectifs ne sont pas les mêmes, parfois ils s’opposent, et ce débat a aussi lieu au sein des SAFER. 
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Concrètement, lorsqu’un agriculteur ou un candidat à l’installation achète une parcelle, la SAFER a deux mois pour préempter. Dans les 15 premiers jours du délai, les agriculteurs représentant la SAFER sur la commune avertissent leurs collègues, la SAFER publie une notification, bref : les personnes concernées sont mises au courant et font éventuellement connaître leur intérêt pour le terrain. Si c’est le cas, au bout de deux mois, la SAFER achète la parcelle et choisit ensuite, en commission, à qui l’attribuer. Sinon, la vente se déroule sans intervention.
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Pourquoi nous vous racontons tout cela ?
Parce que nous avons signé un compromis de vente pour plusieurs parcelles que nous reprendrons l’an prochain, après les vendanges.
​Nous l’avons signé il y a un peu plus de deux mois, sans recevoir de lettre de la SAFER. Cela signifie que non, il n’y aura pas de préemption et que personne d'autre que nous ne désire acheter ces terres. À présent, la seule chose qui pourrait arriver, c’est une rétractation du vendeur. Même si c’est peu probable que cela arrive, nous croiserons les doigts. Pas de magnums de champagne cette fois-ci, pas pour le moment !
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Et donc, ces vignes ? Elles sont franchement splendides. Il s’agit de 6 hectares, qui s’ajouteront à celui que nous travaillons cette année, toujours sur des terroirs calcaires au-dessus de Cahors.
Les vignes sont en bonne santé, avec peu de manquants et des sols déjà travaillés. La conversion en agriculture biologique ne devrait pas poser de problème majeur. Les parcelles sont proches, mais établies sur des expositions et des sous-sols différents. Nous commençons déjà à projeter laquelle sera plus puissante avec son sol riche en argile rouge, laquelle fera des vins sur la finesse et la tension avec un sol riche en calcaire et une exposition nord... Pour tout vous dire, nous avons hâte de pouvoir goûter les caractéristiques de chacune d’entre elles.

​Sept hectares, ce sera beaucoup de travail et beaucoup de temps dans les vignes. Cette année, avec 1 hectare, nous servira donc définitivement de galop d’essai ! À nous de nous équiper, de maîtriser les gestes le mieux possible, et d’être fin prêts en décembre pour sauter dans le grand bain.

​Nicolas
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Se battre... et tenir

18/5/2016

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Au tout début, quand le domaine n'était qu'un projet lointain, une idée dans nos têtes, nous avons cherché des vignerons qui avaient eu le même parcours, des hors cadre familiaux installés. Nous nous posions beaucoup de questions, nous avions besoin de réponses, d'abord d'ordre pratique mais également théorique. Nous avons imaginé ce blog, fil rouge de notre installation, pour que d'autres profitent de notre expérience. Nous nous éloignons parfois, souvent même, de ce but, mais je vais ici m'adresser à eux, à ces futurs paysans.
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Nous ne sommes qu'au début de notre projet (en réalité, je ne sais pas trop où nous en sommes, le chemin parcouru est déjà si long) mais je peux déjà dire qu'il va falloir se battre. Se battre, et tenir. 
Car tous autour de vous, l'agriculteur à la retraite, le conseiller expérimenté, le banquier en cravate, la voisine attentionnée, le collègue à l'écoute, certains de vos amis, tous vous le diront : ne le faites pas. Restez salariés. Ce n'est pas viable. C'est un métier dur. Cela vous prendra tout votre temps. Vous ne gagnerez pas votre vie. 
Ils ont raison. C'est dur, c'est énorme et ça prend toute la place. Ils ont raison, vous ne deviendrez pas riche.
Mais ils ont tort aussi car cela donne du sens. Il y a sûrement des voies plus faciles, plus sécurisantes, des métiers passionnants et moins risqués, mais c'est comme ça, nous n'imaginons pas notre vie autrement. Nous avons fait un choix et nous nous y tenons. Vous aussi, vous devrez vous y tenir fermement, car parfois, la confiance vacille.
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Ecoutez-les, tous ces gens, car leurs conseils sont justes. À vous d'y injecter ensuite l'optimisme nécessaire pour avancer. À vous de trier ce qui est bon à prendre et ce qui vous encombre. Ce n'est pas évident et les émotions sont fortes. Accrochez vous, ça secoue sacrément. 

Ecoutez-vous, aussi. Laissez-vous le temps. Allez voir vos amis. Soufflez, vous le méritez. Car vous allez aussi devoir affronter vos choix. Vous allez devoir les justifier. Il y aura toujours quelqu'un pour vous dire que vous faites erreur, que vous auriez dû faire autrement. Ils ne sont pas vous. Ils ne sont pas à votre place. Car parfois, vous n'aurez pas le choix. Oui, tout faire à la main c'est difficile, oui, il existe un meilleur outil quelque part, oui, les terroirs sont beaux ailleurs, oui, ici il grêle, il gèle, il y a trop d'eau en hiver et pas assez en été, oui, oui, oui. Tout cela est parfois vrai. Tout cela est parfois faux. Sachez pourquoi vous faites les choses, c'est cela qui est important. Parfois, sachez juste capituler, car c'est la réalité la plus forte. Et ce n'est pas toujours un mal.

Ecoutez les optimistes, surtout. Ceux qui vous poussent, ce qui croient, ce qui sont heureux pour vous, motivés, passionnés. Cherchez, fouillez, restez curieux, faites des erreurs et relevez-vous. Appuyez-vous sur ceux qui comptent. Leur voix est moins forte, mais elle est là. Avancez, tenez bon, et surtout soyez solides, soyez heureux, soyez confiants : la route est belle.
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 - Maya - 
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The transplants

10/5/2016

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Fin mars, nous avons abandonné nos sécateurs pour une journée de plantation à Volvic chez notre ami Vince. Mais avant de tout vous raconter, je suis obligée remonter un peu dans le temps.
 
