Il est de Raphaël Gimenez Fauvety, qui l'imprime sur les sacs en papiers de la cave qu'il tient à Paris, les Caprices de l'Instant (on peut également trouver un chouette article sur ce caviste ici).
J'aime beaucoup aller, de temps en temps, aller acheter une quille là-bas. Depuis le temps, je crois connaître un peu le vin, les régions, les producteurs. Pourtant, j'en sors en ayant fait une découverte : une appellation, un producteur, voire plus important... Ainsi à ma dernière visite, quand le caviste m'a fait comprendre la notion d'accord mets-vins sous un jour que je n'avais jamais envisagé. Je lui demandé un vin pour aller avec des côtes d'agneau grillées. Il m'a dit :
- " L'agneau, très bien. Mais quel sera l'accompagnement ? C'est le plus important. "
Des pommes de terres aux herbes de Provence, avec de l'ail et un peu d'huile d'olive : il faudra aller dans les Côtes du Rhône méridionales, dans le Sud en tout cas. Des haricots verts ? Alors un Bordeaux, un Médoc, pour jouer sur le végétal des cépages bordelais. Enfin, un accompagnement rustique, comme des haricots blancs, des pommes de terre sarladaises, réclameront un vin plus corsé, quelque chose du Sud-Ouest par exemple. Petite révélation.
Nous avons donc d'abord décidé de l'accompagnement, et sommes sortis de la cave avec un vieux Madiran, de presque 20 ans, de la cave de Plaimont. Il aurait fallu en acheter plusieurs bouteilles tellement c'était bon, et tant la bouteille s'est finie vite. Évidemment, l'accord était parfait. On a trinqué à la santé du caviste.
Chambolle-Musigny vient du latin Campus Ebulliens, car sous les vignes, il y a des eaux capables d’agitation, celles du Grosnes. L’Aquitaine, son nom l’indique, est le pays de l’eau et le Médoc, du latin Medio Acquae, est « au milieu de l’eau ».
Large zone inondable, culminant à seulement 43 mètres, nos Pays-Bas en somme, ce sont donc des spécialistes hollandais qui sont venus au XVII siècle, combler, assécher, bâtir des digues. Dans la vallée de la Sonoma viticole, il tombe 100 millimètres d’eau en moyenne par an. À Mendoza, Argentine Orientale, 300, le reste des besoins c’est du goutte à goutte, le même repas tous les jours durant toute une vie. En Bourgogne, le tarif c’est 700, presque 1000 en Aquitaine. Dans une bouteille de vin, il y a, suivant les régions et les millésimes, entre 82 et 90% d’eau, le reste, c’est de l’alcool et un peu de chimie. Une infime partie du liquide donc, un ou deux pour cent, suffirait à faire toute la différence ? Oui et non. Cette eau peut tour à tour manquer, 2005, assécher, 1989, activer, 1996, détruire, 1994. Le soleil, suivant son action durant le cycle de la vigne, peut être magnifiant, exaltant, 2009, ou bien rabougrir le raisin à force de le cuire, 1995. En général, il est présent puis absent, brûlant puis timide, la France en somme.
Les grands terroirs sur lesquels de la vigne a été plantée, sont drainants (Hermitage), capable de recevoir une quantité d’eau qui inonderait la plaine (Crozes-Hermitage). Dans l’histoire des cultures, cette plaine est la priorité, manger avant de boire. Betterave, blé ou colza passent bien avant la vigne, qui sera servie la dernière, plantée là où elle seule pousse. Heureusement, vitis vinifera, la vigne du vin, a la dent dure. Les coteaux laissent glisser l’eau vers le ruisseau ou le fleuve situé en contrebas. Granit ou schiste de la Côte Rôtie, calcaire de la Côte des Blancs, tuffeau des coteaux du Saumurois. Si l’argile, qui retient davantage l’eau, est présente avec le calcaire, comme en Côte d’Or par exemple, alors les plus grands terroirs sont ceux où la pente est la plus forte, ou le sol plus filtrant, Clos Saint-Denis, Chevalier-Montrachet, Cras de Chambolle, Musigny, Corton-Charlemagne ou Laveau-Saint-Jacques.
