Il y a un peu plus d'un siècle, les vignes européennes ne connaissaient pas encore la plupart des maux qu’elles subissent aujourd’hui.
À la fin du XIXème siècle, des plants de vigne sont importés depuis les Etats-Unis jusqu’en Angleterre, puis en Europe continentale. Avec ces mouvements de matériel végétal arrivent des ravageurs et des maladies jusqu’ici inconnus. C’est l’oïdium qui débarque en premier en 1845, puis le phylloxera en 1863, et enfin le mildiou en 1878.
Le phylloxera est particulièrement dévastateur. En effet, ce petit puceron s’attaque aux racines des vignes et les fait mourir. Le fléau se propage à grande vitesse en France et, autour de 1880, à peine un quart de la surface viticole française subsiste encore. De nombreux vignobles sont définitivement perdus. C’est le cas dans le Périgord Noir, où le tabac remplace la vigne et seuls quelques noms de lieux-dits évoquent encore cette période révolue.
Tous cherchent une solution. Les seules vignes qui survivent sont celles qui poussent dans des sols sableux. Certains vignerons parviennent à sauver leurs parcelles en les inondant pendant l’hiver, le puceron détestant l'eau. D’autres injectent différents produits dans les sols, mais sans succès. La réponse viendra finalement du même lieu que le problème, car aux USA, les cousines de nos Vitis vinifera européennes vivent parfaitement bien avec le petit insecte.
Malheureusement ce n’est pas une solution durable. Les fruits des vignes d’outre-Atlantique sont de bien moins bonne qualité que les européennes… Sans parler de la perte de siècles de sélection, qui avait abouti à l’obtention de cépages adaptés à leur terroir. En effet, qui imagine la Bourgogne sans Pinot noir ou l’Alsace sans Riesling ?
À Montpellier et dans le Beaujolais, d’autres agronomes explorent la greffe des vignes européennes sur des « américains ». Les résultats sont très bons et la technique se développe. Les porte-greffes sont eux-mêmes sélectionnés ou croisés pour obtenir certaines qualités : résistance au calcaire, production accrue…
La plupart des vignerons, pour établir une nouvelle parcelle, utilisent des vignes déjà greffées par un pépiniériste. Mais Vince, lui, a fait un choix différent. Retournons donc à ce mercredi de la fin mars.
Vince et Valentin se sont installés il y a peu et nous donnent de nombreux conseils pendant le repas, avec deux ou trois années de recul. Ces moments d’échange sont vraiment précieux. Nous nous sentons parfois un peu seuls, dans nos parcelles face à nos pieds de vigne, le partage d’expérience (et de bouteilles !) est fondamental.
Le lendemain nous rejoignons les vignes vers 8h00 après une courte nuit, bien emmitouflés car le vent passe se rafraîchir sur les neiges de la chaîne des Puy avant de venir siffler dans nos oreilles.
Les plants ont été expédiés par fagots de 500 avec leurs racines nues. Nicolas les recoupe d’abord à deux ou trois centimètres pour assurer la reprise dans leur nouvel environnement. Nous sommes surpris : pas de cire rouge sur les plants, donc pas de point de greffe. C’est là toute l’originalité de Vince, il plante d’abord ses porte-greffe (les vignes américaines) avant de venir surgreffer avec des européennes quelques années plus tard. C’est un travail qui se fait à la main, on fait une encoche dans le jeune tronc puis on y glisse un bourgeon de Vitis vinifera. Les ceps greffés ainsi, à la parcelle, sont réputés plus durables, développant moins de maladies au fil du temps. Les jeunes plants non greffés sont également plus résistants, surtout vis à vis de la sècheresse ; il y a moins de mortalité les premières années.
C’est agréable de travailler à plusieurs : on parle, on blague et, de temps en temps, on ne dit rien, on se concentre sur le travail qui est parfois ardu dans les argiles d’Auvergne.
Tout le monde se dit au-revoir, nous sommes pressés de revoir nos vignes, Valentin aussi ; avec le printemps précoce, il y a encore plein de travail à abattre avant le débourrement des bourgeons.