Il y a un peu plus d'un siècle, les vignes européennes ne connaissaient pas encore la plupart des maux qu’elles subissent aujourd’hui.
À la fin du XIXème siècle, des plants de vigne sont importés depuis les Etats-Unis jusqu’en Angleterre, puis en Europe continentale. Avec ces mouvements de matériel végétal arrivent des ravageurs et des maladies jusqu’ici inconnus. C’est l’oïdium qui débarque en premier en 1845, puis le phylloxera en 1863, et enfin le mildiou en 1878.
Le phylloxera est particulièrement dévastateur. En effet, ce petit puceron s’attaque aux racines des vignes et les fait mourir. Le fléau se propage à grande vitesse en France et, autour de 1880, à peine un quart de la surface viticole française subsiste encore. De nombreux vignobles sont définitivement perdus. C’est le cas dans le Périgord Noir, où le tabac remplace la vigne et seuls quelques noms de lieux-dits évoquent encore cette période révolue.
Tous cherchent une solution. Les seules vignes qui survivent sont celles qui poussent dans des sols sableux. Certains vignerons parviennent à sauver leurs parcelles en les inondant pendant l’hiver, le puceron détestant l'eau. D’autres injectent différents produits dans les sols, mais sans succès. La réponse viendra finalement du même lieu que le problème, car aux USA, les cousines de nos Vitis vinifera européennes vivent parfaitement bien avec le petit insecte. 
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Les agronomes, dans un premier temps, font le choix de croiser les vignes américaines et les vignes européennes afin de les rendre tolérantes au phylloxera. C’est ce qu’on appelle les hybrides producteurs directs. On en trouve encore aujourd’hui, dont le fameux « raisin fraise », qui ravit les palais par son goût de fraise des bois (que l’on appelle « arôme foxé » chez les pros).
Malheureusement ce n’est pas une solution durable. Les fruits des vignes d’outre-Atlantique sont de bien moins bonne qualité que les européennes… Sans parler de la perte de siècles de sélection, qui avait abouti à l’obtention de cépages adaptés à leur terroir. En effet, qui imagine la Bourgogne sans Pinot noir ou l’Alsace sans Riesling ?
À Montpellier et dans le Beaujolais, d’autres agronomes explorent la greffe des vignes européennes sur des « américains ». Les résultats sont très bons et la technique se développe. Les porte-greffes sont eux-mêmes sélectionnés ou croisés pour obtenir certaines qualités : résistance au calcaire, production accrue… 
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Statue fascinante à Montpellier SupAgro : la vieille France malade du phylloxéra sauvée par la jeune vigne américaine (source photo : Wikipédia, source explication : Maya Sallée et Liz Thach)
Les deux techniques cohabiteront jusqu’aux années 1950, moment où les hybrides producteurs directs seront interdits, accusés de donner des vins contenant trop de méthanol (l’alcool qui rend fou) ou de ne pas être assez qualitatifs. Actuellement, la seule issue contre le phylloxera, présent sur tout le territoire, reste le greffage sur porte-greffe résistant. Sauf rares exceptions, aucune vigne n’est plantée « franc de pied ».
La plupart des vignerons, pour établir une nouvelle parcelle, utilisent des vignes déjà greffées par un pépiniériste. Mais Vince, lui, a fait un choix différent. Retournons donc à ce mercredi de la fin mars.
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Mardi soir, fin de notre journée de taille, nous filons chez Vincent Marie, du domaine No Control (http://www.vin-nocontrol.fr/fr/). Nous y retrouvons Valentin Morel (http://www.domaine-morel.fr), venu aider lui aussi et qui arrive du Jura.
Vince et Valentin se sont installés il y a peu et nous donnent de nombreux conseils pendant le repas, avec deux ou trois années de recul. Ces moments d’échange sont vraiment précieux. Nous nous sentons parfois un peu seuls, dans nos parcelles face à nos pieds de vigne, le partage d’expérience (et de bouteilles !) est fondamental.
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Le lendemain nous rejoignons les vignes vers 8h00 après une courte nuit, bien emmitouflés car le vent passe se rafraîchir sur les neiges de la chaîne des Puy avant de venir siffler dans nos oreilles.
Les plants ont été expédiés par fagots de 500 avec leurs racines nues. Nicolas les recoupe d’abord à deux ou trois centimètres pour assurer la reprise dans leur nouvel environnement. Nous sommes surpris : pas de cire rouge sur les plants, donc pas de point de greffe. C’est là toute l’originalité de Vince, il plante d’abord ses porte-greffe (les vignes américaines) avant de venir surgreffer avec des européennes quelques années plus tard. C’est un travail qui se fait à la main, on fait une encoche dans le jeune tronc puis on y glisse un bourgeon de Vitis vinifera. Les ceps greffés ainsi, à la parcelle, sont réputés plus durables, développant moins de maladies au fil du temps. Les jeunes plants non greffés sont également plus résistants, surtout vis à vis de la sècheresse ; il y a moins de mortalité les premières années. 
A gauche : Nicolas coupe les racines avant la plantation - Au milieu : pied non greffé prêt à s'implanter en Auvergne - A droite : greffés-soudés classiques, source : http://www.comtat.com
Avant de les mettre en terre, nous trempons les pieds dans un mélange d’eau, de bouse de vache et d’argile : le pralin. Il sert à garder un environnement humide autour des racines. Puis nous creusons. Enfin, ce sont plutôt Vincent et Valentin qui creusent. Nos bras et nos mains ne sont pas encore taillés pour cet effort, il nous faudra encore quelques mois d’entrainement pour être aussi rapides et endurants qu’eux.
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Seau de pralin vide : la journée touche à sa fin
Vince est venu la veille matérialiser les futurs rangs avec des cordes. C’est un travail précis et fastidieux : il faut vraiment planter droit et régulièrement, sinon tout le travail mécanique des années à venir est compromis. Un tracteur qui passe largement dans un rang de 1,5 m arrachera peut-être des souches avec 20 cm de moins. Les cordes sont placées en longueur et en largeur : à chaque croisement, on creuse un trou et on plante un pied.
C’est agréable de travailler à plusieurs : on parle, on blague et, de temps en temps, on ne dit rien, on se concentre sur le travail qui est parfois ardu dans les argiles d’Auvergne. 
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À la fin de la journée, nous sommes fiers et heureux. Vince nous dit qu’on boira la première bouteille ensemble et je suis assez émue de voir tous ces pieds qui vont s’enraciner ici, un peu grâce à nous.
Tout le monde se dit au-revoir, nous sommes pressés de revoir nos vignes, Valentin aussi ; avec le printemps précoce, il y a encore plein de travail à abattre avant le débourrement des bourgeons.
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La fine équipe ! 
Avant de partir nous faisons un petit détour pour aller rendre visite à la Marie. Dans sa petite épicerie, elle vend de tout, mais surtout des pâtes de fruit, du saucisson délicieux et du Saint Nectaire. « Vous voulez le choisir ? Vous savez où est la cave ? ». Nous descendons l’escalier tout raide qui débouche dans une cave voûtée magnifique. Les fromages attendent sur la paille, couvés du regard par un beau chat tigré. « Grâce à elle, je n’ai pas de souris » nous explique Marie. Elle nous indique comment bien choisir notre St Nectaire et nous répète ses préconisations en boucle, comme une longue litanie « ne jamais le mettre au frigo » « il doit être bien moelleux, il faut le tester entre le pouce et l’index » « surtout, il ne faut pas enlever la croûte, juste la gratter…le meilleur est sous la croûte ! ». Et tout en palpant les Saint Nectaire, je me dis qu’il suffit parfois de pousser une porte pour voyager !
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Vendredis du vin #84 : l'énergie

1/5/2016

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Le thème mensuel des Vendredis du vin nous a beaucoup plu. Guillaume Deschamps, depuis son blog Roumegaïre, a choisi « l’énergie ».
Et d’expliquer ainsi sa proposition :  
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​"Quand le concept d’énergie m’est venu à l’esprit, je ne pensais pas du tout au vin, mais aux vigneronnes et aux vignerons. Car de l’énergie il en faut pour produire du vin, il faut même en dépenser sans compter.
De l’énergie, il en faut pour se lancer, pour se dire « ok je deviens vigneron ». En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, il faut se découvrir aussi bien ouvrier viticole que tractoriste et agronome ; caviste (dans le sens d’ouvrier de cave), vinificateur, oenologue ; gestionnaire, comptable, juriste, être capable de dialoguer aussi bien avec les douanes (qui contrôlent les mouvements de raisins et de vins, et se chargent de percevoir la fiscalité liée aux boissons alcoolisées) que la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, qui contrôle aussi bien les vins que les étiquettes), le ou les ODG (Organisme de Défense et de Gestion, au niveau d’une appellation), l’interprofession (niveau régional), ou encore l’INAO (Institut National des Appellations d’Origine, au niveau national) sans parler de la Chambre d’Agriculture, la MSA (Mutuelle Santé Agricole), les diverses formes juridiques d’une entreprise agricole ou de négoce… ; communicant, marketeur, graphiste, organisateur d’événement et surtout commercial."


Evidemment, ça nous a beaucoup parlé, car ces dernières semaines nous avons travaillé sur la plupart de ces sujets : aller travailler nos vignes, passer les préparations biodynamiqus, chercher un tracteur d’occasion, trouver un nom, penser à nos futures étiquettes et à leur présentation.... Quand aux acteurs de la filière listés, nous avons travaillé avec chacun d’entre eux pour nous affilier, créer un numéro d’exploitant, obtenir ou non l’AOC cette année, monter un prévisionnel économique, au milieu d’une multitude d’autres sujets.
Parler d’énergie, au moment où nous consumons la notre sans compter, pour se retrouver épuisés le dimanche soir et recommencer de plus belle le lundi matin, ça nous plaisait.

