LE SERPENTÀ PLUMES
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Couvrez ce levain que je ne saurais boire

15/9/2015

4 Commentaires

 
En ce moment, les vendanges battent leur plein. C’est l’époque où les blogs de vin bruissent de mille murmures et débats passionnés. J’ai ainsi pu assister au gros pavé lancé par Vincent Pousson (article ici) il y a quelques jours, qui faisait référence à un article du vigneron Luc Charlier (ici) et qui a lui-même été repris par Hervé Bizeul dans ses chroniques quotidiennes (ici).

Apparemment les levures sélectionnées ont la cote cette année en Roussillon, et tous ces blogueurs défendent ici le choix des LSA (levures sèches actives) par rapport aux levures indigènes. Jusqu’ici, tout va bien et je n’y vois rien à redire, chacun ses goûts et chacun ses choix. Là où je ça me gène un peu plus, c’est qu’ils expliquent que les défenseurs des levures indigènes n’ont pas un bagage scientifique suffisant pour que leurs arguments aient du poids. Il faut apparemment être ingénieur agronome et œnologue pour voir son avis considéré. Cela tombe bien, c’est mon cas. Je n'aime pas mettre mes diplômes en avant pour assoir ma crédibilité, mais exceptionnellement je me le permets pour apporter dans ce débat un avis divergent.
Je ne prétends pas défendre une pratique par rapport à une autre (même si j’ai bien un avis sur la question, vous le verrez peu à peu) mais je voudrais fournir quelques précisions scientifiques.

Les levures servent à transformer le sucre du raisin en alcool. Cela, tout le monde l’a bien compris. Mais ce serait extrêmement réducteur de limiter leur rôle à cette simple action ; il est en réalité bien plus complexe. Les levures ont un rôle gustatif crucial, en parallèle de leur métabolisme de base (sucre --> alcool), elles produisent une quantité conséquente de sous-produits qui vont donner du gras, des arômes et de la complexité au vin fini. Elles peuvent aussi être responsables de défauts. Le choix des levures n’est donc absolument pas anodin, pas même celui d’une levure dite « neutre ». Si nous ramenons cela à un exemple simple comme la cuisine, tout le monde est capable de faire un poulet rôti, mais le cuisinier, en plus de cuire, peut ajouter des variables insoupçonnables de complexité (marinade, étouffée, farce, glaçage, température, etc.). Je peux vous assurer que dans ce cas, je ne choisirai pas celui qui a été cuit de façon « neutre ».
Photo
Les levures, contrairement à une hypothèse qui a eu cours pendant longtemps, ne se trouvent pas uniquement dans la cave du vigneron. On sait maintenant qu’elles sont en réalité présentes sur la peau du raisin. Il a été observé que la population change à chaque millésime, et qu’elle est globalement homogène dans une région de production. Cela n’exclut pas que certains vignerons puissent avoir  une souche spécifique à leur cave, qui va réussir à prendre le dessus dans certaines conditions extrêmes car étant plus résistante. Mais dans la plupart des cas, des souches différentes s’implantent années après année, et elles viennent de la vigne si la conduite de celle-ci permet le développement de microorganismes à la surface du raisin. 

Faire le choix d’une levure sèche active, donc, c’est faire le choix d’une seule levure contre toute la multiplicité qui existe sur la baie de raisin et qui existera ensuite pendant toute la fermentation. Une seule levure, c’est à dire une seule souche d’une seule espèce, alors que dans un levain indigène coexistent de nombreuses familles de levures : apiculées, saccharomyces, non saccharomyces voire levures d’oxydation. Tout ce pool est actif pendant les premiers jours de fermentation. Au-delà de quelques degrés d’alcool, le milieu devient hostile : seules les différentes souches de saccharomyces se maintiennent en nombre. En levurant, cependant, il faut ajouter des sulfites dans le moût, afin de faire place nette à la levure sèche, constituée d’un seul clone, résistant au SO2 et sélectionné pour des caractéristiques précises. 
Levures Saccharomyces 
(Image Didier Pol)
Levain indigène. L'oeil exercé peut y apercevoir des Saccharomyces, des Brettanomyces et des apiculées
(Image IFV)
Mais quelle caractéristique ? Les fabricants proposent de nombreuses options dans leurs gammes. Parmi les plus communes et les plus intéressantes, on peut parler des fermenteuses, ou neutres, choisies pour leur résistance à l’alcool et leur capacité à fermenter rapidement et jusqu’au bout des sucres. D’autres souches, plus spécifique d’un cépage, ont été sélectionnées pour l’expression d’une famille d’arôme précise ; par exemple, le caractère agrume ou tropical sur un Sauvignon blanc. Les utilisateurs sont généralement ravis de ces expressions nettes, aisément identifiables dans le cas des révélatrices d’arômes, et de ces fermentations qui se déroulent en quelques jours. Il y a de très bons vins issus d’un levurage.

J’ai travaillé pendant deux ans dans un laboratoire d’œnologie qui accompagne les vignerons dans leurs démarches de baisse d’intrants. La plupart venaient nous solliciter pour les aider dans la mise en place de levains indigènes. J’ai donc pu déguster, analyser, observer au microscope, étudier des essais comparatifs et mettre en bouteille de multiples vins fermentés avec des levures indigènes. L’avis que je vous livre, sans être une étude scientifique ou un argument d’autorité, est issu du suivi de plusieurs centaines de vins. 

