Lorsque la dernière caisse de raisin est vidée, lorsque la dernière cuve est pressée et que le vin se prépare au calme de l’hiver, lorsque le vigneron aux mains tâchées sort le bout de son nez, la nature lui sort le grand jeu : les paysages flamboient de rouge et de jaunes, les derniers crocus tapissent les allées et le soleil baigne le Lot de sa lumière dorée. Avant que vienne novembre.
Quand je suis rentrée en France après mes enfances tropicales, j’ai découvert avec angoisse l’alternance des saisons. Et j’ai détesté l’hiver pendant dix ans. Quand on vit en ville, on subit le climat, on subit les températures, on subit la pluie. On ne voit rien des subtils changements de la nature et de la lumière. Le déroulement des saisons me faisait juste prendre conscience du temps qui passe. A peine les jours ont-ils fini de rallonger qu’ils diminuent à nouveau. C’était une prise de conscience terrible pour la jeune fille que j’étais, habituée aux jours immobiles, au printemps éternel des montagnes du Mexique. Depuis que je vis dehors, au milieu de ma campagne Lotoise, que je dépends de la nature pour vivre, j’ai découvert avec émerveillement que chaque saison a un sens, une raison d’être, une beauté propre. Et je me suis mise à les aimer toutes. Le printemps reste un moment magique. Il apporte joie et vie. La nature renaît, et même si c’est complétement attendu de l’écrire, ça n’en est pas moins vrai. On découvre l’alternance des couleurs, les fleurs blanches, puis jaunes, puis violettes noyées dans un millier de verts. Les feuilles sont tendres, les oiseaux reviennent, les insectes aussi. La vigne pousse, le cycle recommence, il faut travailler dur et longtemps sous un soleil déjà chaud. On la voit croître à vue d’œil et soudain elle fleurit, et soudain c’est l’été. L’été. Auparavant, c’était ma saison préférée : celle des grandes vacances, de l’insouciance, des longues soirées sous les loupiottes du mûrier, de la chaleur et de la piscine des copains. L’année dernière, l’été m’a fait souffrir. Les jours longs, combinés à la chaleur et la sécheresse nous épuisaient. Il fallait se lever avant le soleil, pour travailler à la fraîche, puis reprendre le soir, quand les températures s’étaient enfin adoucies. Tout avait soif, les vignes, le potager, le jardin et même les arbres. Mais c’était aussi le temps des amis, des tomates et des baignades dans le Lot. Le temps du vent dans les arbres, du souffle doux qui agite les feuilles où clignotent les étoiles. Les raisins se sont colorés puis ont mûri. Est arrivée l’heure de la récolte. Les vendanges, l’automne, les mûres, les figues et les doigts qui collent. Quelle saison de joie pour les vignerons ! Les raisins sont enfin en cave et nous pouvons souffler. Enfin, c’est ce que je croyais. Plus de risque de grêle, de drosophiles ou de mildiou foudroyant, mais le doute : le vin sera-t-il bon ? En attendant il faut le faire, le bichonner, le protéger. C’est le temps de l’intérieur, les vignerons sont dans le chai. Lorsque la dernière caisse de raisin est vidée, lorsque la dernière cuve est pressée et que le vin se prépare au calme de l’hiver, lorsque le vigneron aux mains tâchées sort le bout de son nez, la nature lui sort le grand jeu : les paysages flamboient de rouge et de jaunes, les derniers crocus tapissent les allées et le soleil baigne le Lot de sa lumière dorée. Avant que vienne novembre. Novembre ? Novembre ce n’est pas une saison, me direz-vous. Oui mais voilà, novembre c’est la transition. Les feuilles sont tombées, les sols sont chauds et l’air devient froid, tout n’est plus que nuances de gris, englouti dans le brouillard. La nuit tombe tôt. Novembre est triste. Il est temps de se reposer et la nature sait bien faire passer son message. Nous nous préparons pour le nouveau millésime, car il commence l’hiver. Ma nouvelle saison de joie : l’hiver. C’est la taille. C’est génial, la taille. Nous décidons de l’année qui vient, nous choyons chacun de nos ceps, nous leur souhaitons une vie longue et fructueuse, ils