Mais si nous mobilisons tous ces efforts, c’est par amour de la vigne et du vin, et rien que pour cela j’aborderai ce thème par ce biais. Je voudrais écrire à propos des terroirs qui dégagent une énergie impalpable mais perceptible, quelque chose qui frôle souvent le mystique. Parfois, sous la patte d’un vigneron inspiré, on retrouve dans le vin l’énergie particulière du lieu.
Je pourrai vous parler des plateaux où nous nous installons à Cahors, avec leurs vues immenses, leurs jeux d’ombres et de lumière sous les nuages épars d’un jour comme aujourd’hui, mais tout ceci ne serait pas très objectif. J’aurai pu aussi écrire à propos de la colline de l’Hermitage, qui exerce sur moi une fascination magnétique, mais malheureusement je n’ai pas goûté assez d’hermitages pour pouvoir en parler précisément.
Non : quand je pense au vin et à l’énergie, je pars tout de suite pour l’Alsace. Et à deux terroirs en particulier.
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Avec Denis, sur le Hengst
Le premier, c’est le Hengst, ce grand cru situé au-dessus de Wintzenheim. Hengst, « l’étalon », est un terroir de puissance, de vivacité et d’énergie. Un terroir qui rend dingue de passion les copains qui y travaillent des vignes. On les comprend lorsqu’on s’y rend, pas seulement pour la vue sur la vallée ni pour la beauté des vignes. Quelque chose d’indescriptible, un sentiment devant la force du monde naturel et minéral, que d’autres ont d’ailleurs dû ressentir avant nous puisqu’on trouve en haut du coteau un monolithe celte et une chapelle, où vécut un ermite.
Pour moi, les vins du Hengst, ce sont les Riesling de Christian, Véronique et Denis Hebinger, à Eguisheim. Toujours dans une puissance retenue, dans une finale large, vive et minérale. Des vins sérieux, de réflexion, qui parlent à l’âme et, fidèles à l’esprit du lieu, qui ne peuvent s’apprivoiser qu’après avoir laissé leur prime jeunesse derrière eux. 
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L’autre terroir, c’est le Bollenberg, une grande croupe calcaire entre Rouffach et Issenheim. C’est le terroir solaire par excellence, un endroit où les millésimes de sécheresse ne pardonnent pas. Mais quand il pleut assez, cela justifie tous les efforts déployés les mauvaises années. Cette colline aussi est un lieu sacré depuis longtemps : les celtes y célébraient un culte solaire, les mérovingiens y établirent une nécropole, la communauté chrétienne y construisit une chapelle. Et depuis toujours on raconte que des sorcières se rassemblent au sommet pour y fêter le sabbat.
Nous, c’est le vin qui nous y a appelés. L’endroit est vraiment extraordinaire, et par ailleurs, il en sort de fabuleux pinards. Nous y sommes montés un soir avec une bouteille de Riesling d’Eric Litchlé, un vigneron de Gueberschwihr, un village plutôt éloigné du Bollenberg, mais quand le terroir est passionnant, on ferait pour lui de nombreux kilomètres en tracteur. 
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 N'appelez pas la SPA, c'est bien nous qui l'avons bue. Vous pouvez par contre nous en offrir, c'était la dernière.
Nous nous sommes installés au-dessus de la parcelle en question et avons lentement bu la bouteille. Le vin était pur, cristallin, avec une puissance solaire sur la trame acide du calcaire, et une finale de pierres chaudes. La nuit était belle, tiède et étoilée. Nous y avons passé la nuit. Aucune sorcière ne s’est montrée. Ce soir-là, c’était nous qui célébrions le sabbat au sommet du Bollenberg.

Nicolas
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Les rites initiatiques

20/4/2016

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Après l'orage de grêle qui a touché nos vignes vendredi dernier, il nous a fallu quelques jours pour aller de nouveau de l'avant. Repartir dans les vignes et voir tous ces petits rameaux arrachés ou brisés avait quelque chose d'organiquement douloureux.
Comme dans beaucoup de secteurs du plateau de Cahors, nous évaluons la casse dans nos vignes à 25 ou 35% des bourgeons, selon le pied et selon aussi là où l'on se trouve dans la parcelle. Nous ne sommes pas les plus à plaindre, certains ont été plus durement frappés. Chez nous, ce niveau de dégâts est sérieux sans pour autant constituer une catastrophe.
​Les commentaires à l'article de Maya ont été nombreux sur les réseaux sociaux, notamment de la part d'autres vignerons, qui évoquaient l'aspect "initiatique" de la première grêle. D'autres collègues (comme Nicolas Lesaint ici et ici) ont également écrit sur cette sensation de fragilité et de perte. Nous nous sommes sentis moins seuls. Nous avons aussi mieux compris cette sensation hébétée, déprimée, qui a suivi l'orage et la constatation des dégâts.

Pour nous guérir nous, autant que pour essayer de panser les vignes, nous avons préparé un traitement "maison" à base de tisane et de macération de plantes. L'objectif : renforcer les pieds blessés et relancer leur croissance. Un jour après, nous étions donc dans les rangs, pulvérisateur au dos. Ça nous a pris de longues heures mais nous en sommes sortis plutôt rassérénés. Et nous n'avons plus évoqué la grêle. A présent, les contre-bourgeons commencent à pousser par endroits. Nous espérons que dans deux semaines, la grêle ne sera qu'un mauvais souvenir, seulement perceptible par l'absence des rameaux qui manqueront sur les pieds.
De la prêle sèche et un traitement à la tisane

Côté démarches, tout s'accélère.
Nous avons déposé les statuts de l'entreprise. C'est une procédure assez simple, un formulaire à remplir, plus un autre pour l'ACCRE, qui se fait au centre de formalités des entreprises de la Chambre d'Agriculture. En dix minutes, c'était fait, il fallait juste cocher les bonnes cases concernant les options fiscales (bénéfices agricoles et régime TVA). Le centre de formalités se charge ensuite d'informer la MSA, les Impôts, etc. En fin de compte, recevoir le numéro d'identification SIRET de son entreprise est aussi un vrai rite initiatique. Le projet acquiert une certaine légitimité, en tout cas une existence légale...
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L'entreprise créée, cela veut dire qu'on va pouvoir lancer plein de chantier absolument obligatoires et tous prioritaires : se faire enregistrer aux Douanes, lancer la certification en Agriculture Biologique, s'assurer, ouvrir un compte en banque...
Le dernier rite de la semaine était d'aller voir les banques pour présenter notre projet et commencer les recherches de financement de la production. Nous sommes en plein dedans et c'est un sujet vraiment complexe. Ce sera certainement l'occasion d'un article à part entière.

Pendant ce temps, le temps se réchauffe, il pleut à peu près un jour sur deux. Un temps idéal pour le mildiou. Entre les multiples étapes de l'installation, il faudra protéger les vignes le mieux possible, avec les moyens que nous avons en ce moment : notre cher pulvérisateur à dos.
Evidemment, nous devons au plus vite nous équiper : un tracteur, du matériel de culture... Tous les voisins nous en parlent à présent, et c'est vrai que c'est urgent, mais pour cela nous devons avancer auprès des banques. En ce moment, tous les dossiers doivent avancer de front. Comme le veut l'expression consacrée : nous avons du giga-pain sur la méga-planche.

Nicolas
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L'orage

16/4/2016

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Le ciel devient noir et blanc, s’arque boute et se déchire à l’infini. La nature rugit sa puissance. Elle nous rappelle que nous ne sommes que de la poussière de roche, rien, une particule dans le tumulte. J’ai toujours trouvé cela si beau, l’orage. Je me souviens, enfant, du bruit du tonnerre qui nous réveillait en pleine nuit, les éclairs blancs dans le ciel tout noir, la pluie froide, dure, sur la peau chaude et humide de la fin de l’été. J’aimais cette beauté brute et sauvage, et la douce panique, aussi, qui nous envahissait. Nous courrions partout débrancher les machines, arracher les prises de téléphone. Une fois où nous n’avions pas été assez rapides, l’alarme avait pris feu. Puis la foudre passait et nous laissait tout frissonnants de tension et d’excitation mêlées. 
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A l’heure où j’écris ces lignes, l’orage est là. Le ciel est devenu sombre en plein jour, à défaut de s’éclairer en pleine nuit comme dans mes souvenirs d’enfant. C’est le troisième en quatre jours. Les deux premiers ont amené avec eux leur lot d’angoisse et de tristesse. Alerte orange grêle. Méteo France a tamponné le grand G sur Cahors cette après-midi. 
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Hier soir, ils n’avaient rien vu venir. La journée avait été chaude et ensoleillée, joyeuse. Nicolas avait remarqué, vers 19h, s’accumuler les cumulonimbus, au loin, du côté d’Agen. Le plateau, à Cahors, a la particularité d’offrir le ciel à celui qui regarde. On voit tous les nuages passer sur la vallée de la Garonne, au-dessus de la Dordogne, filer vers l’Est ou s’accumuler à l’Ouest. Des paysages entiers emplis de nuages. On croirait se noyer dans tous ces horizons. 
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Vers 22h, le ciel se déchirait enfin. Il semblait éclater de tant de lumière. L’enfant en moi se réveillait et je trouvais ça beau. Beau et terrifiant. Puis nous l’avons entendue arriver. La crainte de tous les agriculteurs. Elle prévient avant de frapper, claquant sur la terre, tambourinant sur le sol détrempé. La grêle. Sans pitié. « C’est ça d’être agriculteur, on travaille, on travaille et en un quart d’heure, on a tout perdu » comme dit ma voisine à l’accent d'ici de sa voix chevrotante. 
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Nous n’avons pas tout perdu hier soir, heureusement. Quelques bourgeons se sont volatilisés, ici ou là, arrachés par les noisettes de glace. Ajoutés aux dégâts des escargots, bien nombreux après un hiver si doux, 20 à 30% des petits rameaux ont disparu. Si tôt, la vigne peut encore se remettre…
Mais j’ai surtout perdu mon amour d’enfant et beaucoup de mon insouciance. Et si jusqu’à maintenant je ne réalisais pas encore, je crois bien que j’ai franchi un vrai cap dans notre installation. Hier soir, dans la douleur et l’angoisse, la nuit, à regarder les grêlons tomber du ciel, les prenant, glacés, dans ma main tremblante pour évaluer leur taille, je me suis sentie devenir vigneronne. 
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- Maya - 
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Sortie d'hiver

