Tous les ans, en septembre, c'est la même chose : je disparais. Ma famille et mes amis ne m'en tiennent pas rigueur, ils savent que je ne répondrais quasiment plus aux textos, que m'appeler ne sert à rien : c'est l'éclipse annuelle. Les vendanges. Quand le raisin est mûr, tout s'arrête, et ça dure quelques semaines.
Cette année, c'est plutôt simple. Pour une fois, depuis longtemps, je n'ai pas la responsabilité d'un chai et d'une équipe. Ce n'est pas pour autant que je me la coule douce. Maya et moi travaillons comme vendangeurs au Mas del Périé, le domaine de Fabien Jouves, sur les hauteurs de Cahors, dont j'aime les vins. Ce sont des Cahors sur la finesse, sans rusticité, qui recherchent l'expression d'un terroir. Beaucoup de vins de Cahors doivent être conservés plusieurs années avant d'être ouverts, mais ce n'est pas le cas des vins de Fabien Jouves, immédiats, savoureux et hautement buvables rapidement après la mise en bouteille.
Nous faisons donc partie de l'équipe d'une vingtaine de personnes chargée de récolter et de trier les raisins des parcelles du domaine. Le soir, la journée de coupe terminée, nous participons aux travaux de cave : quelques remontages et soutirages, et beaucoup de nettoyage.
C'est l'occasion de se maintenir actifs, de ne pas rater un millésime, et de continuer à apprendre. De goûter beaucoup de bons vins aussi : que ce soit les vins du domaine le midi, et ceux d'autres vignerons le soir, autour d'un verre après le boulot, je crois que je n'aurai jamais dégusté d'aussi bonnes choses que pendant ces vendanges. Ce sont pourtant mes onzièmes !
Déguster les vins des autres, notamment ceux d'Emmanuel Reynaud dans le Vaucluse ou de Bernard Plageoles à Gaillac, goûtés cette saison, c'est aussi se demander comment font certains pour avoir un style si fort et si reconnaissable. Bien sûr, il y a le terroir ; mais certains vignerons signent leur propre interprétation du terroir d'une façon unique. Comme en littérature : on ouvrant un roman, on peut souvent deviner de quel courant littéraire il s'agit ; on peut aussi, de façon plus rare, savoir qui est l'auteur au bout de quelques lignes. Je n'aime pas tous les vins de Plageoles, ni tous les livres de Houellebecq, mais cette façon toujours identifiable d'exercer son art est un tour de force admirable.
Nicolas