nous le rendent si bien. Nous sommes dehors et je redécouvre la beauté insoupçonnée du froid. Emmitouflée dans mes milles et une couches, j’ouvre des yeux émerveillés. Et pourtant, je ne vois pas l’hiver passer. Les cheminées qui fument au fond de la vallée glacée, le chevreuil qui s’échappe dans le paysage blanc, le soleil du matin au-dessus de la mer de nuages, le soleil du soir qui fait flamboyer les Pyrénées. Mais l’hiver, surtout, c’est l’occasion de voir les amis, d’ouvrir de bonnes bouteilles et de se réunir autour de la chaleur du feu. Les jours sont courts et les soirées longues. Mais tout a une fin, bientôt les jours rallongent et les journées du vigneron s'étirent. Avec les beaux jours, le changement d’heure, c’est la vie qui revient, les bourgeons qui débourrent, le cycle qui reprend. - Maya -
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*saupoudrée de paillettes roses, de bonhommes en sucre et de second degré C'est la période qui veut ça : tous les blogs que je lis publient en ce moment des idées et ouiche-listes de cadeaux. Alors, pourquoi le serpent à plumes ne descendrait-il pas aussi de la voute étoilée pour faire pleuvoir des montagnes de paquets sur nos petites têtes? C'est dit, pour Noël, cher Quetzalcoatl, je voudrais : - Des vignes, pas beaucoup, quelques hectares, ça peut toujours servir - Un tracteur, ni trop lourd et ni trop gros et qui fonctionne encore si possible - Des cuves et un pressoir, ça nous dépannerait bien, le temps venu - un joli chai de Noël (les barriques, c'est pas obligé, mais si t'en as une ou deux en rab', je te débarrasse) - des outils, et en double s'il te plait, parait qu'il faut les emmener sur le tracteur pour ne pas rentrer à pied en cas de panne - de belles rencontres et des bonnes bouteilles, pour cimenter tout ça Merci serpent à plumes, au revoir, bisous. - Maya -
Quand on travaille dans la production de vin, on attend tous les ans le début des vendanges avec un mélange de joie et d’appréhension : une joie pure et intense, car c’est là que tout finit et que tout commence ; une angoisse diffuse car on sait à quel point cela va être dur. Comme tous les ans, encore, on sent arriver la fin des vendanges par une multitude de petits signes. La voiture d’abord, se remplit d’affaires diverses, c’est un peu comme une deuxième maison. On y trouve à boire, à manger et souvent de quoi se changer. Les habits sont de plus en plus tâchés, malgré la lessive quotidienne. Les repas deviennent frustes, rapides et copieux. Les mains changent, elles sont noires et calleuses, abîmées, musclées comme jamais. Le dos commence à lâcher, puis c’est le corps entier qui craque, il s’effondre peu à peu, comme un château de cartes. On sait que l’on a trop tiré mais que l’on doit tirer encore et que l’on doit serrer les dents, très fort parfois, parce que ce n’est pas encore fini. Le corps se transforme aussi, et c’est beau, on maigrit, les muscles se dessinent sous la peau, c’est ferme et tendu. Les cernes se creusent sous les yeux fatigués, le réveil est de plus en plus difficile. Parfois, la maladie s'invite, une angine souvent pour moi, mais pas question de s’arrêter, il faut tenir. C’est aussi une période où les liens se resserrent. On vit intensément ces moments avec d’autres et on a souvent envie de prolonger treize heures de travail en commun par des apéros, des sorties, des repas. Le réveil du lendemain n’en sera que plus dur, mais je n’ose pas imaginer des vendanges sans ces instants d’échange et de partage. Dans ces moments je ressens le besoin de me faire belle, peut-être un peu plus que d’habitude, de m’extirper de mes vêtements tachés de rouge, trop larges et poisseux, pour enfiler mes robes les plus féminines, mes bijoux brillants et mes escarpins. Mes mains font tâche mais qu’importe, je ne mettrai pas de bague aujourd’hui. Mais le plus difficile, le plus éprouvant de tous ces changements, c’est le blues des vendanges. Il arrive de façon insidieuse, à tâtons, et soudain il est là, bien réel. On a