10/4/2016

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Le bail des vignes signé, fin février, nous avons dû mettre les bouchées doubles. Au fur et à mesure des semaines, nous avons vu les pommiers et les pruniers fleurir, les pâquerettes et les pissenlits apparaître dans les prairies, les hirondelles revenir de migration : le printemps était en avance, et on pouvait l’entendre arriver. Aller dans les vignes pour finir le travail à temps est devenu la priorité absolue.
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Premier travail : la taille. Nous en avons bavé, du moins au début. Il a tout d’abord fallu se rendre compte qu’avec nos sécateurs à main, c’était hyper dur. Certains de nos collègues vignerons ont abandonné leurs sécateurs électrique pour des outils à main japonais, à la qualité de coupe impeccable ; nous aurions bien aimé les imiter. Mais la parcelle que nous reprenons est bien trop vigoureuse, avec des sarments nombreux et de beau calibre. Non seulement les mains souffraient, mais nous n’avancions pas. Au bout de deux semaines, changement de plan. Après avoir écumé le Bon Coin et trouvé la bonne occasion pas trop loin de chez nous, nous étions équipés avec un sécateur électrique chacun, batterie à la ceinture, prêts à dépoter. Le rythme a augmenté d’un coup et nous nous sommes sentis pousser des ailes.
 
Alors que nous passions nos journées à observer les pieds et à tenter, sur chacun, de former la plante selon les principes de la taille Guyot-Poussard, nous avons été heureux de voir se multiplier, sur Internet et dans la presse, les articles consacrés à cette technique, alors qu’ici, les avis étaient plutôt sceptiques. La prise de parole éclairante de Jean-Michel Comme (directeur technique du château Pontet-Canet, à Pauillac) dans le Point, mais aussi celle de Pascal Lecomte dans La Vigne, nous ont fait plaisir, le soir, à l’heure de se masser les mains. Si le sujet vous intéresse, que vous souhaitez mieux comprendre ce qu’on entend par « respect des flux de sèves », nos amis de Dambach-la-Ville, Florian et Mathilde Beck-Hartweg, y ont consacré une vidéo Youtube.
Pied après pied, l’habitude venant, nous nous sommes vu travailler mieux et surtout plus vite. Nous avons taillé le dernier rang à une vitesse tout à fait honorable, dix fois plus rapidement que le premier rang. Nous ne sommes déjà plus des tailleurs débutants.
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La taille est le principal chantier de l'hiver, mais ce n'est pas le dernier. Une fois cela terminé, il faut tirer les bois. Cela consiste à enlever du palissage les branches qui ont été supprimées à la taille, puis à les placer en tas bien compact au milieu du rang pour les broyer un peu plus tard.
 
A ce niveau de l’article, une définition de certains termes techniques s’impose. Pas d’inquiétude, faisons cela en image :
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Le long sarment, c’est la baguette. Les bourgeons qu’elle porte donneront les rameaux sur lesquels pousseront les feuilles et les fruits. C’est elle qui porte la quasi-totalité de la récolte de l’année.
Les deux petits segments, ce sont les coursons. Le premier se trouve juste sous la baguette, l'autre est en haut à droite du pied, juste sous le fil. Les coursons sont peu fructifères, mais ce n’est pas leur fonction première. L’objectif, c’est que les rameaux issus de leurs bourgeons forment les branches gardées à la taille l’an prochain, c'est-à-dire la future baguette… et le futur courson.
 
Dans la taille Guyot classique, il n’y a qu’un courson. Dans la taille Guyot-Poussard, comme sur la photo, on en conserve deux, un de chaque côté du pied, pour justement faire circuler la sève des deux côtés. Si l’on abandonne un côté en supprimant le flux, le bois se nécrose et des champignons s’y développent, pouvant dans le pire des cas tuer le pied.
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Tout ça pour vous parler de l’attachage. Cela consiste à rabattre la baguette sur le fil bas du palissage. Plus la baguette est basse et près du fil, plus les rameaux auront de place pour monter jusqu’en haut du palissage. C’est capital, car pour faire mûrir les raisins, il faut suffisamment de feuillage.
 
Nous avons pu nous rendre compte que le Malbec, à l’attachage, était un cépage plutôt capricieux. Un peu trop de brusquerie et la baguette se rompt. S’il y a quelque chose de contrariant, après avoir taillé soigneusement son pied, c’est bien de casser une baguette. Presque pas de récolte sur le pied, les rameaux des coursons qui vont grossir sans retenue et compliquer la taille de l’année suivante : c’est une catastrophe en miniature à chaque fois que cela arrive. Alors on peste, on se dit qu’on a était trop brutal, qu’il vaudrait mieux attacher sous la pluie, que la baguette était trop grosse... puis on se rappelle que tout le monde casse une baguette de temps en temps. Pour éviter de telles montagnes russes émotionnelles, on plie doucement, en faisant délicatement craquer le bois avec des gestes contrôlés, on ruse, et finalement, on place le lien qui maintient la baguette à sa place. ​
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Alors que nous attachions les derniers rangs, nous avons pu voir la vigne commencer son cycle. Les bourgeons ont gonflé, dévoilant leur bourre cotonneuse, puis ils ont peu à peu éclaté. Aujourd’hui, on commence à voir une ou deux petites feuilles sortir sur les pieds les plus précoces. C’est vraiment une période fascinante qui démarre. Chaque jour, la vigne va montrer un visage légèrement différent de la veille.

Les travaux d’hiver sont maintenant terminés. La saison végétative débute, avec dix jours d’avance sur la moyenne d’après les techniciens du secteur. Les travaux de printemps commencent ; il va falloir protéger les jeunes feuilles et les jeunes rameaux du mildiou et de l’oïdium qui vont bientôt les menacer, canaliser la végétation, nourrir et entretenir les sols... On ne va pas s’ennuyer ;)

Nicolas
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Une étape de plus dans le parcours d'installation

12/3/2016

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Ce n'est pas tout d'avoir des vignes dont il faut prendre soin. A côté continuent les démarches d'installation, l'occasion de rencontrer des futurs collègues agriculteurs et de réfléchir aux différentes formes d'agricultures qui cohabitent aujourd'hui.

​Entre les journées de taille, entre les derniers déballages de carton, j’ai trouvé le moyen de suivre les formations obligatoires de la Chambre d’Agriculture pour s’installer agriculteur en parcours aidé. La réalisation du fameux parcours PPP, le « plan de professionnalisation personnalisé ». Qu’est-ce que c’est ?
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​Le « plan » commence à la Chambre d’Agriculture, par un entretien de préparation présenté ici sur le site des ADEAR. Cet entretien très sérieux, réalisé par la Chambre pour le compte de la Préfecture, a pour but de définir les besoins en formation du futur installé. Il est obligatoire pour s’installer agriculteur avec les aides de l’Union Européenne. Pour rappel (nous en avions parlé ici dans un précédent article), le parcours aidé n’est pas le seul possible. On peut aussi s’installer sans contraintes et sans aides, en allant directement déposer les statuts de son entreprise au centre dédié de la Chambre. Pour bien cadrer le projet et pour ne pas nous passer des aides à l’installation, Maya et moi suivons le parcours aidé.

