Il n’y a qu’à faire un petit tour sur la toile, sur un blog de vigneronne comme celui d’Isabelle Perraud, ou celui de Sandrine la caviste féministe, ou encore celui de Nicolas Lesaint, directeur technique du Château de Reignac, pour s’en rendre compte. Il a grêlé ou gelé un peu partout en France au début du printemps et depuis, il pleut.
Il est tombé 95 millimètres la dernière semaine de mai, 145 mm sur le mois, quand les sites climatiques indiquent qu’à Cahors « en décembre, les précipitations sont les plus importantes de l'année avec une moyenne de 78 mm ». Nous avons eu, au printemps, en plein départ de végétation, deux fois plus d’eau que le mois d’hiver le plus pluvieux. « Vous n’avez pas de chance pour une première année » nous dit gentiment notre voisin. Pas de chance, surtout en bio.
Surtout en bio ? Notre ami David nous a souvent demandé de parler de la viticulture biologique sur le blog. Nous pouvons aujourd’hui l’aborder par le biais de la protection des vignes. Puisque c’est un thème riche qui donne envie de parler de plein de sujets, nous y consacrerons d’autres billets, un peu plus tard.
Le vignoble de Cahors connaît deux maladies qui viennent avec la pluie : le mildiou et le black rot. Elles sont arrivées des Amériques à la fin du XIXème siècle, donc assez récemment à l’échelle biologique. La vigne ayant évolué longtemps sans y être confronté, elle les gère assez mal. En cas d’infection, elle ne sait pas s’en défaire. Les traitements sont donc uniquement préventifs : on empêche les champignons* de s’installer.
Les vignerons conventionnels ont à leur disposition un outil bien pratique, les produits phytosanitaires systémiques. Le pesticide pénètre dans la plante, circule dans ses vaisseaux y compris dans les jeunes feuilles qui poussent au fur et à mesure. Il suffit de renouveler l’opération tous les quinze jours environ pour être couvert.
L’agriculture biologique interdit le recours aux produits chimiques de synthèse, ce qui ne veut pas dire que nous ne traitons pas, mais simplement que nous avons droit à deux antifongiques naturels : le soufre et le cuivre. Ces produits sont à la fois préventifs, donc il faut les placer avant les pluies, et également lessivables, car ils restent uniquement à la surface de la feuille et sont éliminés par la pluie. Du coup, il faut souvent recommencer !
Le mildiou aime la pluie et la chaleur. Dès qu’il fait plus de 13°C et que les œufs qui ont passé l’hiver sont mûrs, il peut se développer. Il est sensible au cuivre, ce qui a été découvert par le botaniste A. Millardet à la fin du XIXe siècle. Selon la légende, il visita des parcelles où l’on badigeonnait les premiers rangs de sulfate de cuivre pour dissuader les voleurs de raisins. Il remarqua assez vite que ces rangs peints en bleu étaient moins touchés par le mildiou.
La combinaison soufre et cuivre permettrait de limiter les attaques, mais pas aux doses que nous pratiquons dans nos parcelles.
Globalement, elles aident plutôt la plante à renforcer ses défenses et n’ont peu ou pas d’action sur les pathogènes. Elles ne permettent donc pas de se passer complétement de cuivre ou de soufre, mais de diminuer les doses utilisées. C’est un paramètre extrêmement important à nos yeux. En effet, la viticulture biologique est souvent critiquée car le cuivre, bien que naturel, n’est pas un produit anodin. C’est un antifongique puissant et peu sélectif, toxique pour les plantes et la vie du sol. Surtout, comme c’est un métal, il s’accumule. Cependant, grâce à la phytothérapie (le soin des plantes par les plantes), on peut réussir à baisser drastiquement les quantités de cuivre utilisées. Les doses préconisées dans les itinéraires, conventionnels ou biologiques, vont de 750 grammes à 3 kilogrammes de cuivre par hectare et par traitement. Grâce aux tisanes, nous utilisons de 100 à 250 grammes, soit presque dix fois moins. Cela nous permet d’être bien partis pour rester bien en dessous de la limite du cahier des charges bio de 6 kilogrammes de cuivre par hectare et par an. Et même des 3 kilogrammes / hectare / an de l’agriculture biodynamique.
Malgré tout, nous ne crions pas encore victoire, les pluies de la semaine dernière, en plein pendant la période critique de floraison, ont peut-être engendré des contaminations qui ne seront visibles que dans une dizaine de jours. Il reste encore un long chemin à parcourir avant la récolte...
La situation de nos parcelles est aussi un allié dans cette lutte contre les champignons. Sur nos hauts de coteaux, le vent souffle toujours un peu ; les vignes ne restent pas longtemps mouillées après une pluie. C’est toujours appréciable pour limiter les contaminations, ou lorsqu’il s’agit de chercher une fenêtre de traitement au milieu d’une semaine perturbée.
* Oui Benoît, nous serons mille fois maudits, nous parlons ici de champignon pour le mildiou. Nous voulions juste simplifier nos propos. Pour les geeks de la taxonomie, le mildiou a été éjecté du règne des champignons, et placés dans celui des Bicontes.