l’impression que les bennes de raisin ne vont jamais finir d’arriver, que le nettoyage ne sera jamais assez bien fait, que les vendanges ne vont jamais s’achever, ni la fatigue, ni la douleur. On se dit souvent « ce sont les vendanges les plus dures que je n’ai jamais faites » en ignorant la petite voix qui ricane en arrière plan, car cette phrase on la prononce presque tous les ans. Après plusieurs années aux vendanges simples ou doubles, j’ai fini par m’y habituer. Je vois les signes précurseurs et tiens bon quand il est là. Cela ne le rend pas plus agréable à supporter mais je résiste, car je sais qu’il est surtout annonciateur d’un moment superbe, d’un moment de bonheur brut : la dernière benne de raisin. La dernière benne de raisin, c’est la fête. Le plus gros du travail est fini, la récolte est à l’abri. On va pouvoir sortir la tête hors de l’eau et s’occuper à temps plein de la vinification. Il est aussi temps, pour beaucoup de vignerons que je connais, de partir sur les salons, mais cela je ne peux pas encore en parler. Pour moi, la fin des vendanges c’est avant tout la possibilité de goûter enfin sereinement toute la cave et de prendre un peu de recul sur le travail accompli. C’est le moment d’être fiers et heureux. Et peut-être même de rêver à ce que l’on fera l’année prochaine. photo de Guillaume Mirand au Mas del Périé - Maya -
J'ai parlé, lors du dernier billet, de deux semaines passées en voyage, et de nourritures bien terrestres. Cette semaine je me tais. Je vous montre des voûtes, des tas de tapis de prière, des motocyclettes et d'autres moyens de transports, ainsi que différentes perspectives sur des mosquées, un pigeonnier et une théière. Nicolas Elle nous a pris un matin. Un de ces matins qui durent des jours, des mois, des années de discussion incessante. Parce que cette envie là, elle fait un peu peur. Elle veut tout, elle gobe tout, elle avance. Pas de demi-mesure avec elle, il faudra tout quitter, oublier le rationnel et se jeter dans le vide sans savoir si on a les pieds accrochés à un élastique ou un sac à dos avec un joli parachute dedans. Elle est venue à tâtons, sans se faire remarquer et soudain elle prend toute la place. Elle est là, au milieu de la pièce à ronfler tranquillement sur le tapis, elle est aussi grande que lui, et nous, réfugiés sur le canapé qu’on a poussé tout contre le mur, on a peur qu’elle se réveille. Alors même que c’est trop tard, elle est déjà là, et elle a laissé ses poils partout. L’envie. L’envie que notre temps soit à nous même s’il s’échappe dans la liste sans cesse renouvelée des choses à faire, l’envie d’être dehors, de fouler la terre, de cuire sous le soleil de l’été et geler au froid de l’hiver, d’être dedans aussi, de pomper, nettoyer, fouler, décuver, de faire des étiquettes, de la compta, des papiers, de parler, d’expliquer, de tâtonner, d’être perdus, exaltés, curieux, de tout faire en disant qu’on a le temps de rien, de regretter parfois, de découvrir des choses par erreur, parce qu’on s’est trompés, d'ouvrir des quilles avec les copains aussi, et de refaire le monde…et tant de choses encore. L’envie de faire du vin, avant tout et même si ce n’est pas tout. La toute petite partie emmergée de l’iceberg qui justifie tout le reste. Le sommet caché par tous les autres qui permet de mettre un pied devant l’autre malgré la fatigue. Cette envie là elle est venue et elle ne nous a plus lâchés. Alors, elle est devenue le moteur de nos vies. Et on avance. - Maya -
Nicolas Quelques centimètres de neige sur le clocher de l'église, le Schlossberg et les jointures des pavés de la cour. L'hiver est là.
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Notre domaine
Le domaine de la Calmette est situé à Trespoux-Rassiels, sur le plateau qui surplombe Cahors : entre ciel et terre, les pieds dans le calcaire du causse et la tête dans les nuages.
Sur ce blog,nous vous raconterons mois après mois notre chemin de jeunes vignerons et ses nombreux détours.
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