Ce que j’ai pu observer, c’est que lorsqu’ils sont réussis, ces vins sont plus complexes que leurs homologues en levures sélectionnées. Ils sont aussi plus riches, dans le sens où ils offrent plusieurs niveaux de lecture et plus de profondeur dans leur expression. Les levains sélectionnés sont, eux, plus précis, plus tranchants, mais plus simples. Ce serait, en musique, comme comparer une chanson a cappella, ou bien portée par une orchestration et des arrangements. J’attribue cette complexité à cette succession d’espèces, à cette cohabitation de souches, où chacune fermente avec ses instruments métaboliques et apporte son timbre particulier. On peut aimer cela ou pas, le rechercher ou pas, chacun fait ses choix.

Faire un levain indigène, soit dit en passant, ce n’est pas « ne rien faire ». Chacun a ses méthodes, mais cela demande souvent beaucoup de rigueur, d’hygiène, de suivi, de la réactivité, et une certaine part de risque. Parfois, ça rate : la fermentation peut s’arrêter, peut partir en piqûre, développer des faux-goûts, et parfois on utilise des levures sèches pour rattraper le coup. Ce n’est largement pas la majorité des cas. Cela arrive aussi avec des levures sélectionnées. 

Levures indigènes, levures sélectionnées, cela reste surtout une question de goût. Celui du vigneron et celui de ses clients. Personnellement, et en tant que buveuse, j’aime les vins issus d’indigènes, et je m’ennuie souvent avec les vins fermentés avec des levures sélectionnées. A l’inverse, j’aime écouter les mélodies simples et claires de Jack Johnson, tandis que Nicolas s’émeut avec les superpositions dissonantes mais harmonieuses et complexes de My Bloody Valentine. Qui a raison et qui a tort, quand il s’agit de l’expression d’un goût ?
Maya (et Nicolas)
Photo
Pour finir, une photo de chatons, parce que les chatons c'est à la mode ;-)
4 Commentaires
Vincent Pousson link
13/9/2015 23:11:50

Bonsoir Maya, comme vous me l'avez demandé, j'ai lu votre texte, et j'en partage certaines idées. Sauf une, et de façon irrévocable, c'est le propos liminaire où vous me mettez dans un camp, celui des défenseurs des levures sélectionnées. Ce n'est pas du tout ce que j'écris. Ma position est autrement plus nuancée.
Celle d'Hervé Bizeul (qui ne levure pas ses rouges lesquels constituent la majeure partie de sa production!!) et de Luc Charlier également.

Réponse
philippe pouchin link
15/9/2015 00:30:09

Bonsoir Maya
Perso j'aurai préféré répondre plus longuement, mais l'époque n'est pas à la littérature.

Empiriquement je constate la même chose que vous, les vins réussis en levures indigènes sont plus profonds, "vibrent" * d'avantage que les vins levurés avec des LSA.
Des raisons à cela ?
Plusieurs il me semble ;
- La première est que les nombreuses levures indigènes sont adaptées aux conditions nutritionnelles locales, sinon elles ne seraient pas. La LSA par contre, comme tout athlète de haut niveau demande une nutrition adaptée, en tout cas pas forcément celle qui est disponible sur un millésime donné. Pour preuve, empirique mais tout de même, depuis que nous sommes passés aux indigènes en rouge et bien les volatiles ont diminués de même que les sucres résiduels ( que le vin soit à 13° ou ...15° ) Encore faut il posséder un réservoir de levure important au vignoble, n'est-il pas ? Oui, enherbez et limitez le cuivre et vous verrez que le stock est bien là, présent.
- La deuxième est que, comme vous, souvent les vins levurés m'ennuient. Ah ils sont bien fait, trop sans doute ! D'abord la levure sélectionnée … sélectionne, elle embarque le vin dans une direction, une seule. Il n'y a rien qui m'agace autant quand je bois un verre de vin que l'auteur me dise ce que je dois sentir et quand ! J'aime au contraire qu'il me laisse une place, une aspérité à laquelle mon esprit, mes souvenirs puissent s'accrocher. Je prend souvent la comparaison avec les "bleus de Chartres" vitraux d'un bleu incomparable et, paraît-il, inimitables. Pourquoi ? Parce qu'ils sont semble t'il imparfaits. Et bien l'imperfection des vins vivants me touche.
- Enfin je trouve dommage qu'il ne soit pas possible de penser "entre" ces deux positions. Il est possible d'utiliser des levures indigènes ET d'être propre et professionnel. Une levure indigène n'est pas obligatoirement "mollassonne"et mieux ; il peut exister des cas de figure où l'efficacité commande d'utiliser de les utiliser. Et je me régale aussi avec des vins levurés bien fait (j'en produit, c'est dire )
pphilippe

Quand à vibrer, quand j'entends Valentine je pense à ça 
* https://www.youtube.com/watch?v=IzpfZaZfsZg

Réponse
Nicolas Fernandez link
16/9/2015 11:21:01

Bonjour Philippe,
Je suis très heureux qu'en tant que vigneron et utilisateur des deux méthodes, vous fassiez les mêmes observations que nous, dans une autre région et sur d'autres vins.
Merci pour ces ajouts et compléments très justes, dont nous partageons les conclusions.
Bonnes vendanges à vous!

Réponse
philippe pouchin
15/9/2015 00:33:44

"il peut exister des cas de figure où l'efficacité commande de les utiliser"

... ah pas bien la relecture !
Bonne nuit !

Réponse



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