Pour nous, qui voulons vite passer en viticulture bio, c'est très important également d'observer si le sol est vivant. Parfois, la répétition des désherbages en plein et des apports d'engrais minéraux peuvent avoir énormément affecté la vie du sol ; dans ces cas là, on essaie de se projeter. De savoir si nous arriverions à effectuer une transition et à travailler les sols, tout en maintenant un certain niveau de production.
Parfois, cela se passe mal. Un de nos copains vignerons nous a raconté avoir récupéré des parcelles "chimiques", et tenté une conversion trop énergique vers la bio. Il ne récolte, depuis des années, que quelques kilos de raisins. La vigne n'a pas supporté ce changement radical dans son enracinement et sa façon de capter eau et minéraux. Après tout ces efforts, il a baissé les bras et se débarrasse des parcelles en questions.
D'autres de nos amis nous disent que cela va plus vite qu'on le croit. Mais récupérer une parcelle, patiemment, en assumant une production dix fois plus faible que ce qu'il faudrait, c'est le genre de tâche plus facile à faire lorsqu'on a au cœur de son exploitation des parcelles productives, fiables, et qui remplissent les cuves. Lorsqu'on exploite uniquement les parcelles "à problème"...
Un autre point qui cristallise les inquiétudes : les maladies du bois. Depuis une quinzaine d'année, les différentes formes de maladies du bois, comme l'ESCA, sont responsables d'une mortalité massive à la vigne, souvent autour de 5 % des pieds d'une parcelle chaque année et parfois beaucoup plus. Certaines parcelles sont tellement sujette à ces dépérissements qu'elles sont bonnes pour l'arrachage.
Maya et moi sommes assez convaincus par l'analyse du SICAVAC, à Sancerre, pour qui l'épidémie actuelle de maladie du bois ne s'explique pas uniquement par les champignons. Le Sicavac, autour de François Dal, estime que les pratiques viticoles, surtout la taille, sont un facteur majeur d'explication. Au cœur du problème : les flux de sèves. Trop de retournements, d'étranglement, de fabrication de bois mort, et le champignon prend le dessus, s'attaquant au bois vivant et coupant l'alimentation en sève. C'est un long débat, on ne sait pas encore tout ; malheureusement on en reparlera sans doute.
Concrètement, dans les rangs, observer la taille et les flux de sève permet d'évaluer l'espérance de vie de la parcelle.
Au delà de ça, on évalue aussi l'état du palissage, la présence ou non de virose, comme le court noué, et bien sûr, le nerf de la guerre : le potentiel de production.
On sort des parcelles avec une impression générale, souvent vraie. Heureusement que nous n'en sommes pas à nos premières visites de parcelles, que ce soit pour établir des travaux viticoles, ou bien sélectionner les meilleures avant la récolte. Sans être des experts, nous voyons rapidement les forces et les faiblesses des parcelles.
Par exemple, celles-ci nous ont assez plu... Le sol est travaillé, la vigne sans carence. La taille est bien pensée. Il y a de l'herbe sous le rang (le vigneron est débordé?) mais ça n'a pas eu de conséquence sur une floraison plutôt généreuse. Une jolie vigne ! | ... celles-là, beaucoup moins Visitée au début du printemps, sans végétation, on voit tout de même une taille en "tête de saule", pas très amicale pour les flux de sève. Le sol est maigre, érodé et recouvert de mousses (désherbants). La vigne a les pieds dans le calcaire. La transition en bio est plus risquée. |
Enfin, on regarde l'endroit. On dit parfois que c'est dans les beaux paysages qu'on fait les meilleurs vins. Quand on pense aux collines de Château-Chalon ou de l'Hermitage, au Mambourg ou au Bollenberg, aux hauts terroirs de Faugères ou du Roussillon, on se dit que ça doit être vrai. En bordure de Causse, à Cahors, on se prend souvent à rêver, à se dire qu'à chaque fois qu'on viendra travailler, tailler, tirer les bois, relever, le paysage s'offrira, toujours différent. Parfois, on s'y voit.