Pour Nicolas aussi, l’hiver a été rude. Je suis vigneronne, comme lui. Je passe du temps dans les vignes, je taille, j’attache, comme lui. Je suis aussi au bureau, au chai, comme lui. Nous faisons tout à deux et je n’étais plus là. A la place, je m’occupais sans discontinuer d’un petit être affamé, fatigué, dormant peu et criant beaucoup. Il voyait le retard s’accumuler et c’était comme écoper un bateau qui prend l’eau avec une petite cuillère. Il avait autant envie de passer du temps avec sa petite fille que moi dans les vignes. Et ni moi ni lui ne pouvions inverser les rôles. On nous avait prévenus, avoir un enfant c’est dur. Nous le savions, mais le vivre, c’est autre chose.
Notre rythme de vignerons a changé, nous prenons plus de temps pour notre famille, nous nous arrêtons enfin le week-end. C’est agréable ces moments rien que pour nous. D’un autre côté nous sommes toujours en processus d’installation, il y a encore des montagnes de choses à faire et nous manquons toujours de temps. Il faut réussir à gérer tous ces sentiments complexes, ces flux et reflux d’émotions culpabilité stress frustration joie bonheur emmêlés.
Cela dit je ne me leurre pas, ce n’est pas uniquement Alix qui me vole mon énergie et dessine des cernes sous mes yeux. Nicolas est fatigué aussi. Les maraîchers à qui nous achetons nos légumes aussi, et nos amis vignerons encaissent tous leur saison. La chaleur est véritablement accablante et le travail est intense. Tous les ans, à la fin du mois de juillet, nous récupérons. Nous avons besoin de reprendre pied après les couchers tardifs, quand l’air enfin, se rafraîchit, les éveils bien trop matinaux et les journées de fournaise entre les deux. Travailler à l’extérieur en toutes saisons est un bonheur, une joie sans cesse renouvelée, mais l’été nous épuise et nous avons encore besoin de l’accepter, de lâcher prise. Nous avons le droit de nous alarmer aussi, et le devoir de le dire, car nous ne pouvons plus occulter le fait que la terre se réchauffe et que nous, paysans, nous sommes en première ligne (lire à ce propos l'excellent et effrayant article de Catherine Bernard).
Enfin, nous avons créé, de toutes pièces, un magnifique petit être rayonnant de santé, curieux, joyeux et drôle. Une petite fille qui pose tous les jours un œil neuf sur le monde et qui nous ébloui de ses apprentissages, ses découvertes, et de la vitesse à laquelle elle grandit.