Ce couple de vignerons poursuit le travail des parents de Florian, notamment la tenue de vignes en agriculture biologique, avec un soin soutenu et ininterrompu pour leurs sols viticoles.
Dans ce sens, le travail de Florian et Mathilde s'inscrit dans le concept d'agriculture de conservation, soit "l'ensemble de techniques culturales destinées à maintenir et améliorer le potentiel agronomique des sols, tout en conservant une production régulière et performante sur les plans technique et économique", d'après mon ami Wikipedia, qui ajoute : "ce système s'inspire des systèmes forestiers : les racines maintiennent les sols en place, le taux de matières organiques est très élevé et le sol n'est jamais découvert".
Ce genre de système de culture a beaucoup de sens dans un contexte de réchauffement climatique. Lors d'une journée d'été ensoleillée, comme il s'en produit souvent, la température à la surface d'un sol nu peut dépasser 40°, entraînant des dégâts sévères sur la vie biologique du sol. Sur un sol couvert, la température reste modérée, parfois plus basse que la température de l'air *.
De plus, les sols contenant beaucoup d'humus peuvent stocker l'eau bien davantage que la normale : c'est capital en cas de fortes pluies (moins d'érosion) ou de sécheresse prolongée (le sol s'assèche moins vite). Enfin, du point de vue de la nutrition minérale de la vigne, l'humus est généralement plus performant que des systèmes dépendant des intrants.
Nous sommes donc allés voir dans les vignes de Florian et Mathilde comment cela se passait concrètement.
Les stratégies d'entretien varient selon les viticulteurs et le contexte : désherbage chimique, enherbement total avec tonte, travail du sol sur tous les rangs, alternance un rang fauché/un rang travaillé, etc.
Florian, lui, a mis un place un système où les rangs sont enherbés mais pas fauchés. Pour éviter la repousse (le regain, comme disent les éleveurs qui fauchent également, mais pour maximiser la production d'herbe), le couvert est roulé. Les tiges, pincées, ne permettent plus la croissance de la plante couchée qui reste en place et crée, au bout d'un moment, un paillage.
Le couvert est souvent constitué de végétaux indigènes, "pour la biodiversité, et aussi parce qu'ils sont adaptés au conditions locales". Lorsqu'il y a semis, c'est avant la plantation de la parcelle, avec un mélange de légumineuses, de graminées et autres.
Le résultat de ces techniques ? Le plus visible, à l’œil nu, c'est la véritable création d'un sol. Sur les parcelles dans le Frankstein (un grand cru sur granite), une épaisse couche de terre noire, à l'odeur de sol de forêt, recouvre les cailloux de granite. On ne voit pas la roche. Florian explique qu'il a littéralement créé du sol. Un piégeage de carbone atmosphérique qui se calcule en tonnes, ajoute-il. La vigne n'est pas vigoureuse, mais pas faible pour autant.
Les matières sont impressionnantes, le style affirmé. Les vins secs, sans doute en raison des fermentations de plusieurs mois qui créent comme un batonnage permanent des lies fines, ont une attaque en bouche tout en gras, et se prolongent longtemps grâce à une acidité grenue et poudrée, signature des terroirs de granite.
Un vin comme "Tout naturellement" présente tellement de sapidité en bouche qu'on trouve facilement le fameux goût d'umami, la 5ème saveur décrite par les japonais à côté de l'acide, de l'amer, du salé et du sucré. Evidemment, il fait un tabac au Japon.
D'autres vins sont plus classiques, mais non moins savoureux. Leurs pinots noirs, notamment, sont des vins qui me plaisent énormément grâce à leurs nombreux niveaux d'appréciation : un charme immédiat à la première gorgée, de la profondeur sur les suivantes, un renouvellement du plaisir de la table ensuite, et j'en passe.
J'arrête là le billet : c'était une visite extrêmement intéressante, avec beaucoup d'idées qui viendront nourrir le système de culture que nous allons mettre en place, petit à petit, dans nos futures vignes. Nous gardons évidemment en tête que nous avons vu un système à l'équilibre, fruit d'une dizaine d'années de travail par Mathilde, Florian et ses parents.
Pour en arriver même stade, sur nos propres parcelles, avec un schéma qui marche pour nous, il faudra réfléchir, observer, essayer, se planter, essayer à nouveau. Et continuer à échanger avec les collègues, en Alsace ou dans la région, vignerons ou cultivateurs.
Nicolas
* : à propos des températures du sol en fonction du couvert, Florian a fait les mesures suivantes un jour à 34°C, à une profondeur de 5 cm :
- sol nu (labouré ou désherbé) : 41 °C
- herbe fauchée à ras : 35 °C
- herbe non fauchée : 28 °C
- herbe roulée : 23 °C
Toutes les photos sont de Nicolas et Maya, sauf la photo de "Tout naturellement", issue du site web de Florian et Mathilde Beck-Hartweg, et celle du chat, prise par Mathilde.