Le milieu vigneron aime rester secret lorsqu'il s'agit de ventes de vignes, ou encore pire, de la totalité d'un domaine. Souvent, on n'en parle que lorsque c'est fait. Il y a chez les vendeurs beaucoup de gêne, sans doute de la pudeur en réalité, à avouer frontalement : "oui, je veux vendre".
Cet après-midi, le responsable d'une agence immobilière nous confiait sa difficulté de travailler avec des vignerons, la plupart exigeant une confidentialité absolue, compromettant forcément le travail de recherche d'un acheteur.
Au fil des visites, nous constatons que nous sommes bien renseignés, et plutôt au courant de la situation dans le vignoble. On nous fait des confidences ; on nous parle de tel voisin, qui pense à la retraite ; de tel autre, qui ne se fait pas payer ses fermages et voudrait bien changer de locataire. De notre côté, nous n'avons aucune info à donner, et surtout pas qui, où, à quel prix. Par réflexe, nos interlocuteurs nous posent parfois des questions précises ; voyant que nous esquivons, ils n'insistent pas.
Dans ce contexte, il n'est pas possible de parler dans ce blog de ce que nous visitons, ni de ce qui nous a plu. Des photos de domaines ou des anecdotes précises, il n'y en aura pas. Mais nous pouvons évoquer des tendances que l'on peut retrouver aux quatre coins du vignoble.
Ces derniers jours, je suis interpellé par une démarche que nous avons rencontrée à plusieurs reprises : l'établissement de prix très éloignés des prix du marché. Je vous la fait courte : le prix des vignes est assez bien connu dans la zone, notamment grâce aux moyennes calculées par la SAFER sur les transactions effectivement constatées. Ces organismes, placés sous le contrôle de l'Etat pour contrôler les achats et les ventes de surfaces agricoles, vont même jusqu'à publier le prix des terres sur un site dédié. Ce prix des terres agricoles est très étroitement corrélé à la valeur de vente des vins. Le prix des maisons est également assez bien documenté, et il est facile de les évaluer, au moins grossièrement.
Malgré cela, nous rencontrons des propriétaires qui, comme base de négociation, demandent entre cinq et dix fois le prix du marché pour leur bien. Alors certes, lorsqu'il s'agit de la vente d'une entreprise, avec des stocks, des clients, une marque, le calcul se complique. Mais ici, je parle réellement de vignes nues, ou de biens dont le prix se calcule sur la seule valeur du foncier.
Comment ces prix sont établis ? Je pense que les mécanismes suivants sont à l'oeuvre.
Tout d'abord, une part importante des vignerons de Cahors commercialise le vin en vrac. Or, le cours du vin en vrac est trop bas pour couvrir ses frais d'exploitations et assurer un revenu décent. Beaucoup d'entreprises sont en réalité déficitaire. Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet ; nous le développerons dans un prochain billet. Après de nombreuses années à travailler sans gagner sa vie apparaît la pensée, plus ou moins consciente de se dire "j'ai fait des sacrifices, maintenant ces efforts doivent être récompensés ; je le mérite". C'est une des attentes majeures placées dans cette vente.
De plus, cette entrée d'argent ponctuelle devra s'ajouter à la pension agricole pour vivre sa retraite. Ces pensions sont généralement très basses ; le système des retraites agricoles est particulier mais je ne vous noierais pas sous les détails. En outre, la somme d'argent issue de la vente de la ferme servira également, à court terme, pour acheter une maison où vivre. Enfin, je pense que l'attachement très fort à sa terre, dans la famille depuis longtemps, rend absurde l'idée d'une comparaison avec le prix des autres terres.
Tout cela amène construire un mythe : celui de l'arrivée d'un investisseur (anglais, chinois, parisien,...), qui paierait rubis sur l'ongle et pour qui les notions de rentabilité et de retour sur investissement seraient tout à fait secondaires.
Je comprends ces mécanismes, et mon propos n'est pas de les juger, surtout depuis ma position de potentiel acheteur. Cependant, je suis obligé de faire le constat que, dans des cas bien précis, des domaines sont à vendre depuis longtemps, mais leur reprise est rendue impossible. Au détriment de tous, y compris du cédant.
Fort heureusement, ce problème n'est pas général. Il y a bien des vignes qui se vendent, des domaines qui marchent et qui s'agrandissent, et même quelques nouveaux venus qui s'installent. Un jour, bientôt peut-être, nous en ferons partie !
Nicolas