Mon entretien a eu lieu il y a deux mois, avec trois ingénieurs de la Chambre : une conseillère installation, un conseiller viticole et la conseillère du canton. Pendant une heure et demie, nous avons donc fait le tour de mon projet, de ma formation scolaire et de mes expériences professionnelles, pour identifier mes points forts et mes lacunes. Selon les cas, les conseillers prescrivent des formations, des stages, l’acquisition d’un diplôme, etc. Pour ma part, j’ai eu à effectuer les deux actions minimales : un stage de 4 jours (le « 28 heures ») et un stage d’aide au prévisionnel économique.
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​Pour ces deux stages, j’ai retrouvé une douzaine d’autres candidats à l’installation. Je n’ai pas pu m’empêcher de comparer les profils entre ces futurs agriculteurs, et ceux que j’avais rencontré à l’automne lors des formations de l’ADEAR. Ici, une quasi-totalité d’hommes (tous en fait, sauf une conjointe), et 85% de projets en agriculture conventionnelle. Presque tous sont des fils d’agriculteurs. Beaucoup d’élevage, aucun maraîcher, et bien sûr aucun projet d’agriculture très spécialisée type plantes aromatiques. Des projets traditionnels, pensés pour produire avant tout.
À noter aussi : un quart des stagiaires sont des futurs éleveurs de canards gras, « en intégration » comme on dit dans le milieu agricole, c'est-à-dire que la grande coopérative de la région leur vend des canards prêts à gaver ainsi que de l’aliment, de la farine de maïs. Les éleveurs les gavent pendant douze jours, après quoi le camion de la coopérative vient chercher les canards pour assurer l’abattage, la transformation et la commercialisation. Dans ces projets au sein de la coopérative, les agriculteurs fournissent, en fin de compte, leur force de travail ainsi qu’un bâtiment financé par un crédit.
Les trois jeunes paraissent très heureux de ce schéma d’installation. Quant à la crise de la grippe aviaire, et de la mesure qui impose deux mois de vide sanitaire dans les élevages, ils n’y accordent qu’une importance relative. Eux s’installeront après la mesure. Ils ne doutent pas qu’elle sera efficace et que tout s’arrangera vite.
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​Sans m’en rendre compte, le premier jour, je me fais étiqueter. En présentant mon projet devant le groupe, je ne cache pas les voies que nous comptons emprunter : le bio, la vinification, la commercialisation. Je fais face à quelques questions sceptiques sur la possibilité de produire en bio. À la pause suivante, un stagiaire vient me voir : que je parle de transformer et de vendre lui a paru important ; ne pas seulement produire une matière première, voir l’activité agricole comme le début d’un processus. Lui aussi compte sur le bio, et n’envisage pas sa future production laitière sans transformation fromagère.
Je n’ai pas eu l’impression de tenir un discours militant, mais en quelques mots, je suis devenu « le bio » du groupe. Avec des soutiens, et des contradicteurs, comme un peu plus tard, ce jeune repreneur d’une ferme céréalière qui me fait part de sa méfiance. Le bio l’intéresserait bien, précise-il, mais il reprend :
― « On fait des économies sur les produits phytosanitaires, c’est sûr. Mais reprendre une terre en bio, après, c’est foutu. Les sols sont sales, l’herbe n’arrête pas de pousser. Il faut des années et des années pour récupérer ça ».
C’est, à peu de choses près, le même discours que le bio tiennent à propos de la reprise de terres en conventionnel. Les points de vue sur la question des herbicides sont tellement inconciliables que les discussions ne peuvent pas aller plus loin que les premières phrases. Personnellement, je ne m'y risque pas.
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​Les jours suivants, les intervenants se succèdent pour nous présenter la DDT (l’administration départementale en charge de l’agriculture), la Mutualité Sociale Agricole, la Politique Agricole Commune, le département du Lot, ou pour nous donner des bases juridiques et comptables.
Nous recevons aussi un membre des JA, le syndicat de jeunesse affilié au syndicat agricole majoritaire, la FNSEA. C’est un éleveur laitier, installé depuis 5 ans. À la fois volontaire et désabusé, il résume avec une certaine fierté :
― «  En 5 ans, j’en suis à ma troisième crise du lait. Mais j’ai investi, travaillé dur, et dans le même temps, j’ai réussi à tripler ma production, jusqu’à 500.000 litres de lait par an ».
Je n’aurais pas l’indélicatesse de porter un jugement sur la stratégie individuelle d’un collègue, a fortiori dans une production que je connais mal et dans une filière en crise. Pourtant je me demande comment la filière pourra s'en sortir si chacun, de son côté, choisit d'intensifier et d'augmenter la production. Dans cette tendance de prix tirés vers le bas par une consommation de lait en baisse constante, les plus petits et les moins compétitifs sont condamnés à disparaître. Des fermes lotoises pourront-elles tenir la concurrence avec des fermes bretonnes, beaucoup plus grandes, dans des conditions agroclimatiques plus favorables ? J’ai peur que non. Quant à la solution de transformer et commercialiser, il faudrait faire émerger un marché aux alentours pour les éventuels produits...
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​​En ayant côtoyé deux groupes très différents, je me rends compte que deux tendances se dessinent. D’une part, on voit les petits projets se multiplier : des surfaces réduites de maraîchage en permaculture, des plantes aromatiques, des fermes centrées sur l’accueil de voyageurs ou d’activités pédagogiques, des micro-brasseries, des paysans boulangers, etc. Souvent en bio, portés par des hors-cadres familiaux, ces sont des projets nécessitant des fonds de départ assez faibles.
Dans le même temps, les grandes fermes d’élevage ou de polyculture-élevage, sur 100 hectares ou plus, ne trouvent pas de repreneurs. Les exploitants avancent en âge, sans solution de reprise. Certaines exploitations en profiteront pour s’agrandir, mais leur capacité à être reprises au bout du compte diminue sérieusement, faute de candidats ayant assez de fonds à investir, voire faute de candidats tout court. Alors on pense, forcément, à la déprise agricole, aux prés qui se transformeront en forêts plantées au mieux, en taillis au pire. Ou alors, il faudrait que des investisseurs ou des grands groupes, capables d’investissements, reprennent ces fermes et y placent des salariés, ce qui semble être la fin logique du processus de concentration des exploitations agricoles qui est en cours depuis 40 ans (tous les 10 ans, il y a 30% d’exploitations agricoles en moins).
​C’est dire les espoirs placés par les intervenants successifs sur mes collègues du stage de la Chambre d’Agriculture. 
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​Ces six journées étaient aussi d’intéressantes occasions de remettre sur l’établi notre projet tel qu’il est construit aujourd’hui. Les journées comptables et juridiques, notamment, étaient riches en contenu. C’était aussi un vrai condensé de sujets d’actualités, entre crise de l'élevage, manifestation des éleveurs, boycotts du Salon de l’Agriculture, différends entre les syndicats agricoles et échec du plan Ecophyto.
Tout cela a continué à résonner, dans les jours suivants, dans ma radio, avec un reportage en plusieurs parties par Inès Léraud intitulé Journal Breton, entendu dans l’excellente émission « Les pieds sur terre ». 
L’épisode 4, notamment, m’a paru franchement indispensable pour quiconque s’intéresse au monde agricole et à ses crises actuelles. On y entend les paroles de deux éleveurs, sans commentaire, comme toujours dans l’émission. Le premier a choisi d’investir énormément dans son outil, notamment avec un robot de traite. L’autre a opté, après d’énormes difficultés financières, pour un virage vers l’extensif et la transformation directe. Il ne faut pas le manquer, c'est passionnant et ça dure 30 mn.

​​Retour au concret : à présent, suite à la réalisation de toutes les actions prescrites, mon PPP est officiellement validé par la Préfecture. Je n’ai plus de formations obligatoires à effectuer.
La suite du parcours, c’est d’élaborer un prévisionnel économique complet sur les 4 premières années d’activité de la future entreprise. On verra ça après la taille…

Nicolas
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Déboucher des magnums de crémant en hurlant de joie (ou presque)

27/2/2016

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Tout s’est franchement accéléré depuis le début de 2016.
 
