La vigne avait de la chaleur, de l'eau. Il n'a pas fallu trois semaines pour qu'elle atteigne le fil du haut, comme si le stress du froid avait entraîné une fureur de vivre, de pousser, de fructifier et de lancer ses vrilles à l'assaut de l'inconnu.
Pour nous, les journées ont été longues.
D'abord pour ébourgeonner du mieux possible. L'ébourgeonnage est un complément indispensable à la taille Poussard que nous pratiquons depuis le début. Il s'agit, pour les non-initiés, d'ôter d'un coup de pouce tous les petits rameaux naissants qui ne serviront ni à la taille de l'année d'après, ni à la fructification de l'année. Cela permet de canaliser l'énergie de la vigne dans la direction souhaitée et de se faciliter la taille de l'hiver suivant. De diminuer les blessures faites à la plante, aussi, puisque enlever un petit rameau naissant crée une plaie beaucoup plus petite qu'un coup de sécateur, l'hiver, sur un rameau qui sera alors bien inséré dans le tronc.
C'est un travail passionnant mais long, "comme une deuxième taille" disent les vignerons. Un travail central pour nous. Jean-Michel Comme, le directeur technique de château Pontet-Canet, expliquait le Rouge et du Blanc* que plus on pratiquait un ébourgeonnage sérieux, moins on avait besoin d'ébourgeonner. Et qu'au bout du compte, l'ébourgeonnage n'était quasiment plus nécessaire sur son vignoble tant il avait été accompli avec sérieux auparavant. Des propos qui nous ont fait rêver, nous qui en sommes aux toutes premières marches de ce travail.
Là aussi, c'est un travail qui nous tient à cœur. Plutôt que de laisser dépérir des pieds, on leur donne une seconde vie, en maintenant leurs racines qui ont poussé patiemment pendant des décennies. C'est évidemment du travail à la taille, à l'attachage et au tuteurage, car on insère dans les rangs des individus à choyer tout particulièrement, mais probablement moins que s'il fallait, une fois le pied mort, creuser un trou et essayer de faire s'implanter un plant tout neuf.
Il faut alors relever : un verbe du premier groupe, qui pour le vigneron, a pour synonyme "en baver".
Le relevage, ce sont plusieurs opérations, qui globalement, impliquent toutes de tirer comme des brutes sur des fils de fer, puis de ranger des branches sous ces dits fils, afin que les rameaux soient rangés, dressés, et qu'ils ne pendent pas dans les rangs. Un travail physique, répétitif, et qui cette année s'est déroulé au plus fort de la vague de chaleur. Il faut le faire au bon moment, ni trop tôt, ni trop tard, comme souvent en viticulture. Alors quand c'est le moment, on se lève très tôt pour travailler à la fraîche et on redouble d'effort. La sieste de l'après-midi, au plus fort de la chaleur, viendra réconforter les corps.
Pour garder le maximum de feuillage, nous faisons deux passages successifs et montons les fils releveurs au plus haut. Ce n'est qu'une fois la canopée rangée et dressée que nous nous autorisons à rogner, c'est à dire couper ce qui dépasse. L'année dernière, nous avions effectué cette opération à la cisaille et à la faucille. Cette année, nous aurions aimé continuer mais la pousse fulgurante continuait et il fallait agir vite. Nous avons utilisé une rogneuse attelée au tracteur mais nous avons fait très attention d'intervenir le plus tard possible et, là-aussi, le plus haut possible.
Sur des vigueurs moins fortes, des collègues ailleurs en France privilégient le tressage. Il s'agit de lier ensemble les rameaux de pieds voisins, en formant un espèce d'arche de branches, ou bien directement sur le fil du haut. C'est très beau à voir et le geste lui-même est très gratifiant. Pour l'instant, ce n'est pas possible chez nous, notamment à cause de la vigueur des porte-greffes et des greffons utilisés à Cahors, à cause de l'année et à cause de la puissance vitale de nos vignes. Un jour, nous y viendrons sans doute.
Nous avons accueilli la semaine de pluie avec soulagement. La maison et le chai ont pu se refroidir, nous avons pu récupérer de ces trois semaines d'efforts continuels.
Maintenant la vigne est seule. Nous l'avons accompagnée du mieux que nous pouvions et elle doit à présent se concentrer sur la maturation du raisin. Dans une quinzaine de jours, elle entamera la véraison : les raisins vont progressivement se teinter de violet. C'est la dernière étape, environ quarante-cinq jours avant les vendanges. Pas question de se relâcher pour autant : il faut toujours faire un peu d'entretien et commencer à préparer la cave. A cela, cette année, va s'ajouter pour nous, l'aménagement intérieur de notre joli hangar tout neuf. Et surtout la préparation notre toute première mise en bouteille ! Nous vous raconterons tout ça bientôt...
* dans le numéro 120 du Rouge et du blanc, plus précisément, dans un article détaillé que j'ai trouvé inspirant.
Nicolas & Maya