L’eau régule, on dit aussi que les plus grands Médocs voient la rivière, et en effet, parmi ceux qui la voient, il y a Palmer, Latour, Ducru-Beaucaillou, Margaux ou Pichon-Comtesse. Rivière, rus minuscules, cours d’eau apparents ou souterrains, grands fleuves, l’eau est présente partout où on fait du bon vin. À tout seigneur, tout honneur, la Loire, le plus grand de nos fleuve, défile tour à tour devant Pouilly, Sancerre, Gien, Amboise et Bourgueil, Montlouis et Vouvray, Chinon, Saumur et j’en passe ! Son influence se fait sentir directement dans 73 appellations d’origine contrôlées, 20% du capital des terroirs viticoles de ce pays. Le Lot, la Durance, le Cher, l’Aude, qui serpente entre les vignobles des Corbières, de Limoux, de la Malepère, de Cabardès. Le Rhône, les Rhônes ai-je envie de dire, où se jettent la Saône, l’Isère, la Drôme, la Sorgue, fille de la fontaine du Vaucluse. Il y a la Gironde, nourrie de la Garonne et de la Dordogne, le Doubs, l’Ardèche, l’Hérault et le Gard. Que d’eau, me direz-vous, quel bonheur plutôt ! Les vins de France doivent tant à cette profusion d’eau vive. Ajoutons les innombrables affluents, confluents, torrents descendus des montagnes, tous ont leur influence. Le petit Serein, l’air de rien, coule en plein Chablis, à Vougeot c’est la Vouge minuscule, à Meursault, rus insignifiants mais influents, Lamponne, Rimbert, ruisseau de Meursault. Il y a la Dheune à Santenay, à Nuits-Saint-Georges le Meuzin, la Vendaine à Pommard, le Gave qui traverse Pau, au pied du vignoble de Jurançon, l’Adour qui croise en terre de Madiran. Tantôt apparent, tantôt souterrain, le réseau hydrologique du terroir de Pessac-Léognan est capital, les rivières drainent les vignobles ou les tiennent au frais. Breyra, Saucats, Eau Bourde, Eau Blanche, ont su amadouer le courroux du caniculaire millésime 2003 dans la patrie de Montesquieu. Entre Barsac et Sauternes, il y a le Cirons miraculeux, sans qui point de botrytis cinerea pour grandir la complexité des liquoreux à l’aube de l’automne. Les liquoreux d’Anjou boivent du Layon, de l’Aubance, du Thouet, tous finissent leur course dans la Loire. Fecht, Thur, Doller traversent le vignoble alsacien pour se jeter dans l’Ill, qui à son tour, se jette dans le Rhin.
Des villes de vin s’appellent Villefranche-sur-Saône, Tournon-sur-Rhône, Pouilly-sur-Loire. Les rivières donnent leur nom à tant de départements, et en particulier à ceux où on fait du vin. Les montagnes, les collines et les monts ont aussi leur importance, contreforts du Massif Central, les Cévennes où on produit les meilleurs vins du Languedoc, l’Ardèche, terre du profond Cornas. Si les collines surplombent le Lot, alors on fait du Cahors, si elles dominent le Tarn, alors on fait du Gaillac. Il y a la Montagne de Reims, tout comme il y a aussi le Jura. De Jura à Jurassique il n’y a qu’un pas, l’eau est mère de la géologie des vignobles qu’elle a patiemment formée. De la mer originelle au soulèvement alpin, strate après strate, dépôts, alluvions et colluvions, de la Méditerranée à la Manche, à travers le sillon Rhodanien, en esquivant le Massif Central par l’est, le Jura par l’ouest, les montagnes des Ardennes par le sud, la mer a façonné le Mâconnais, le Sancerrois, la Côte Chalonnaise ou le Chablisien. De l’eau, encore de l’eau, j’en reprendrais bien une goutte.
Influence océanique cela veut dire pluie, et s’il en faut pour les nappes phréatiques, il en faut aussi pour le vin. Trop, c’est trop, comme en 1965, mais pas assez, ça ne fait pas du vin français. Avec cent jour de beau de rang, Monsieur Charmolüe, alors propriétaire de Château Montrose, a dit de son millésime 1990, que c’était certes un grand vin, mais certainement pas du Château Montrose.
Robert Parker a chanté les louanges du Château Cheval Blanc 1947, sans doute parce qu’il est lui-même de ce célèbre millésime, mais c’est la manière dont il a décrit ce vin, comme ressemblant à s’y méprendre à un Porto millésimé, qui oblige à dire que le propos d’un vin français, n’est pas de ressembler au plus grand des vins du Portugal, et qu’une onctueuse « sucrosité », n’est pas l’apanage premier d’un Saint-Emilion sur terroir de graves. Aucun des six millésimes qui ont précédé le classement des vins du Médoc de 1855 ordonné par Napoléon III, n’a laissé la moindre trace dans les annales des vins de Bordeaux, pourtant, il n’y a pas d’erreur. Cela veut dire que cette terre est capable, par tous temps, et donc aussi et surtout, par mauvais temps, de livrer des grands vins : un grand terroir, c’est ça.
Raphaël Gimenez Fauvety.