Déjà, il y a eu ce déménagement. Un de plus, et comme d’habitude on se dit qu’on restera dans la nouvelle maison « au moins deux-trois ans ». L’avantage de la location, c’est qu’on peut se contredire rapidement, sans autre conséquence que de se casser le dos en promenant au gré des vents armoires, vins et bouquins. Et de vivre un bon mois au milieu des cartons. 
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À présent, nous voici dans la zone du vignoble, dans un hameau isolé avec de grandes vues sur les bois et les combes à l’entour. D’ailleurs, ce déménagement près du vignoble est tombé à pic...

​La grande nouvelle, c'est que depuis une dizaine de jours, nous avons des vignes à travailler ! DES VIGNES !

​Alors oui, c’est une petite parcelle, un petit peu moins qu’un hectare, mais voilà : c’est parti ! C’est ce que nous travaillerons en 2016, en attendant plus, peut-être, pour 2017. Nous accompagnerons ces vignes à travers toute la saison pour récolter et vinifier en octobre.
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C’est une location (un fermage) conclue avec la personne qui les travaillait jusqu’ici. Tout s’est mis en place lentement : des mois pour se connaître, pour se mettre d’accord et pour enfin signer. C’est peut-être pour cela que nous n’avons pas subitement sauté au plafond, ni débouché des magnums de crémant en hurlant de joie. Mais n’empêche, nous sommes vraiment heureux. 
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Il faut toujours un paragraphe administratif dans une histoire agricole. Je suis désolé, c’est maintenant ; pour les phobiques, rendez-vous dans une dizaine de lignes... Pour pouvoir louer, nous avons eu la chance d’être exempté de l’Autorisation d’Exploiter. Je m’explique : généralement, pour travailler une nouvelle terre, il faut y être autorisé par la préfecture, via les services de la DDT et, parfois après passage devant une commission, la CDOA. Devant celle-ci, les voisins agriculteurs peuvent déposer une candidature pour travailleur eux-mêmes les terres en questions. Pour nous, toutes les conditions étaient remplies pour sauter cette étape : avoir un diplôme, ne pas démanteler une exploitation, être en installation progressive, ne pas être éloigné du siège d’exploitation, bref, respecter le Schéma Départemental Des Structures Agricoles (si ça vous passionne, vous trouverez ici un exemple, celui du Cher). Obtenir cette autorisation est une démarche plutôt simple mais qui prend tout de même deux à trois mois. En n’ayant pas eu à l’effectuer, nous avons pu nous mettre directement au travail.
 
Donc, enfin, nous y sommes. Dans les vignes. Dans nos vignes ? On n'ose même pas encore l'écrire. C’est incroyable de l’avoir pensé, espéré, préparé, et de voir tout cela devenir très concret.
Nous nous levons tôt le matin pour aller tailler, tous les jours où c’est possible. C’est que le temps presse : nous avons un mois pour tout finir avant le débourrement (l’éclosion des bourgeons).
Pour le moment, nous n’allons pas très vite. Nous avons des sécateurs manuels, dotés d’excellentes lames, mais qui demandent une certaine force. Pour nous muscler progressivement, sans accroc, nous tirons les bois à chaque pied taillé, c'est-à-dire que nous enlevons du palissage les sarments éliminés à la taille. Le rythme est plus lent, mais les mouvements plus variés.
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Nous avons aussi commencé à tailler en Guyot-Poussard, une variante de la taille en Guyot, dont le but est de maintenir des flux de sève réguliers. Supposément, cela diminue la mortalité des pieds, et équilibre mieux la plante. Nous en parlerons probablement dans un prochain billet, peut-être l'hiver prochain, après une première comparaison avec les rangs que nous taillerons en Guyot classique.
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Tailler est un exercice très stimulant ; nous finissons les journées aussi fatigués des mains et du dos que de la tête. En réalité, l’acte de tailler se fait en projetant le développement de la végétation pendant l’année, la répartition des grappes et leur nombre, et aussi en mettant en place la taille de l’année d’après. Tout un programme ! Les bons tailleurs le font machinalement. Encore quelques hectares, quelques ampoules, et on y sera peut-être.
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Nous nous installons dans une douce routine : partir tôt, se couvrir contre le froid, parfois contre la pluie. Finir un rang. Prendre un thé chaud dans la voiture. S'appliquer à ranger les sarments coupés au milieu du rang. Discuter quelques minutes avec le voisin, ou le propriétaire des vignes, le temps de recevoir un conseil, un commentaire. Étirer son dos. Être fier de la taille d’un pied en particulier, puis pester le pied suivant contre la disposition pas du tout commode des bourgeons. S’apercevoir qu’il commence à être tard, que la lumière est basse. Rentrer fourbus, et pour clore la journée, affûter la lame de son sécateur pour le lendemain.
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Millésime bio côté off #2

13/2/2016

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Second billet consacré aux salons de Montpellier fin janvier, après celui de Maya ici-même.
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​A côté de Rimini, même Palavas a l’air sexy, chantaient les Wampas. Y avaient-il été un lundi matin pluvieux de janvier, en étant sorti la veille au soir ? On ne le saura jamais. Nous, en tout cas, c’est ce que nous avons fait. Nous ne l’avons pas regretté.
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photo wikimedia (licence CC)
Nous arrivons au phare de Palavas de bonne heure, en même temps que les exposants les plus à la traîne. Le salon Biotop, un autre off de Millésime Bio, se tient au dernier étage dans une salle circulaire, avec vue panoramique sur la ville, les étangs et la Méditerranée. Un bel endroit, où l’on se sent immédiatement bien.

Une cinquantaine de vignerons sont présents sur ce salon. Nous commençons par déguster chez les deux alsaciens, avec qui Maya travaillait occasionnellement.
Chez Brigitte et Vincent Fleith tout d’abord, avec leurs vins fluides et précis, cultivés tout près de Kayserberg où nous vivions l’année dernière. Sur des terroirs alluvionnaires, les Fleith sortent des vins d’une minéralité cristalline, quasi saline, qu’on pourrait à tort attribuer à un sous-sol granitique, fruit d’un travail pointu et maitrisé dans les vignes.
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Ensuite chez Jean-Pierre et Chantal Frick, dont le travail a toujours une dimension pédagogique : certaines cuvées sont mises en bouteilles en deux versions, l’une non-filtrée et sans soufre, l’autre filtrée grossièrement avec un gramme. Ce n’est pas la première fois que nous faisons l’exercice, mais il est toujours passionnant. Les dégustations à l’aveugle de ces vins permettent de mieux comprendre l’apport du soufre dans la dégustation : les vins soufrés sont plus droits, avec une finale plus dure, alors que les vins non sulfités sont dans une attaque plus large et plus charmeuse, avec une finale parfois fondue, parfois fuyante. Ce travail, poursuivi depuis des années et des années, est une grande richesse pour les Frick qui connaissent maintenant avec précision quels vins de leur gamme « demandent » un sulfitage. Il est aussi  intéressant pour l’ensemble des professionnels qui s’intéressent à la question du soufre et de son impact sur l’aromatique comme sur la bouche.
Au-delà de ces vins, nous dégustons leurs excellents sylvaners, des pinots noirs magnifiques, et enfin un pinot gris macéré issu d’un grand terroir, à la robe rose, avec un grain tannique délicat et rafraichissant, et une longueur hors du commun. Un nectar atypique, qui fera immanquablement parler, et qui réjouira les amateurs. Le vin était tiré du fût. S’il était à la vente, j’en aurais acheté immédiatement une caisse.
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Je retrouve au coin d’une table une vieille connaissance, Pablo Höcht, que j’avais rencontré un soir d’Oenopiades, voici déjà 8 ans. En vidant quelques verres, nous avions parlé d’installation en viticulture. Pour moi c’était déjà un rêve. Pour Pablo, c’était les premiers pas : il venait de trouver quelques ares près de chez lui, en Côtes-du-rhône méridionales, sur le Plan-de-Dieu si je me souviens bien. Le croiser aujourd’hui du côté des exposants permet de connaître la suite. Il s’est installé petit à petit, sur le temps libre laissé par son emploi salarié, avec un premier vrai millésime en 2010. Aujourd’hui le voilà travaillant 4,5 hectares, avec des parcelles sur Séguret et sur Sablet. Il a donné à son domaine le joli nom de Crève Coeur (site). Des vins chauds, grenus, avec des notes de garrigue et de cacao, qui racontent sans faux-semblant le lieu qui les a vus grandir et mûrir. On s’échange quelques conseils sur la façon de lancer une activité, et aussi des vœux de bonne chance et de réussite. Pablo y croit dur comme fer, nous aussi, l’échange se termine en nous laissant une pêche d’enfer.
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Evidemment, nous passons une bonne partie de la journée avec notre amie Emmanuelle, du domaine Milan, qui présente aussi ses vins. En dégustant leurs vins au milieu des autres, je prends conscience de la finesse qui s’en dégage. Les grenaches prennent des allures de pinot noir, les tanins sont tout en dentelle. « La signature des expositions Nord, typique de notre domaine », commente Emmanuelle. « C’est important dans nos régions de pouvoir avoir de la fraîcheur dans la maturité ». Emmanuelle nous présente à tout le monde, confrères vignerons ou visiteurs professionnels, avec enjouement et générosité.
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​J’aimerais parler de tous les vins qu’on a dégustés, de toutes les discussions qu’on a eues, mais vous y passeriez la journée. Je suis cependant obligé de mentionner les chablis d’Athénaïs de Béru, exprimant chacun de façon cristalline leur terroir particulier ; les chenins sur schistes du domaine de Juchepie, avec des liquoreux tantôt issus du botrytis, tantôt issus du passerillage, avec un profil tout à fait différent ; les bourgognes classieux d’Emmanuel Giboulot, bâtis sur une acidité traçante, qui méritent des conditions plus favorables que ce marathon de la dégustation ; et enfin, les vins des Closeries des Moussis.

