Mais j’ai surtout perdu mon amour d’enfant et beaucoup de mon insouciance. Et si jusqu’à maintenant je ne réalisais pas encore, je crois bien que j’ai franchi un vrai cap dans notre installation. Hier soir, dans la douleur et l’angoisse, la nuit, à regarder les grêlons tomber du ciel, les prenant, glacés, dans ma main tremblante pour évaluer leur taille, je me suis sentie devenir vigneronne.
Le ciel devient noir et blanc, s’arque boute et se déchire à l’infini. La nature rugit sa puissance. Elle nous rappelle que nous ne sommes que de la poussière de roche, rien, une particule dans le tumulte. J’ai toujours trouvé cela si beau, l’orage. Je me souviens, enfant, du bruit du tonnerre qui nous réveillait en pleine nuit, les éclairs blancs dans le ciel tout noir, la pluie froide, dure, sur la peau chaude et humide de la fin de l’été. J’aimais cette beauté brute et sauvage, et la douce panique, aussi, qui nous envahissait. Nous courrions partout débrancher les machines, arracher les prises de téléphone. Une fois où nous n’avions pas été assez rapides, l’alarme avait pris feu. Puis la foudre passait et nous laissait tout frissonnants de tension et d’excitation mêlées. A l’heure où j’écris ces lignes, l’orage est là. Le ciel est devenu sombre en plein jour, à défaut de s’éclairer en pleine nuit comme dans mes souvenirs d’enfant. C’est le troisième en quatre jours. Les deux premiers ont amené avec eux leur lot d’angoisse et de tristesse. Alerte orange grêle. Méteo France a tamponné le grand G sur Cahors cette après-midi. Hier soir, ils n’avaient rien vu venir. La journée avait été chaude et ensoleillée, joyeuse. Nicolas avait remarqué, vers 19h, s’accumuler les cumulonimbus, au loin, du côté d’Agen. Le plateau, à Cahors, a la particularité d’offrir le ciel à celui qui regarde. On voit tous les nuages passer sur la vallée de la Garonne, au-dessus de la Dordogne, filer vers l’Est ou s’accumuler à l’Ouest. Des paysages entiers emplis de nuages. On croirait se noyer dans tous ces horizons. Vers 22h, le ciel se déchirait enfin. Il semblait éclater de tant de lumière. L’enfant en moi se réveillait et je trouvais ça beau. Beau et terrifiant. Puis nous l’avons entendue arriver. La crainte de tous les agriculteurs. Elle prévient avant de frapper, claquant sur la terre, tambourinant sur le sol détrempé. La grêle. Sans pitié. « C’est ça d’être agriculteur, on travaille, on travaille et en un quart d’heure, on a tout perdu » comme dit ma voisine à l’accent d'ici de sa voix chevrotante. Nous n’avons pas tout perdu hier soir, heureusement. Quelques bourgeons se sont volatilisés, ici ou là, arrachés par les noisettes de glace. Ajoutés aux dégâts des escargots, bien nombreux après un hiver si doux, 20 à 30% des petits rameaux ont disparu. Si tôt, la vigne peut encore se remettre… Mais j’ai surtout perdu mon amour d’enfant et beaucoup de mon insouciance. Et si jusqu’à maintenant je ne réalisais pas encore, je crois bien que j’ai franchi un vrai cap dans notre installation. Hier soir, dans la douleur et l’angoisse, la nuit, à regarder les grêlons tomber du ciel, les prenant, glacés, dans ma main tremblante pour évaluer leur taille, je me suis sentie devenir vigneronne. - Maya -
1 Commentaire
10/5/2016 19:58:14
Soit tu as de toutes petites mains, soit les grêlons sont très gros!
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Notre domaine
Le domaine de la Calmette est situé à Trespoux-Rassiels, sur le plateau qui surplombe Cahors : entre ciel et terre, les pieds dans le calcaire du causse et la tête dans les nuages.
Sur ce blog,nous vous raconterons mois après mois notre chemin de jeunes vignerons et ses nombreux détours.
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