​Les Closeries des Moussis est un petit domaine de Margaux, où Pascale Choime et Laurence Alias conduisent depuis 2009 un travail artisanal dans des parcelles travaillées au cheval, et vinifient dans un chai minuscule. Leur Baragane, issu d’une parcelle pré-phylloxérique, est franchement éblouissant. La discussion sur l’installation est forcément trop courte, mais Pascale nous invite à leur rendre visite un jour, dans le Médoc. Leur travail est franchement inspirant, nous honorerons certainement l’offre.
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La journée est en train de filer à grande vitesse. Pourtant nous devons partir, ce que nous faisons avec un petit regret tant l’on a apprécié ce salon, où les vignerons nous ont paru vraiment disponibles.

​Direction un autre salon, De chemins en piste, tout près de l’aéroport, au rez-de-chaussée d’un hôtel. C’est un salon beaucoup plus intime, plus feutré, avec moins de monde mais une proximité évidente entre les vignerons et les visiteurs.
 
Notre ami Arnaud Geschickt est là, pour présenter les vins du domaine familial, situé à Ammerschwihr. Le pétillant naturel de muscat enclenche la discussion, puis nous dégustons un crémant blanc encore sur lattes, très réussi. Personnellement, j’apprécie particulièrement leur « 6 pieds sur terre », un vin issu d’un assemblage au pressoir des trois pinots alsaciens, de riesling, de muscat et de gewurzt, à parts égales. L’équilibre est parfait, l’aromatique subtile, l’élevage sur lies prolongé a donné beaucoup de matière. Un vin racé, personnel, aussi élégant que réjouissant.
 
 
Encore quelques échanges, quelques dégustations, notamment avec Vincent Bonnal du domaine de Pélissols (auquel La Pinardothek a consacré un très bon article ici), et la journée s’achève.
​Il est temps, car la bouche fatigue, et nous arrivons de moins en moins à sentir les singularités. 
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Le soir, nous filons au salon « le vin de mes amis », au domaine de Verchant. Nous y retrouvons Fabien Jouves, notre copain vigneron de Cahors, chez qui nous avons travaillé cette année, et qui nous a invités à venir à cette soirée.
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Le champagne Jacquesson et le crémant de Limoux du domaine des Hautes Terres coulent à flots dès l’apéro. Le reste de la soirée se passe à table. Franck Putelat, le chef étoilé de Carcassonne, est en cuisine. Il a concocté des plats fins et originaux, comme une tranche de foie gras poêlé servie en entrée sur un lit de bouillabaisse. Les vignerons présents versent leurs vins à l’entour aux cavistes, importateurs et confrères qui tendent leurs verres. La cuisine est soignée et fine, le service discret et efficace. Tout le monde passe un excellent moment. On se relâche, on crée du lien, le plaisir et l’échange prennent le pas sur le travail.

​La salle se transforme ensuite en dancefloor, on finit la nuit en éclusant du sydre d’Eric Bordelet pour les plus sages, de grandes goulées d’Armagnac pour les autres. C’est la fin des salons et des offs pour nous. Nous rentrons à pied, au bout de la nuit, trouver un repos bien mérité. 

Nicolas
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À Dambach, chez Florian et Mathilde

3/2/2016

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Au début du mois de janvier, nous avons profité de notre court séjour en Alsace pour rendre visite à Florian et Mathilde Beck-Hartweg, à Dambach-la-Ville. Nous les avions côtoyés lorsque nous étions en Alsace, et goûté à l'occasion leur excellent Pinot noir. Depuis, nous suivons assidûment le Facebook de Florian, qui poste régulièrement un compte-rendu de son travail et de ses innovations.
Ce couple de vignerons poursuit le travail des parents de Florian, notamment la tenue de vignes en agriculture biologique, avec un soin soutenu et ininterrompu pour leurs sols viticoles.
Dans ce sens, le travail de Florian et Mathilde s'inscrit dans le concept d'agriculture de conservation, soit "l'ensemble de techniques culturales destinées à maintenir et améliorer le potentiel agronomique des sols, tout en conservant une production régulière et performante sur les plans technique et économique", d'après mon ami Wikipedia, qui ajoute : "ce système s'inspire des systèmes forestiers : les racines maintiennent les sols en place, le taux de matières organiques est très élevé et le sol n'est jamais découvert".

Ce genre de système de culture a beaucoup de sens dans un contexte de réchauffement climatique. Lors d'une journée d'été ensoleillée, comme il s'en produit souvent, la température à la surface d'un sol nu peut dépasser 40°, entraînant des dégâts sévères sur la vie biologique du sol. Sur un sol couvert, la température reste modérée, parfois plus basse que la température de l'air *.
​De plus, les sols contenant beaucoup d'humus peuvent stocker l'eau bien davantage que la normale : c'est capital en cas de fortes pluies (moins d'érosion) ou de sécheresse prolongée (le sol s'assèche moins vite). Enfin, du point de vue de la nutrition minérale de la vigne, l'humus est généralement plus performant que des systèmes dépendant des intrants.  
Nous sommes donc allés voir dans les vignes de Florian et Mathilde comment cela se passait concrètement. 
Un des problèmes à résoudre, en viticulture, c'est l'entretien du couvert végétal -- de l'herbe, quoi -- qui peut représenter une concurrence du point de vue de l'eau et des minéraux. 
Les stratégies d'entretien varient selon les viticulteurs et le contexte : désherbage chimique, enherbement total avec tonte, travail du sol sur tous les rangs, alternance un rang fauché/un rang travaillé, etc.
Florian, lui, a mis un place un système où les rangs sont enherbés mais pas fauchés. Pour éviter la repousse (le regain, comme disent les éleveurs qui fauchent également, mais pour maximiser la production d'herbe), le couvert est roulé. Les tiges, pincées, ne permettent plus la croissance de la plante couchée qui reste en place et crée, au bout d'un moment, un paillage. 
Le couvert est souvent constitué de végétaux indigènes, "pour la biodiversité, et aussi parce qu'ils sont adaptés au conditions locales". Lorsqu'il y a semis, c'est avant la plantation de la parcelle, avec un mélange de légumineuses, de graminées et autres. 
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Pendant l'après-midi, nous parlons de tracteurs, d'outils combinés et de diverses techniques destinées à minimiser le nombre de passage, et donc le tassement des sols :  des informations qui nous intéressent vivement, mais dont je vous fais grâce ;)

Le résultat de ces techniques ? Le plus visible, à l’œil nu, c'est la véritable création d'un sol. Sur les parcelles dans le Frankstein (un grand cru sur granite), une épaisse couche de terre noire, à l'odeur de sol de forêt, recouvre les cailloux de granite. On ne voit pas la roche. Florian explique qu'il a littéralement créé du sol. Un piégeage de carbone atmosphérique qui se calcule en tonnes, ajoute-il. La vigne n'est pas vigoureuse, mais pas faible pour autant. 
La tournée des parcelles se poursuit sur une autre colline, où sera réalisée une plantation. Pour l'instant, c'est un engrais vert qui recouvre le sol. Leur chat des vignes, Tigerle, monte aux poteaux, sans doute pour admirer la magnifique vue sur Dambach... ou bien pour qu'on l'admire lui, sa tête de chat fier et son royaume de plusieurs hectares peuplés de mulots et de lézards. Florian et Mathilde nous montrent un muret de pierres sèches qu'ils ont construit pour stabiliser une de leur parcelles, à partir de pierres récupérées dans la forêt voisine. 
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La visite se termine en cave, par une dégustation des 2015. Certains fermentent encore doucement dans leurs foudres en bois, en levures indigènes. Certaines cuvées sont sans soufre (et le resteront), les autres, notamment les vins demi-secs, sont préservées de la refermentation par un sulfitage minimal et adapté.
Les matières sont impressionnantes, le style affirmé. Les vins secs, sans doute en raison des fermentations de plusieurs mois qui créent comme un batonnage permanent des lies fines, ont une attaque en bouche tout en gras, et se prolongent longtemps grâce à une acidité grenue et poudrée, signature des terroirs de granite.
Un vin comme "Tout naturellement" présente tellement de sapidité en bouche qu'on trouve facilement le fameux goût d'umami, la 5ème saveur décrite par les japonais à côté de l'acide, de l'amer, du salé et du sucré. Evidemment, il fait un tabac au Japon.
D'autres vins sont plus classiques, mais non moins savoureux. Leurs pinots noirs, notamment, sont des vins qui me plaisent énormément grâce à leurs nombreux niveaux d'appréciation : un charme immédiat à la première gorgée, de la profondeur sur les suivantes, un renouvellement du plaisir de la table ensuite, et j'en passe.

​J'arrête là le billet : c'était une visite extrêmement intéressante, avec beaucoup d'idées qui viendront nourrir le système de culture que nous allons mettre en place, petit à petit, dans nos futures vignes. Nous gardons évidemment en tête que nous avons vu un système à l'équilibre, fruit d'une dizaine d'années de travail par Mathilde, Florian et ses parents.
Pour en arriver même stade, sur nos propres parcelles, avec un schéma qui marche pour nous, il faudra réfléchir, observer, essayer, se planter, essayer à nouveau. Et continuer à échanger avec les collègues, en Alsace ou dans la région, vignerons ou cultivateurs. 

Nicolas

* : à propos des températures du sol en fonction du couvert, Florian a fait les mesures suivantes un jour à 34°C, à une profondeur de 5 cm :
- sol 
nu (labouré ou désherbé) : 41 °C
- herbe fauchée à ras : 35 °C
- herbe non fauchée : 28 °C
- herbe roulée : 23 °C 

Toutes les photos sont de Nicolas et Maya, sauf la photo de "Tout naturellement", issue du site web de Florian et Mathilde Beck-Hartweg, et celle du chat, prise par Mathilde.
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Millésime Bio côté off #1

29/1/2016

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Ouf! C'est fini. Après avoir parcouru la France de long en large en décembre et janvier, nous nous posons enfin... avant notre déménagement, la semaine prochaine!

Le projet prend forme pendant que vous vous demandez tous ce qu'il nous arrive, puisque les billets se font rares. Pendant nos vadrouilles, nous avons recueilli une foule d'informations que nous laissons doucement décanter. Nous avons entre nous de longues discussions passionnées, nous nous interrogeons sur tout et nous bombardons de questions tous les vignerons, anciens ou nouvellement installés, que nous rencontrons.
​
Et des vignerons, nous en avons rencontré beaucoup ce week-end, à Montpellier. Nous avons profité du salon Millésime Bio pour revoir nos amis et goûter plein de vins. Ce salon, qui se tient à Montpellier tous les ans, a connu un succès fulgurant ces dernières années : créé en 1993, il compte aujourd'hui pas moins de 800 exposants ! Dans le sillage de l'évènement, des salons "offs" fleurissent un peu partout (voir cet article).
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Ces offs, nous les avons pratiquement tous visités, à tel point que nous ne sommes même pas allés au salon officiel. Je n'en suis pas vraiment fière, car ces offs n'existeraient pas sans tout le travail et les efforts de Millésime Bio. Mais notre calendrier était ainsi fait, nous ne restions pas longtemps, alors nous avons privilégié nos amis, qui nous avaient chaleureusement invités à venir les voir sur leurs stands. 
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Le premier jour, nous avons commencé notre tour par "les Affranchis", un salon affiché "vin nature". Ce sont des vins qui font débat au sein de la communauté des buveurs et des professionnels, et qui pourraient faire l'objet d'un billet entier. Pour faire simple, ils ne contiennent que du raisin - car oui, le vin peut comporter autre chose que du raisin - et des doses de sulfites nulles ou extrêmement faibles. Ce que l'on reproche aux vignerons, c'est justement de choisir de se passer de ce conservateur, ce qui génère parfois des vins à défauts.
Pas de ça pour moi : je n'ai rien goûté qui ait heurté mon palais d'oenologue. Peut-être certains auraient-ils tiqué sur certaines acidités volatiles élevées, ou quelques réductions passagères, mais les vins en question avaient une telle profondeur et une telle personnalité, qu'ils les supportaient avec un charme désarmant. Je n'ai évidemment pas tout goûté...
Côté salon, une chouette ambiance, beaucoup de monde sous la tente blanche, des vignerons qui restaient disponibles, accueillants et prenaient le temps d'expliquer leurs vins et leurs idées. Un foodtruck à l'entrée, un peu hipster et servant des pois gourmands en janvier, mais qui nous a bien dépannés à l'heure de partager un repas avec Christian Binner, Hubert et Heidi Hausser ainsi que Patrick Rols. 

J'ai eu un gros coup de coeur pour Tenuta Grillo avec Guido Zampaglione qui nous présentait des vins de 2006, 2005 et 2004 d'une grande finesse. Nous avons aussi fait une jolie pause du côté de l'Autriche, avec les blancs macérés d'Ewald Tscheppe et sa bouteille en terre cuite. Puis nous avons longuement discuté biodynamie avec Stefano Amerighi qui revient aux bases de cette philosophie avec des vaches, des fruitiers, des légumes en plus des vignes.
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Nous avons ensuite eu le plaisir de faire un tour au "Vin de mes Amis", salon au succès évident. Ambiance un peu plus chic, dans cet évènement créé en 2004 par Charlotte Sénat, vigneronne. Le lieu y est pour quelque chose : le domaine de Vérchant, hotel 5 étoiles, charme immédiatement les visiteurs. Nous sommes un peu fatigués, la foule est dense et les vignerons très nombreux.
Je suis contente de revoir Mathias Marquet (Château Lestignac), de redécouvrir ses vins qui gagnent en finesse chaque année et d'admirer ses superbes étiquettes.  Je craque ensuite pour les délicieux jurançons du domaine Camin Larredya : les secs sont précis, l'équilibre des moelleux parfait. Jean-Marc Grussaute est, de plus, un vigneron passionnant avec qui j'ai pu parler de levains indigènes. Vous savez déjà que c'est ma grande passion...
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A la fin, notre langue et notre palais fatiguent. J'ai perdu l'habitude de ces journées dégustation-marathon. Quand les vins ne nous parlent plus, il est temps d'arrêter. Nous dinons en ville avant d'aller à la soirée des "Vignerons de l'Irréel" qui annonçait sur les réseaux sociaux concerts et fiesta jusqu'au petit matin. Il est à peine minuit, il y a des bouteilles ouvertes partout dans la salle, des gens qui dansent et de la Cantillon à la pression en libre service. La journée a été longue...

​A suivre.
​ - Maya - 
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